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QUI VA FAÇONNER LE NOUVEAU MOYEN ORIENT ?

 

Par Amir Taheri, écrivain iranien, journaliste, éditeur de Politique Internationale à Paris

Article paru dans le Jerusalem Post du  11/11/05

Traduit par Artus pour www.nuitdorient.com

 

Quand le président Iranien Mahmoud Ahmadinejad a déclaré le mois dernier vouloir "l'effacer Israël de la carte du monde", des diplomates des deux côtés de l'Atlantique se sont précipités pour interpréter, lire entre les lignes et relativiser une déclaration dénuée d'ambiguïté et correspondant à une politique constante et bien établie de Téhéran. Ces diplomates espéraient que l'Iran clarifierait – c'est à dire adoucir – sa position. Ils ont été suivis par une diplomatie effrénée du Secrétaire général de l'Onu, Kofi Annan, qui cherchait à persuader Téhéran d'atténuer les propos de son Président. (Annan a été obligé d'annuler une visite prévue à Téhéran, après que les Iraniens lui aient fait savoir qu'ils ne permettraient pas d'expression de conciliation dans le communiqué final).

Cependant, la semaine dernière le Guide suprême Ali Khamenei, ultime recours selon la Constitution de Khomeini, a non seulement soutenu les propos de son Président, mais il est allé plus loin, présentant sa "vision pour la Palestine". S'adressant à une Communauté religieuse à la fin du Ramadan, Khamenei a précisé que l'Iran rejetait toute solution du type "2 états" préconisée par les Etats-Unis et qu'il se battrait pour la création d'un seul Etat palestinien, sur tout le territoire. Car dans un tel Etat, le pouvoir serait entre les mains des Musulmans  et certains Juifs seraient autorisés à y vivre selon certaines conditions…et il suggéra même que les chefs politiques et militaires d'Israël, notamment Ariel Sharon, soient traduits devant la justice pour crimes contre l'humanité.

 

Pourquoi l'Iran a-t-il pris la décision de jouer au plus fort ? En fait, il recherche la confrontation avec les Etats-Unis sur l'avenir du Moyen Orient, étant certain qu'il en sortirait vainqueur. Durant près d'un quart de siècle, la République Islamique a essayé de changer le statu quo de la région, alors que les Américains cherchaient à le préserver.

Après le 11/9/01, G W Bush a pris le parti du changement, en renversant le régime taliban en Afghanistan et le régime baathiste en Irak. Tôt ou tard un nouveau Moyen Orient émergera. Reste à savoir s'il sera modelé par l'Amérique ou par la République Islamique d'Iran.

Ahmadinejad croit que l'Iran a de meilleures chances de mettre son empreinte dans un Moyen Orient renouvelé, du fait que les Etats-Unis finiront par partir et que le phénomène Bush est une aberration dans les annales contemporaines américaines. Et l'Iran n'a plus qu'à attendre la démolition de la politique de Bush par ses opposants ou la fin de son mandat. Une fois rayé le phénomène Bush, aucun dirigeant américain n'aura assez de cran pour combattre l'Iran. En attendant, les seules puissances de la région capables de concurrencer l'hégémonie Iranienne sont hors course, pour des raisons diverses. La Turquie a décidé de devenir européenne et ne souhaite pas s'enliser dans les méandres meurtriers de la politique moyen orientale. Pour sa part, l'Egypte se dirige vers une période d'instabilité intérieure, sous la houlette d'un chef octogénaire, qui a juste réussi à se maintenir, suite à des élections truquées, avec le soutien de 12% des électeurs seulement.

 

D'un autre côté, l'Iran a renforcé ses atouts. Sur le plan local, les réformistes sont été éliminés, permettant à une nouvelle génération de radicaux de contrôler tous les leviers du pouvoir. Les revenus pétroliers ont atteint un niveau record, permettant au nouveau Président d'acheter le soutien populaire. Sur le plan extérieur, les Etats-Unis sont englués dans l'insurrection en Irak et la réapparition périodique des Talibans en Afghanistan, alors que l'Iran a signé de solides alliances avec ces deux pays. Par ailleurs l'Iran est apparu comme le principal soutien des mouvements radicaux Palestiniens, alors que certains n'avaient plus de parrain depuis la chute de Saddam Hussein. En février prochain, Téhéran réunira tous les mouvements radicaux de l'univers musulman, pour y faire approuver la solution "un seul état en Palestine" au conflit israélo-palestinien. Isolée et terrifiée, la Syrie est devenue encore plus dépendante du soutien Iranien, alors que l'Iran, à travers le H'ezbollah, est le principal pays influent au Liban.

Les nouveaux dirigeants Iraniens sont encouragés dans leur démarche par la faiblesse de l'Union Européenne. Le nouveau gouvernement de coalition allemand n'a pas les mains libres et l'influence anglaise diminue de jour en jour, Tony Blair apparaissant comme un canard boiteux. La France subit une intifada musulmane, alors que ses chefs politiques s'entredéchirent déjà avant des élections présidentielles qui auront lieu dans deux ans. L'Italie se dirige vers des élections qui mettront sans doute fin au régime pro américain de Silvio Berlusconi, revenant à des gouvernements de coalition faibles.

 

Entre temps l'Iran place ses pions. Après plus d'une décennie de calme relatif, Téhéran a réactivé ses contacts "shiites" dans le Golfe Persique. Une coalition shiite a été formée avec le Koweit et deux partis shiite à Bahrain ont été encouragés à passer à l'offensive contre l'émir qui se rapproche d'Israël. Téhéran a aussi repris ses contacts avec les chefs en exil de la minorité shiite d'Arabie orientale.

De même, le réarmement massif du pays a été accéléré et l'Iran ne fait plus mystère de sa volonté d'acquérir un arsenal nucléaire dans les 3/5 ans, comptant sur le soutien de la Russie et de la Chine. La Chine a besoin de l'énergie de l'Iran, la 2ème réserve mondiale de gaz et la 3ème réserve mondiale de pétrole. Un vieux projet de construction de 25 raffineries en Chine, du temps du shah en 1975 a été ravivé en Septembre, dans le cadre de la nouvelle politique orientée vers l'Est de Ahmadinejad. La Russie a besoin de l'Iran sur deux fronts, neutraliser l'influence américaine dans le bassin de la Caspienne et en Asie Centrale, et s'abstenir de fomenter des troubles dans les communautés musulmanes de Russie.

L'Iran enfin espère exhumer le mouvement moribond des non-alignés, comme forum anti-américain, avec l'aide de Hugo Chavez, président du Vénézuela.

Les médias officiels de Téhéran sont en ligne de combat. En écho de leur Président, ils présentent les pays d'Occident comme des puissances du "soleil couchant" (ofuli), qui seront défaites par celles du "soleil levant" (tolue'e), menées par l'Iran.

 

Dans ce contexte la destruction d'Israël devient un élément clé de la stratégie Iranienne au Moyen Orient. Ahmadinejad sait pertinemment que les Arabes sunnites radicaux n'accepteront jamais la prééminence de l'Iran shiite, à moins qu'il n'apparaisse comme la seule puissance capable d'effacer de la surface de la terre l'état d'Israël, réalisant alors leur rêve.

 

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