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Le Bloc Moyen-Oriental

 

Par Sami El Soudi, journaliste palestinien de Ramallah

Metula News Agency 15/08/15

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Le "problème palestinien", c’est l’histoire d’un prétexte inventé pour éradiquer Israël auquel les gens – moi y compris – se sont mis à croire.

 

Un accord entre Israël et le Hamas est désormais imminent. On a dépassé le stade des rumeurs, alors que des responsables et des media turcs, qataris, mais surtout palestiniens et israéliens commentent ouvertement les pourparlers et présentent même les détails du traité en vue.

Dans une interview concédée à al-Resalah (le message) de Gaza, un haut fonctionnaire d’Ankara, Yassin Aktay, conseiller du Premier ministre turc Ahmet Davutoglu, a déclaré que Khaled Mashal, l’un des deux dirigeants du Hamas avec Ismaïl Hanya, s’était rendu dans la capitale ottomane afin d’informer ses alliés des "détails de l’accord conclu avec Israël".

La diplomatie turque participe aux tractations avec celle du Qatar, tandis que l’architecte des discussions est l’ancien 1er ministre britannique Tony Blair.

 

Jeudi dernier, le quotidien londonien al-Hayat (la vie), un media sérieux financé par l’Arabie Saoudite, a confirmé l’existence de négociations très avancées. Fait marquant, les informations diffusées par al-Hayat ont été massivement reprises par l’ensemble de la presse gazaouie, sans faire l’objet du moindre démenti de la part des dirigeants de la bande côtière.

Les raisons de l’avancée spectaculaire des tractations sont certes multiples, mais il en existe une principale, pratiquement incontournable, qui pousse Mashal et Hanya à s’entendre avec l’ "ennemi sioniste".

Cette raison est la volonté très ferme des souverains saoudiens d’établir un front sunnite uni face à l’Iran afin de se prémunir des dangers enceints dans le traité entre Téhéran et les 5+1 que Riyad juge catastrophique.

Or les Saoudiens ont décidé qu’Israël ferait partie intégrante et visible de la nouvelle alliance ; Jérusalem y constituera le pôle sécuritaire, qui, grâce à sa puissance de feu, sa technologie militaire de pointe, sa possession de l’arme atomique et son expérience en matière de conflits, aura pour rôle de dessiner et de superviser les pourtours d’un système de défense interactif face à l’ennemi commun.

Ils font face au même danger

 

La position prédominante d’Israël s’impose après que les Etats du Golfe, la Jordanie, mais surtout l’Egypte et l’Arabie Saoudite se sentent trahis par la politique de l’administration U.S, et que ces pays ont convenu qu’il était hasardeux de se fier aux Américains, non seulement sous la présidence de Barack Obama, mais également en considération du doute qui prévaut quant à l’identité et les priorités en matière de politique étrangère de son successeur.

A Riyad, au Caire et dans le Golfe, on se dit qu’il est fort préférable d’avoir un allié sécuritaire dans la région, qui plus est soumis aux mêmes périls que les sunnites.

Témoin de cette nouvelle situation, l’éditorial d’Abdallah Al-Hadlaq, dans le journal gouvernemental koweitien al-Watan (la patrie) :

 

"Israël est un Etat ami qui ne nous met pas en danger dans la région du Golfe arabe et nous n’avons rien à craindre de lui. Celui qui nous menace, effectue des actes de terrorisme et de destruction à nos dépens, et aspire à nous occuper est l'ennemi perse arrogant (…) qui est l'incubateur et le vecteur principal de développement du terrorisme mondial.

 (…) Par conséquent, je répète mon appel pour former une société d'amitié Golfe-Israël, comme première étape vers le développement et le renforcement de relations amicales avec l'Etat d'Israël, dans les domaines de la politique, de la diplomatie, du commerce, de l'éducation et de la coopération militaire et civile".

 

On se dit aussi, dans ces capitales, qu’Israël a toujours été un ennemi réglo, qui n’est intervenu militairement que lorsqu’il était menacé et qui, contrairement à ce que clame la propagande officielle arabe, n’a jamais entretenu de stratégie offensive à l’encontre des pays arabes. On relève de plus que, malgré les conflits persistants, il n’existe pas, dans ce pays, de haine, de mépris ou de répression visant les musulmans de la part des autorités politiques et de la grande majorité de la population.

 

En revanche, le nouveau roi saoudien, Salman ben Abdelaziz al Saoud, qui a remplacé son demi-frère sur le trône fin janvier dernier, estime que la tension permanente entre l’Etat hébreu et les Palestiniens en général, avec Gaza, en particulier, nuit à son projet de front uni contre les ayatollahs et qu’elle doit être apaisée avant de franchir le pas décisif de la normalisation avec Jérusalem.

Et puisqu’à Riyad on n’éprouve aucune considération pour l’Autorité Palestinienne de Mahmoud Abbas et qu’on la juge corrompue, incapable et inutile, la décision a été prise de convoquer, il y a deux semaines de cela, Khaled Mashal dans le royaume des Ibn Saoud.

