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Mohammed ben Salmane Tente de Réformer l’islam

Par Kamel Abderrahmani, Diplômé en Sciences du langage, a quitté Béjaïa en 2015. Il enseigne la Littérature française en Île de France depuis 2017.

Source: AsiaNews.it

8 mai 2021

Voir aussi Daniel Pipes : http://fr.danielpipes.org/20362/le-coran-solution-a-impasse-politique-en-israel

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Mohamed Ben Salmane (MBS), le prince héritier de l’Arabie Saoudite, dans une longue interview [1] télévisée accordée le 27 avril à la chaîne de télévision saoudienne « Al-Arabiya » consacrée à son plan économique et social pour la nouvelle Arabie Saoudite dans le cadre de la vision 2030, annoncée en 2015.

Il a évoqué dans cet entretien la modération dans l’application des lois islamiques tout en remettant en cause le wahabisme, une idéologie développée par Mohammed ben Abdelwahab, un prédicateur saoudien du XVIIIe siècle, et qui a tant régné dans ce pays et ailleurs après des années de sa promotion partout dans le monde musulman. Autrement dit, Ben Salmane s’est montré favorable à la réforme de l’islam en affirmant dans son interview que : « Tous les juristes et universitaires musulmans parlent du concept de modération depuis plus de mille ans. Donc, je ne pense pas être en mesure de clarifier ce concept, mais je peux respecter la Constitution saoudienne, conforme au  Coran et à la Sunna, ayant pour objectif la mise en œuvre un sens large de notre système de gouvernance de base incluant tout le monde ». Un discours que l’on n’aurait pas imaginé il y a quelques années où que l’on ait peine à croire si l’intervention n’avait pas été diffusée en direct via cette chaine de télévision.

Mohamed Ben Salmane a déclaré aussi que « la Constitution de l’Arabie Saoudite est le Coran et que son pays est tenu de mettre en œuvre le Coran sous une forme ou une autre», c’est-à-dire, tous les citoyens seront respectés en tant que tels et dans leur différence. Pour être explicite, il a souligné l’application seulement de ce qui est uniquement dit sans équivoque dans le coran : «Dans les affaires sociales et personnelles, nous ne sommes obligés de mettre en œuvre que des stipulations clairement énoncées dans le Coran. Ainsi, je ne peux pas appliquer une punition de la charia sans une stipulation coranique claire ou une stipulation explicite de la Sunna».

Pour ce faire, selon Ben Salmane, il faut réformer l’islam et revoir les sources des législations religieuses. Autrement dit, Ben Salmane s’est montré en adéquation avec ce qu’ont fait des intellectuels musulmans à l’instar de Mohamed Arkoun, Mohamed Shahrour, Faraj Fouda et d’autres. Il faut savoir aussi que plusieurs de ces intellectuels ont été persécutés, emprisonnés, interdits, voire tués parce qu’ils avaient défendu une vision contemporaine de l’islam ou tenté de guérir l’islam de sa maladie, le Wahabisme ou l’islam politique.

Pour MBS, la réforme est claire : «Le gouvernement, en ce qui concerne la charia, doit mettre en œuvre les règlements et les enseignements du Coran dans les hadiths mutawatir [2](notoire), et se pencher sur la véracité et la fiabilité des hadiths « ahad » [3], et ignorer entièrement les hadiths « khabar » [4], sauf si un avantage clair y est dérivé pour l’humanité. Ainsi, il ne devrait y avoir aucune punition liée à une question religieuse, sauf lorsqu’il y a une stipulation coranique claire, et cette sanction serait appliquée en fonction de la manière dont le Prophète l’a appliquée». Dans ce cas, il faut savoir que selon ce critère, il ne resterait que 10% des hadiths valables et qui sont en convergence avec le Coran ; et des lois dites islamiques vont disparaitre telles que la lapidation et la flagellation, l’amputation des mains des voleurs, et les lois du droit pénal islamique, telles que la mise à mort de l’apostat et de l’homosexuel. 

Ceci dit, l’annonce du prince héritier de l’instauration d’une distance, voire d’une rupture fondamentale avec le wahabisme constitue un véritable virement idéologique dans le sens où il privilégie le recours à l’interprétation directe du Coran et des hadiths indépendamment des différentes écoles de pensées et des oulémas ayant forgés la pensée islamique wahabite.

Le prince héritier a d’ailleurs ajouté que « la mise en œuvre d’une sanction sous prétexte qu’il s’agit d’une sanction de la charia, alors qu’il n’y a pas de stipulation pour une telle sanction dans le Coran ou dans le hadith notoire, est aussi une falsification de la charia[…] Lorsque nous nous engageons à suivre une certaine école ou un certain savant, cela signifie que nous divinisons les êtres humains. Dieu Tout-Puissant n’a pas mis de barrière entre lui et les gens. Il a révélé le Coran et le Prophète l’a mis en œuvre».

