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Les Syriens se Révoltent Enfin

 

Par Albert Soued, écrivain, pour www.nuitdorient.com

Le 22 avril 2011.

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Il faut beaucoup de courage pour s'exprimer dans une dictature baathiste où tous les rouages de l'état ont été huilés depuis des décennies pour ramener le citoyen à l'état d'agneau bêlant. Il se trouve que ce sont les citoyens les plus démunis des tribus alawites -- l'oligarchie dominante -- qui ont commencé à revendiquer. Ils croyaient être à l'abri d'une répression. La brèche dans l'unité alawite a donné aux sunnites la force de s'insurger, insurrection qui commença dans une ville du Sud, Déraa'. Bashar el Assad y envoya la 4ème division de son armée, dirigée par son frère Maher et constituée de troupes fidèles de sa tribu.

Mais la contestation s'étendit progressivement à d'autres villes, Lattakié, Alep, Homs, sous l'impulsion de sermons sur al Jazira du prédicateur intégriste Youssef al Qaradaoui, incitant à se débarrasser de la secte "infidèle et païenne" des alawites.

N'étant pas sûr du reste de son armée, dirigée par des sunnites, Bashar el Assad a commencé par louvoyer, alternant l'apaisement avec la violence. Rappelons ici que Bashar el Assad a hérité de son père H'afez, chef d'un clan minoritaire -- les alawites, 10% de la population – qui, depuis 70/80 ans, détient le pouvoir, aussi bien dans une partie de l'armée que dans le parti unique et laïc, le Baa'th, et gouverne une majorité sunnite représentant les ¾ de la population syrienne.

 

Bashar louvoyait dans l'attente du soutien de troupes étrangères, des commandos iraniens issus des Gardiens de la Révolution, des miliciens du Hezbollah et des Palestiniens du Jihad islamique et du Front Populaire d'Ahmed Jibril.

Dans un discours au peuple en colère, Bashar el Assad, tout sourire, a précisé que les réformes étaient en cours depuis "belle lurette" et que ce n'était pas la peine de s'exciter outre mesure, et que si quiconque demandait plus de réformes, c'est qu'il était un ennemi, manipulé par l'étranger. Il a précisé que tout le monde savait comment les "ennemis" de la Syrie étaient traités -- tirs à balles réelles sur la foule, sans sommation, arrestations et disparitions dans la nuit, guet apens, blessés achevés à l'hôpital et après les tortures -- Les soldats syriens qui refusent de tirer sur la population sont aussitôt abattus par leurs officiers. Ceux-ci empêchent les ambulances d'acheminer les blessés vers les hôpitaux …

En dehors des Services spéciaux d'information (les moukhabarat) qui quadrillent le pays et procèdent aux arrestations nocturnes, les Assad ont une fidèle Garde Rapprochée (les shabbiha) formée de 10/11 000 alawites entraînés en Iran, prêts à mourir pour défendre leur chef.

 

Au bout de 3 semaines, la révolte s'étendit sur tout le territoire, les insurgés sunnites (1), druzes (2), kurdes et chrétiens ayant reçu des armes de l'étranger, et certains parlent d'aide américaine en sous-main.

Devant l'extension de la révolte, la Secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton s'est empressée de préciser qu'il n'était pas question d'intervenir en Syrie comme en Libye. En effet, il n'y a point de pétrole en Syrie. Rappelons que l'administration Obama a installé en janvier un ambassadeur à Damas après 6 ans d'absence. Et on attend toujours le verdict du meurtre de Rafik Hariri, ex 1er ministre libanais, pour lequel les dirigeants syriens sont impliqués jusqu'au cou.

Malgré le black-out complet des communications et l'absence de journalistes étrangers, on sait que la répression de la rébellion des Syriens se poursuit impitoyablement dans tout le pays. Les pertes civiles sont importantes sans qu'on puisse déterminer si on peut les évaluer par des "centaines" ou des "milliers". En tout cas, la répression du pouvoir Assad est encore plus féroce que prévu, et les arrestations nocturnes se comptent par milliers.

En changeant de 1er ministre et de gouvernement, puis en abrogeant la loi d'urgence en vigueur depuis 1963, qui restreignait les droits de réunion et de déplacement, Bashar el Assad cherche à gagner du temps, dans l'espoir d'affaiblir l'agitation. En abrogeant la loi d'urgence, il a précisé que le peuple n'avait plus de raison, ni d'excuse de manifester. Son Ministre de l'Intérieur, le général Mohamed Ibrahim al Shaar, des Services Secrets, a même prévenu qu'iI fallait s'abstenir de participer à toute marche, manifestation ou sit-in, sous n'importe quel slogan (3).

 

La révolte vient de gagner Damas, signe d'un régime à l'agonie, lente agonie. Comme dans tous les pays arabes en révolte, on sait que l'opposition syrienne est divisée tant sur le plan ethnique que politique et que les seuls capables de gouverner, en cas de dissolution probable du pouvoir des Assad (4), ce sont les Frères Musulmans, bien organisés tant sur le plan social qu'administratif. Les opposants épris de liberté et de justice ont des chefs agissant de l'étranger et sont moins crédibles (5).

Quel que soit le résultat du renversement de la dynastie Assad, l'"axe du mal" aura perdu un de ses maillons, le Hezbollah ne pourra que faiblir politiquement au Liban et les forces d'opposition en Iran pourraient peut-être s'exprimer une nouvelle fois. Mais la chute des Assad se fera sûrement dans la violence (6).

 

Notes

(1) A H'oms on criait "Plutôt la mort que l'humiliation"- A Deraa', ce slogan fusait "Souryah, h'ouryah" (Syrie-Liberté)

(2) A Souaïda, au cœur de la montagne druze, les gens sont sortis dans la rue aux cris de "Nous sommes tous les petits-fils d'Atrash!", slogan nationaliste spécifiquement druze, le sultan al Atrash étant un héros de la révolte arabe contre l'empire ottoman.

(3) "Nous allons imposer avec fermeté la sécurité et la stabilité dans tout le pays en poursuivant les terroristes où qu'ils se trouvent pour les traduire devant la justice et mettre fin à toute forme de rébellion armée… Nous n'allons pas tolérer les activités terroristes de ces groupes armés qui portent atteinte à la sécurité des citoyens et les terrifient"

(4) Certains membres de la nomenklatura alawite se sont déjà réfugiés dans les états du Golfe, signe annonciateur d'une débâcle.

"Il semble qu'on ait atteint un point de non-retour en Syrie, que rien ne pourra plus être comme avant, que les jours du régime sont désormais comptés", confie le consultant libanais en géopolitique Sami Nadar (source, le Figaro)

(5) Voir articles sur la Syrie et notamment Soutenir l’opposition démocratique en Syrie et Appel pour l'instauration de la démocratie en Syrie -

(6) Rappelons notamment que Hafez al Assad n'avait pas hésité à écraser dans le sang une révolte islamiste en 1982 à Hama, dans le centre du pays, au prix de quelques 30.000 morts. 

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