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Iran-Israël : "Jeux de Guerre",

le Roman d’Espionnage où Tout est Vrai

 

Par Alexandre del Valle, écrivain et journaliste

http://www.atlantico.fr/decryptage/iran-israel-jeux-guerre-roman-espionnage-ou-tout-est-vrai-alexandre-del-valle-1813061.html

Atlantico 19/10/14

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Les années entre 1950 et 1978 témoignent des liens très forts qui existaient entre Israël et l'Iran. Que ce soit en termes de coopération énergétique ou sécuritaire, le dernier livre de Ramin Parham nous rappelle, à travers son dernier ouvrage, sur les rapports aujourd'hui étonnants, mais qui renseigne sur les issues possibles d'un contexte régional favorables à de nouvelles alliances.

 

Tandis que la ville kurde de Kobané rejoint le cortège des villes martyres de Daesh sous l’œil cynique de la composante néo-ottomane de l’OTAN ; tandis que la guerre des religions fait rage au Moyen-Orient ; que la crise nucléaire iranienne traîne de palabre en parlote ; que le Vice-président de la première puissance mondiale s’épanche dans des excuses en cascade ; que Tsahal peaufine ses plans en vue de sa prochaine confrontation avec le Hezbollah, création iranienne au nord de la Galilée… Tandis que l’Histoire que l’on croyait finie recommence à nos portes, le Moyen-Orient se redessine sur les décombres d’une architecture géopolitique obsolète dessinée par Gertrude Bell, une anglaise de la préhistoire du XXIe siècle que l’australienne Nicole Kidman s’apprête à incarner pour l’allemand Werner Herzog.

Mais il en faudrait plus qu’un film pour comprendre cet âge westphalien moyen-oriental. C’est pour cela que le nouveau livre de l’écrivain iranien Ramin Parham tombe à pic.

Iran-Israël : Jeux de guerre, paru chez Dhow Editions, nous apporte des clefs de compréhension rarement, sinon jamais évoquées jusque-là. Un livre major qu’il faut lire et relire. Et pour cause…

Iran et Israël… Deux nations majeures aux antipodes géopolitiques de la région la mieux achalandée du monde en états faillis, en convertis psychotiques et en égorgeurs patentés. Ceux qui ont traité leurs relations Iran-Israël sont rares. Ceux qui s’y sont attelés en français sont inexistants. C’est dire combien l’ouvrage de Ramin Parham était attendu.

Ce récit haletant et remarquablement bien écrit embarque le lecteur dans les méandres de l’énigme judéo-perse, deux cultures historiquement jumelles, deux nations longtemps alliées, deux pays aujourd’hui au bord de la crise de nerf atomique. Noyés dans une vaste et antique contrée peuplée d’Arabes, Iran et Israël en ont pourtant été, de longues années durant, ses deux piliers économiques et sécuritaires.

Particulièrement bien documenté, Iran-Israël : Jeux de guerre se lit comme un roman d’espionnage. Sauf que là, tout est vrai !

Piochant dans les archives israéliennes et américaines jusque-là secrètes, Parham balaie de sa plume cynique les niaiseries des VRP d’un certain postmodernisme, pour redonner la parole aux vrais acteurs de l’Histoire : les disciples de Machiavel, des icebergs bipèdes dotés d’un remarquable cerveau. Parmi les personnages étonnants dont il brosse le portrait, on trouve par exemple le brigadier-général Itzhak Segev, le dernier attaché militaire de Tsahal à Téhéran sous la monarchie des Pahlavi. L’épopée des "33 derniers Israéliens d’Iran", ceux qui ne quitteront l’Iran que le 19 février 1979, soit une bonne semaine après le renversement de la monarchie, est digne des meilleurs thrillers hollywoodiens. Autre personnage clé de cet incroyable récit, Uri Lubrani. Avant-dernier ambassadeur israélien en poste à Téhéran, monument vivant de la diplomatie de l’Etat juif, Lubrani est, ni plus ni moins, le "doyen des serviteurs de l’Etat d’Israël". Ses rencontres surréalistes avec le puissant et dernier monarque perse, au faîte de sa puissance en 1975 puis seul au bord des abysses en 78, sont décrites là avec une saisissante théâtralité, celle de l’Histoire vue comme elle est : une tragédie.

