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L'EXODE QU'OBAMA A OUBLIE DE MENTIONNER

 

Par André Aciman, professeur de littérature comparée à l'Université de la Ville de New York, auteur du mémoire "Sorti d'Egypte"

Paru dans le New York Times du 8 juin 2009

Traduit par Albert Soued http://symbole.chez.com pour www.nuitdorient.com

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Le discours du Caire du président Obama à l'adresse du monde islamique était un événement retentissant. Jamais auparavant un jeune et dynamique président américain, aimé aussi bien par ses compatriotes que par les nations du monde n'a tendu la main aussi opportunément à une partie du globe, qui, hier encore, avait peu de raisons de nous faire confiance et, encore moins, de nous congratuler.

 

Aussi important que soit son discours, Mr Obama n'a pas mâché ses mots. Jamais auparavant un président américain n'a montré au monde entier les failles du monde arabe, haut et clair: extrémisme quotidien, armement inutile, droits humains bafoués, déclin économique et social, tout est passé en revue. Mr Obama a même trouvé le temps pour mentionner le sort misérable de la communauté Copte harcelée en Egypte et de critiquer la nouvelle vague des négationnistes de l'Holocauste. Et pour bien montrer qu'il ne favorisait pas Israël, il l'a sommé d'arrêter toute implantation nouvelle en Cisjordanie. Et il a parlé des souffrances des Palestiniens. Il ne semblait pourtant nullement enterrer la branche d'olivier, mais ni autour de lui, ni dans l'auditoire personne n'a daigné remarquer un détail qui manquait dans le discours, pourtant "plein de principes de justice et de progrès" et "de nouveaux espoirs de bonnes relations": il m'a oublié.

Pas un mot me concernant, ou concernant les 800 000 et quelques Juifs nés au Moyen Orient qui ont fui le monde arabo-musulman, chassés sommairement parce qu'ils étaient Juifs, et ceci au 20ème siècle! Avec toutes les références à l'histoire de l'Islam et sa "fière tradition de tolérance" (qu'on peut mettre en question), Mr Obama n'a pas dit un seul mot sur ces Juifs dont les ancêtres ont vécu dans l'univers arabe, bien avant que l'Islam n'y soit né, et pourtant devenus ses premières victimes, dès que la nationalisme rampant a envahi la région.

Il n'a pas daigné non plus mentionner qu'avec cette fuite et expulsion tous les biens des Juifs ont été pillés, et c'est le mot juste. Mr Obama n'a jamais mentionné les biens que je possède encore en Egypte, mes chers amis perdus, mes livres, voitures, et … mon vélo. Chacun de nous n'est pas seulement défini par un arrangement de molécules ou de gènes, mais aussi par les choses que nous disons nous appartenir. Prenez-les et quelque chose en nous se meurt. Perdre ses biens, sa maison, la vie qu'on a construite, ses amis, tout cela a tué mon père. Pas tout de suite, une agonie de 4 décennies d'exil…

Mr Obama a eu des mots très durs pour les Arabes, dénonçant le mauvais traitement des femmes chez eux et des mots très avenants pour reconnaître la dette américaine vis-à-vis de l'Islam. Mais il a échoué dans le rappel aux Egyptiens qui l'écoutaient que, 50 années plus tôt, une forte et vibrante communauté juive prospérait en leur sein. Que les meilleurs hôpitaux et d'autres institutions ont été créés et financés par des Juifs. C'est une honte qu'il ne l'ait pas rappelé aux Egyptiens qui l'écoutaient – notamment les jeunes de moins de 50 ans – parce que dans la plupart des cas leur mémoire a effacé à bon escient le poids de toute culpabilité. Ils ne se rappellent plus de rien. Nous, Juifs, n'avons jamais existé…

A Alexandrie, où je suis né et où j'habitais, toutes les rues portant des noms juifs ont été rebaptisées. Il y a quelques années la Bibliothèque d'Alexandrie a exposé une traduction en arabe des "Protocoles des Sages de Sion", le document le plus antisémite jamais écrit. Pour mémoire, il ne reste plus que 4 Juifs à Alexandrie aujourd'hui.

Quand le dernier juif disparaîtra, les temples, les objets de culte et les livres de ce qui était la plus prospère des communautés juives en Méditerranée échoiront au gouvernement égyptien – pas à moi, ni à mes enfants, ni à aucun descendant des Juifs d'Egypte.

Il est étrange que notre président, un homme versé en histoire et dédié à la vérité, ait oublié de nous mentionner. Ou bien il a oublié ou il ne savait pas qu'on existait, ou bien il a pensé que le lieu n'était pas approprié ou le sujet inopportun. Mais parler au Caire dans un souci de "trouver un terrain d'entente… et de respecter la dignité des êtres humains", sans mentionner des gens comme moi, c'est comme s'il parlait à Berlin de la future Allemagne, en oubliant un petit détail, la 2ème Guerre Mondiale (1).

 

Note de traduction

(1) Cet article a été traduit parce qu'il représente l'injustice subie par 0,8 à 1 million de Juifs chassés des pays arabes, pour la plupart "manu militari", y ayant laissé leurs biens, leurs amis et leurs souvenirs. Le traducteur a subi lui aussi cet exil forcé et il a été témoin de l'effacement indélébile de la mémoire des Juifs, notamment en Egypte, dès les années 90.

 

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Extrait discours Bibi sur les réfugiés

 

"… The Palestinian refugee problem must be solved, and it can be solved, as we ourselves proved in a similar situation. Tiny Israel successfully absorbed tens of thousands of Jewish refugees who left their homes and belongings in Arab countries.
Therefore, justice and logic demand that the Palestinian refugee problem be solved outside Israel’s borders. On this point, there is a broad national consensus. I believe that with goodwill and international investment, this humanitarian problem can be permanently resolved…"