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La Première Etape du Plan de Réforme du Système Juridique

Par Daniel Haïk, politologue

2/2/23

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La plupart des juges de la Cour suprême sont d’origine ashkénaze, laïcs et appartiennent à l’élite du pays

1. Alors que l’Etat d’Israël est créé en mai 1948, l’idée d’une Constitution israélienne est écartée d’emblée pour deux raisons: d’une part, les partis orthodoxes, qui considèrent que la seule Constitution pour un Etat juif est la Torah, s’y opposent. D’autre part, David Ben Gourion, le père fondateur d’Israël, n’est pas enthousiaste à l’idée d’être “otage” d’une Constitution pour gouverner un Etat menacé de destruction depuis le premier jour de son existence.

2. A défaut de Constitution, le Parlement israélien (Knesset) vote, au fil des ans, des lois fondamentales qui représentent “le socle” d’une future Constitution.

3. Jusqu’en 1992, la Cour suprême israélienne fait office “uniquement” de Cour de cassation et veille à la séparation des pouvoirs. Elle bénéficie d’un très large consensus au sein de l’opinion publique.

4. En 1992, le ministre de la Justice Dan Méridor (Likoud), et le professeur en Droit et ancien ministre Amnon Rubinstein (centre), lancent un projet de loi fondamentale sur les droits et libertés de l’Homme. La loi est validée (le 17 mars) par une majorité relative de 32 députés, contre 21 qui s’y opposent (sur les 120 que compte la Knesset). Cette loi, présentée comme un “bouclier de protection du citoyen”, va servir de facto de tremplin à la révolution juridique du pays, chapeautée par le professeur Aaron Barak.

5. En 1995, le juge Aaron Barak devient ainsi, à 49 ans, le plus jeune président de la Cour suprême. Considéré comme ultra-libéral, il est un virtuose du Droit constitutionnel et il va, avant tout, élever la loi sur les Droits de l’Homme au rang de “Loi constitutionnelle”. Il va ensuite révolutionner le monde juridique en Israël, en prônant un activisme juridique à outrance. Sa devise est simple : “Tout est judiciable !”.

Le devise de Aaron Barak est simple: tout est judiciable. La révolution Barak va permettre à la Cour suprême de “se mêler de tout”

 

6. La révolution Barak va permettre à la Cour suprême de “se mêler de tout”. Elle statue sur des milliers de recours déposés par des citoyens israéliens mécontents, ou même par des Palestiniens contestataires ! La Cour va désormais siéger essentiellement comme Haute Cour de Justice. Mais son activité la plus controversée est celle qui lui permet de “casser” des lois ou des amendements votés par le Parlement, sous prétexte qu’ils vont à l’encontre de la loi sur les Droits du citoyen. Au cours des vingt-cinq dernières années, plus d’une vingtaine de lois votées par la Knesset sont cassées par la Cour qui les juge anticonstitutionnelles.

7. Précision importante : de 1996 à nos jours, la Knesset est, à quelques exceptions près (1999-2001, 2006-2008), conduite par une majorité de droite nationaliste (Likoud) épaulée par les partis orthodoxes et les partis sionistes religieux, avec à sa tête l’adversaire numéro un de la gauche israélienne: un certain Benjamin Netanyahou… La Cour ne cache pas vouloir se poser en contre-pouvoir pour palier l’absence de Constitution et de seconde chambre dans le pays.

8. Les juges sont désignés par une commission composée de neuf membres : trois juges, deux avocats au barreau, deux ministres et deux députés, dont un de l’opposition. Les juges membres de la commission ont un droit de veto. De facto, sous le “règne” d’Aaron Barak, la Cour suprême israélienne va devenir un forum de juges “façonnés” dans le moule de l’ultra-libéralisme qui lui est si cher. Et même si la droite conservatrice et les religieux/orthodoxes gouvernent, on ne compte que très peu de juges conservateurs au sein de la Cour. C’est donc l’impact dominant de ce “contre-pouvoir non-élu par le peuple et non représentatif” que le pouvoir politique dénonce.

9. Sur le plan international, la Cour suprême jouit d’un prestige et d’une excellente réputation, en particulier grâce à ses verdicts favorables aux Palestiniens.