 

Iran-Israël : Jeux de guerre nous rappelle également que des années 50 à 1978, l’Iran fut le fournisseur de pétrole exclusif d’Israël. Ainsi et pour la seule année 1970, plus de 10 millions de tonnes de brut furent exportées par le "pont pétrolier du Moyen-Orient" reliant les terminaux iraniens aux ports israéliens d’Eilat et d’Ashkelon.

On y apprend qu’en 1977, deux ans avant la révolution islamique, les exportations de l’État juif vers l’Iran dépassaient le total de ses échanges avec le Japon et la Turquie ! A cette époque, somme toute récente, Shimon Pérès et son homologue iranien paraphent un contrat de plus d’un milliard de dollars pour le développement conjoint de chars d’assaut, de missiles, de systèmes anti-missiles et de drones !

Comme le dira le réalisateur israélien Dan Shadur, cité dans le livre, c’était "Avant la révolution". C’était l’époque où, ingénieurs iraniens et israéliens construisaient routes et barrages, installations portuaires géantes et systèmes aquifères pour le développement de l’économie perse. Un islamiste venu de la Mésopotamie et installé dans les Yvelines, d’où il lancera la révolution islamique mondiale grâce "aux télécommunications françaises" dira James Schlesinger, l’ancien patron de la CIA et du Pentagon, mettra fin à tout cela. Avec les conséquences que l’on sait et que l’on observe sous nos yeux, à Gaza, à Kobané, au Yémen, et à Kaboul, pour ne citer que ces poudrières-là 

Iran-Israël : Jeux de guerre atomise les catalogues de balivernes qui restent à la realpolitik ce que l’art contemporain a toujours été à l’œuvre des Médicis : de la camelote !

Après cette escapade aux confins des abîmes moyen-orientales, on comprend mieux pourquoi Israël fut le seul pays à soutenir la Perse dans sa confrontation contre l’Iraq soutenu par une large coalition arabe, de 1980 à 88.

Autre sujet d’une actualité brûlante : l’étroite coopération sécuritaire irano-israélienne au Levant et au Kurdistan, des années 1950 jusqu’en 1975. Avec pour nom de code Plan Vert, un vaste schéma sécuritaire fut mis en place afin de contrer la menace arabe commune. Le concepteur perse du plan, issu des renseignements militaires iraniens, le résume ainsi : "Nous devions combattre et stopper la menace sur les rives de la Méditerranée de façon à ce que nous n’ayons pas à verser le sang sur le sol iranien." Croyez-le ou non, mais c’était en 1959 !

Enfin, entre autres inédits, on découvre comment le précurseur de Khomeyni, l’islamiste mésopotamien des Yvelines en 1978/79, un imam répondant au nom de Moussa Sadr, établit au Liban la base-arrière de la révolution khomeyniste dès les années 1960s. Sadr entretenait des relations à la fois avec les renseignements iraniens, l’antenne beyrouthine de la CIA, l’égyptien Nasser, le palestinien Arafat, et le syrien Assad. Très apprécié par le Département d’Etat US pour sa "modération" et son rôle de "stabilisateur" de l’échiquier levantin, le très mondain Sadr fut en fait le principal acteur de la radicalisation de la communauté chiite libanaise, un processus qui mènera directement à l’émergence du Hezbollah.

Dans son incroyable récit, Ramin Parham forme le vœu qu’une fois passé ce que Clausewitz appelait "le brouillard de la guerre", Israël et Iran reviendront à leur "histoire longue et heureuse", mots de Shimon Pérès de mars 2014, dans ce que Parham appelle Téhéran-Jérusalem : L’axe du futur ! On le dira utopiste. Mais il est froid comme n’importe quel réaliste et cite Richelieu, un ecclésiaste et fin connaisseur des guerres de religion : "La politique, disait le Cardinal, consiste à rendre possible ce qui est nécessaire" !