Ce qui ne pouvait pas réjouir davantage le leadership de Gaza, qui cherchait depuis des années à renouer des liens avec les Saoudiens pour sortir l’enclave côtière de son isolement quasi-complet, aussi bien politique que géographique dans le monde arabe.

 

C’est le chef d’un Hamas financièrement et militairement exsangue, du fait du contrôle zélé des frontières de Gaza par l’entente al Sissi-Netanyahu, qui s’est précipité dans la capitale de la monarchie. Incapable de reconstituer son arsenal après Rocher Inébranlable, de reconstruire Gaza-city à cause du refus des bailleurs de fond d’investir dans le statu quo prévalant, et même de continuer à creuser impunément des tunnels dits stratégiques vers Israël à cause du déploiement d’un nouveau système par les Hébreux rendant leur repérage quasi-instantané, inapte à créer des richesses par le travail des habitants qui fonctionnent en vase clos avec un taux de chômage réel avoisinant les 80 pour cent, le Hamas se trouvait en situation d’échec à tous les niveaux.

 

Salman al Saoud, exploitant cette faiblesse insigne, a pratiquement dicté les termes de l’accord avec Israël, tout en s’engageant à leur fournir une aide financière massive si Khaled et Hanya jouaient le jeu à la régulière.  

 

Les dirigeants du Hamas n’offrirent aucune résistance, bien au contraire, et font depuis de leur mieux pour parvenir à l’entente escomptée avec Jérusalem au plus vite. Ils ont ainsi réuni le Conseil de la Choura du Hamas, l’organe supérieur de la "Résistance Islamique", qui a entériné l’accord après un bref débat de quelques heures.

Pour montrer sa satisfaction face à cette attitude, l’Egypte a ouvert aujourd’hui sa frontière avec Gaza pour une période de quatre jours. Elle ne l’avait plus été depuis des mois, particulièrement pour une si longue période.

 

Le traité, qui en est au stade final de négociation, comprend les provisions suivantes : l’allègement significatif par le Caire et Jérusalem des conditions de transit des marchandises avec la Bande, l’autorisation de construire un port flottant à trois kilomètres au large de Gaza-city, qui servira de terminal de marchandises pour l’exportation aussi bien que l’importation.

Les marchandises importées transiteront toutes, d’abord, dans un port de la partie de Chypre occupée par la Turquie, où elles seront conjointement inspectées par des militaires turcs et de l’OTAN. Ensuite les paquebots auront l’interdiction de se rendre dans d’autres ports ou d’approcher d’autres navires ; ils devront suivre un itinéraire maritime extrêmement strict, au risque de se voir arraisonner et renvoyer en haute mer.

De plus, Israël décernera des milliers de permis de travail à des journaliers gazaouis, qui pourront travailler dans l’Etat hébreu en passant par le point de transit d’Erez, et rapporter ainsi de précieuses devises qui font actuellement cruellement défaut dans l’enclave palestinienne.

 

En contrepartie, le Hamas s’abstiendra de toute action offensive contre Israël, y compris le creusement de tunnels. Il remettra aux Israéliens deux de leurs concitoyens entrés volontairement à Gaza, de même que les restes de soldats de Tsahal morts pendant l’opération Rocher Inébranlable. Israël, de son côté, pourrait libérer un certain nombre de prisonniers en fin de peine ou condamnés pour des délits n’ayant pas entraîné mort d’homme.

 

Le traité serait conclu pour une durée de huit ou dix ans. Ce qui permet au Hamas de prétendre qu’il ne met pas un terme à sa lutte contre Israël dans le but de récupérer l’ "ensemble de la Palestine", en d’autres termes, d’éradiquer l’Etat hébreu.

Dans les faits, cependant, cette houdna (calme), si tout se passe comme prévu, a toutes les chances de se pérenniser ; car avec la reconstruction de la Bande, le réveil du commerce grâce aux échanges internationaux et au port, et les revenus réguliers provenant de l’activité des pendulaires, le Hamas aurait beaucoup d’acquis à perdre s’il reprenait le sentier de la guerre.

Ce qui est clair est que l’accord Israël-Hamas, s’il est signé, dissociera la destinée de la bande de Gaza de celle de la Cisjordanie gouvernée par le Fatah.

 

L’Autorité Palestinienne a choisi une dynamique de confrontation passive, par laquelle elle entend faire payer à Israël le prix de l’occupation de la "terre de Palestine" sur les plans diplomatique et de la justice internationale. Malheureusement, cette stratégie ne mène à rien : d’une part, elle envenime les relations quotidiennes avec le voisin israélien et engendre des violences, de l’autre, même si elle occasionne certains désagréments aux Israéliens, comme BDS ou l’ouverture de procédures auprès de la Cour Pénale Internationale, ceux-ci ne sont pas de nature à infléchir leur politique – au contraire ? -, ni, surtout, ils ne présentent aucune ouverture en direction de la création d’un Etat palestinien.