10. Sur les quinze juges que compte la Cour, seuls deux sont d’origine sépharade, un seul est arabe (20% de la population) et pas un seul n’est orthodoxe (12-15% de la population) ! La majorité est d’origine ashkénaze, appartient à l’élite du pays, et ses membres sont laïcs pour la plupart. Durant le mandat d’Ayelet Shaked au ministère de la Justice entre 2015 et 2019, plusieurs juges conservateurs ont tout de même fait leur entrée à la Cour Suprême, mais ils restent minoritaires.

La Cour ne cache pas vouloir se poser en contre-pouvoir pour palier l’absence de Constitution et de seconde chambre dans le pays

11. Plusieurs ministres de la Justice ayant tenté de tempérer l’activisme juridique d’Aaron Barak ont été écartés de leurs fonctions après que le Parquet ait publié des soupçons d’infraction contre eux. Des soupçons qui s’avèreront finalement faux.

12. L’idée d’une réforme du système juridique visant à réduire le pouvoir de la Cour suprême se développe rapidement dans l’esprit de Benjamin Netanyahou et de ses lieutenants. Mais les coalitions gouvernementales qu’ils forment incluent toujours une formation modérée et centriste (Travaillistes, Koulanou) qui fait obstruction au moindre changement du statu quo.

13. Les poursuites entamées contre Benjamin Netanyahou en 2016 et l’ouverture de son procès en mai 2020 ont un effet catalyseur sur la volonté, au sein du Likoud, de développer une réforme. La victoire de la droite nationaliste et religieuse lors des élections du 1er novembre 2022 permet, pour la première fois, d’envisager la mise en œuvre de la réforme.

14. Le député Likoud Yariv Levin, très proche de Benjamin Netanyahou, et qui avait présenté pour la première fois sa réforme du système juridique en 2011, pose comme condition à son entrée dans l’actuel gouvernement d’être nommé ministre de la Justice, avec une carte blanche pour concrétiser sa réforme.

15. Le 5 janvier 2023, Yariv Levin présente aux Israéliens la première étape de son plan de réforme du système juridique.

Quels sont les points principaux de cette réforme ?

1. Commission de nomination : cette réforme vise le remaniement profond de la Commission de nomination des juges, afin d’accorder à ses membres “politiques” (ministres et députés), une majorité automatique. La commission sera formée de neuf membres : trois pour le pouvoir exécutif, trois pour le pouvoir législatif, et trois pour le pouvoir judiciaire.

C’est ainsi que des pays occidentaux et démocratiques désignent leurs “juges suprêmes”. Les candidats à la Cour Suprême devront par ailleurs être entendus par la commission des Lois de la Knesset avant que leur désignation ne soit validée. Autre point important : l’annulation du principe de “séniorité” pour le poste de président de la Cour, ainsi les présidents, qui seront désignés en fonction de leurs compétences, et pas de leur ancienneté. Enfin les juges n’auront plus le droit de veto.

2. Annulation des lois : la Cour suprême n’aura plus le droit d’amender ni même d’annuler les lois fondamentales. L’annulation ou l’amendement d’une loi par la Cour suprême ne pourra intervenir que grâce à une majorité de 80 % des juges de la Cour. La loi de contournement sera votée, et elle permettra à une majorité absolue de 61 députés de faire revoter une loi qui avait été invalidée par la Cour Suprême.

3. Clause de raisonnabilité : annulation de la clause de raisonnabilité qui permet aux juges de décider subjectivement de ce qui est jugeable et de ce qui l’est moins. Cette clause suscite un grand débat aujourd’hui en Israël.

4. Statut des conseillers juridiques du gouvernement : Yariv Levin souhaite réformer la fonction de conseiller juridique des ministères, et en faire une fonction de confiance pour chaque ministre de tutelle.

 

Depuis la publication de ce plan de réforme, les critiques fusent de toutes parts : juges, juristes, économistes et experts de la hightech dénoncent en chœur le contenu de la réforme et son ampleur. Chaque samedi soir, entre 80 et 100 000 manifestants se rassemblent à Tel Aviv pour clamer leur opposition. La dénonciation d’une possible situation apocalyptique et les menaces de guerre civile se multiplient. De son côté, la communauté internationale s’inquiète et redoute qu’Israël ne se transforme en une véritable dictature juridique. Mais face à cette levée de boucliers, Benjamin Netanyahou se veut rassurant et optimiste : “Il n’y aura pas de guerre civile. Les marches économiques sont intelligents”, a-t-il déclaré.