Ceci dit, MBS considère que « si Cheikh Mohammed ben Abdelwahab était avec nous aujourd’hui et qu’il nous trouvait engagés aveuglément dans ses textes et fermant nos esprits à l’interprétation et à la jurisprudence tout en le déifiant et en le sanctifiant, il serait le premier à s’opposer à cela[…], il n’y a pas d’écoles de pensée fixes et il n’y a pas de personne infaillible. Nous devrions nous engager dans une interprétation continue des textes coraniques et il en va de même pour la Sunna du Prophète, et toutes les fatwas devraient être basées sur l’heure, le lieu et l’état d’esprit dans lesquelles elles sont émises …. Par exemple, il y a 100 ans, lorsqu’un érudit émettait une certaine de fatwa ne sachant pas que la Terre était ronde et ne connaissant pas les continents ou la technologie, etc., cette fatwa aurait été basée sur les informations alors disponibles et leur compréhension du Coran et de la Sunna, mais ces choses changent avec le temps et sont différentes en ce moment», souligne le prince héritier.

Autrement dit, l’Arabie Saoudite veut opter pour « le Coranisme », un courant de pensée qui refuse l’autorité des hadiths et qui est avec la réactualisation des interprétations en fonction des temps, de la connaissance et des cultures. Pour le Coranisme, chaque pays peut avoir son propre islam qui se dilue dans la culture qui l’accueille. Mais, pour l’instant, Ben Salmane y va prudemment malgré ces révélations ; son propos dénote une lecture des livres de Mohamed Shahrour, Ahmed Abdo Maher et les autres penseurs qui l’ont probablement influencé et incité à se détacher de la religiosité excessive de ses aïeux et des anciennes générations. Ben Salmane a compris que l’islam tel qu’il est conçu et compris aujourd’hui constitue un frein devant le développement et la modernité.

Toutefois, il est curieux de constater qu’aucune réaction de la part des têtes du wahabisme n’a été signalée, si ce n’est quelques allégeances publiées aujourd’hui.[5] Et pourtant dans un passé proche, de tels propos auraient été considérés comment des propos blasphématoires. Ont-ils eu peur après avoir entendu les propos tenus par le prince ? « Toute personne qui adopte une démarche extrémiste, même sans être terroriste, est un criminel et sera sévèrement puni par la loi »

La réforme au sein de l’islam ne peut pas avoir lieu sans volonté politique et sans force politique et ceci, je l’ai écrit dès 2017 dans l’un de mes articles publiés par Asianews.  Cependant, la question qui se pose aujourd’hui est de savoir ce que les autres pays attendent pour prendre la même décision ? Vont-ils conserver les idées obtuses qui les ont aidés à se maintenir en place ?  Si les autres pays musulmans n’ont pas le courage de suivre le modèle saoudien actuellement en vogue, se retrouveront-ils dans une situation inquisitrice, comme l’Algérie qui condamne à la prison ferme des penseurs libres ? Rappelons que pendant ce temps, des militants des droits de l’homme tels que Saïd Djabelkhir (islamologue) et le docteur Amira Bouraoui ont été condamnés.

Notes

[1]https://www.youtube.com/watch?v=eriiLN1XIa0

[2] C’est le hadith rapporté par un grand nombre de transmetteurs, dont la raison veut qu’il soit impossible qu’ils conviennent tous d’un mensonge, et ce, à chaque maillon de la chaîne des transmetteurs, du début à la fin de la chaîne.

[3] Se dit d’un Hadith qui est relaté par un nombre important de personnes, mais dont le nombre n’atteint pas celui du hadith notoire.

[4] Il lui est différent. Ainsi, le hadith est ce qui provient du Prophète, tandis que l’information « al-khabar » est ce qui provient d’un autre que lui.

[5] https://arabic-cnn-com.cdn.ampproject.org/v/s/arabic.cnn.com/amphtml/middle-east/article/2021/04/29/saudi-mbs-council-senior-scholars?amp_js_v=a6&amp_gsa=1&usqp=mq331AQHKAFQArABIA%3D%3D#aoh=16203252485819&referrer=https%3A%2F%2Fwww.google.com&amp_tf=Source%C2%A0%3A%20%251%24s&ampshare=https%3A%2F%2Farabic.cnn.com%2Fmiddle-east%2Farticle%2F2021%2F04%2F29%2Fsaudi-mbs-council-senior-scholars