 

Beaucoup d’hommes d’affaires de Cisjordanie regrettent amèrement la politique que menait l’ex-1er ministre Salam Fayyad, qui était axée sur le développement économique et des services, prévoyant de créer, par le travail, un Etat de facto qui, avec le temps et une coopération intelligente avec les Hébreux, n’aurait pu faire autrement, avec un peu de patience, que de se concrétiser par une reconnaissance de jure.

Mais la voie Fayyad impliquait que nous cessions notre politique victimaire, que nous nous mettions au travail, et à construire la paix. Pour nombre de mes compatriotes, ces options étaient trop révolutionnaires et trop teintées d’occidentalisme. Mahmoud Abbas a fini par lâcher Fayyad à la demande du Hamas et voici donc où en est la cause palestinienne. Nulle part.

 

L’accord entre le Hamas et Israël suscite évidemment les critiques à la Moukata de Ramallah, où l’on réalise que personne ne nous accordera un Etat en Judée et Samarie, tant que Gaza demeure aux mains du Hamas et vit en harmonie avec les Israéliens.

C’est ce qu’on appelle un enterrement de première classe, qui pourrait aussi mener le Fatah à sa perte, faute d’être capable d’émettre des propositions réalisables pour l’amélioration de nos conditions de vie économiques et la poursuite du rêve de notre indépendance. Le Fatah, avec son manque de souplesse et à force de surestimer son influence, risque de se trouver circonscrit dans l’ombre d’un Hamas mettant de côté la lutte armée et bénéficiant de la manne saoudienne. La rue ici va très mal le prendre.

 

Déjà que notre combat pour l’émancipation avait été totalement écarté de l’agenda international par le traité sur le nucléaire iranien, j’ai le plus grand mal à distinguer le moindre strapontin réservé à notre intention dans le plan du roi Salman. Le Hamas fera partie du front sunnite mais pas l’Autorité Palestinienne, qui continuera à guerroyer seule contre Israël ? Peut-être qu’en se rendant cette semaine à Téhéran, Mahmoud Abbas nous cherche de nouveaux amis. Peut-être négocie-t-il notre adhésion à l’Axe du mal, aux côtés des Iraniens, des alaouites et du Hezbollah ? Peut-être allons-nous tous nous convertir au chiisme ? Peut-être m’enverront-ils combattre l’islamiste en Syrie.

 

Nous avons réussi à fatiguer même le Qatar, la Turquie, l’Union Européenne et Barack Obama avec nos positions jusqu’au-boutistes ; je veux parler du refus de reprendre sérieusement les négociations directes avec nos adversaires à la place de jouer les Tarzan à l’ONU et devant la CPI. Pendant que nous sautions de liane en liane, le Hamas nous a volé la politesse à la table des pourparlers où il est devenu raisonnable.  

 

Le roi Salman ben Abdelaziz, le Maréchal al Sissi et Binyamin Netanyahu n’ont que l’Iran devant les yeux ; il importait de ne pas se laisser perturber par le "problème" palestinien, qui ne les intéresse pas et ne les a jamais intéressés. Le "problème" palestinien, c’est l’histoire d’un prétexte inventé pour éradiquer Israël auquel les gens – moi y compris – se sont mis à croire. Mais toutes les grandes idées sont des constructions de l’esprit, des assemblages disparates fondus dans une légende le plus souvent créée de toutes pièces. La France, l’Allemagne, les U.S.A, et bien sûr Israël, font partie de ces concepts sortis de nulle part auxquels les gens ont cru.

 

Pourquoi, l’Arabie est-elle réellement un royaume ancré dans l’histoire ? La Jordanie ?

Il est temps de relativiser les vérités pour éviter que l’on s’excite exagérément pour elles. Binyamin Netanyahu ne veut pas d’Etat palestinien, et accepte, pour le mettre au placard pendant dix ans, de s’entendre avec ses pires ennemis islamistes. Salman et Sissi n’ont jamais pris notre fable au sérieux et l’ont toujours considérée avec méfiance.

Ensemble, ils sont en train de construire le "bloc moyen-oriental", en opposition avec l’Occident qui a choisi l’Iran, ne croyant pas en la capacité des Arabes et des Juifs à s’organiser de concert, et les considérant en perte d’importance.

La Turquie et le Qatar, pour ne pas rester sur le carreau – pendant que les blocs se forment, il ne fait pas bon demeurer dans son coin, surtout lorsque la guerre fait rage et menace de s’étendre -, ont aidé les trois chefs d’Etat complices à neutraliser le Hamas et, partant, à clouer les ailes de l’Oiseau-Palestine.

Vite, qu’on signe cet accord qu’on pourrait appeler le "Contre-accord nucléaire iranien", et que les seigneurs de la guerre tiennent leur banquet et s’installent dans leur nouveau rôle ! La Guerre de Syrie et d’Irak, malgré son impressionnant cortège de fantômes, n’est qu’une mise en bouche, un échauffement. L’alliance sacrée arabo-juive est en train de naître, le monde est déjà différent, mais la République de Palestine n’en fait pas partie, elle ne participe à rien.