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Egypte, Rien ne Va Plus

 Par Zvi MAZEL, Ancien ambassadeur d’Israël en Égypte

17 avril 2012

http://benillouche.blogspot.fr/2012/04/egypte-rien-ne-va-plus-par-zvi-mazel.html

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La lutte pour le pouvoir en Egypte se poursuit, indécise.  Alors  qu’on pensait commencer à y voir plus clair, une série de coups de théâtre est venu à nouveau brouiller les cartes. Les Frères musulmans, qui sont arrivés démocratiquement au pouvoir après 80 années de luttes et de répression, ont le sentiment de toucher au but. Bientôt, pensent-ils, ils vont réaliser le rêve de leur fondateur Hassan el Banna et faire de l’Egypte une nation gouvernée par la charia pure et dure.

 

Dos au mur

En face d’eux, l’armée qui se bat le dos au mur pour protéger ses privilèges et assurer l’impunité de ses membres qui pourraient être traînés en justice, soit pour leurs actions du temps de Moubarak, soit pour la répression des premières manifestations de la révolution. On avait pu croire un moment à un compromis mais les Frères, qui ont le vent en poupe, ne veulent plus rien entendre. Les prochaines élections présidentielles vont donc être décisives.

Résumons-nous. Aux environs de fin mars, un millier d’égyptiens avaient retiré les formulaires de candidature à la présidence. Beaucoup de folklore et une poignée de candidats sérieux. Amr Moussa, ancien ministre des Affaires étrangères de Moubarak, et plus récemment secrétaire général de la Ligue Arabe, Abdel Moneim el  Foutouh, longtemps membre de la Confrérie des Frères Musulmans, dont il fut exclu justement pour avoir présenté sa candidature contre l’avis du parti  et  enfin Hazem Abou  Ismail, porte drapeau des Salafistes, étaient crédités des meilleures chances.

Un dernier obstacle restait à franchir avant les élections : la rédaction de la nouvelle constitution et son approbation par referendum. Cette tâche devait revenir à une commission de cent membres choisis par le parlement. Oui mais voilà : forts de leur majorité absolue au parlement, les islamistes se sont octroyés les trois quarts des sièges de la commission et s’apprêtaient à mijoter une constitution d’une belle couleur verte.

 

Candidat des Frères

Désormais majoritaires au parlement et dans la commission, les Frères Musulmans, qui s’étaient engagés à ne pas présenter de candidat aux présidentielles – d’où l’exclusion d’Abdel Foutouh, -  se sont alors dit, qu’ayant deux chevaux sur trois, ils pouvaient bien essayer le tiercé  et ont fait de Khairat El Shater,  numéro deux du parti,  leur candidat officiel.  L’armée, de plus en plus inquiète devant cette montée en puissance, a alors «encouragé» Omar Suleiman, ancien responsable des services secrets et vice-président pour quelques jours lors de la chute de Moubarak, à se présenter lui aussi.

Pendant ce temps les protestations, contre la composition de la commission chargée de rédiger la constitution, se multipliaient et les membres indépendants de ladite commission démissionnaient ; la Cour Suprême, saisie de l’affaire, annula purement et simplement la commission et demanda au parlement de choisir de nouveaux membres.  Une mesure qui allait inévitablement retarder tout le processus ; or, rappelons le, la constitution doit être ratifiée avant les présidentielles, car elle déterminera, entre autres, les pouvoirs du président.

Quant au parlement, furieux de la candidature de Suleiman, il vote une loi interdisant aux membres de l’ancien régime de se présenter. Cette loi n’a aucun effet car elle n’a pas été ratifiée par le Conseil Suprême des Forces Armées.

 

Candidats disqualifiés

Le délai de dépôt des candidatures étant clos, coup de tonnerre :  la commission électorale ad hoc, créée en vertu de la constitution de transition votée en mal 2011, rejette purement et simplement dix candidats, dont trois de premier plan : il manque à Omar Suleiman 35 signatures ; la mère d’Abou Ismail aurait obtenu la nationalité américaine ce qui disqualifie son fils ; quant à Khairat el Shater,  les longues années passées en prison du temps de Moubarak pour diverses infractions économiques, le rendent inéligible pour les cinq prochaines années. Tous trois on fait appel.

En attendant la décision définitive de la commission sur ces appels, il reste  en lice, théoriquement outre une poussière de candidats, Amr Moussa, Abdel Foutouh et  Ahmed Shafiq, ancien commandant en chef de l’armée de l’air et ancien premier ministre. Et en Égypte comme en Egypte, il y a déjà des théories de conspiration. L’armée, dit on, aurait envoyé Suleiman à une mission suicide ; le rejet de sa candidature permettrait en fait de rejeter aussi celle de  Shater qui ne pourra pas se plaindre d’être seul visé. L’opération profiterait à Shafiq, qui serait le véritable candidat de l’armée.

Inutile de dire que Salafistes et Frères Musulmans sont furieux. Se déclarant porteurs de la volonté du peuple, les uns et les autres évoquent à mots couverts un recours à la force. Les Frères ont bien un candidat de rechange – le président de leur parti «Justice et Liberté»   Mohammed Morsi – mais il n’a ni l’envergure ni le charisme de Khairat el Shater. Les Salafistes eux n’en ont pas.

 

Verdict risqué

Manifestations et contre-manifestations sont prévues pour vendredi prochain 20 avril, quoiqu’il ne soit pas sûr que la commission électorale ait rendu son verdict d’ici là.

Jetant de l’huile sur le feu, le maréchal Tantawi vient d’annoncer que le parlement doit respecter la décision de la Cour et nommer cent nouvelles personnalités non parlementaires qui devront procéder rapidement à la rédaction de la constitution afin qu’il soit possible de la soumettre au référendum avant le second tour du scrutin présidentiel fixé au 8 juin. Mission impossible ? L’avenir le dira.

A ce stade, nul ne peut prévoir quel tournant vont prendre les choses. Ce qui est sûr, c’est que ce fameux printemps arabe qui a fait rêver, non seulement l’Égypte mais encore le monde entier, n’annonçait pas l’aube de la démocratie sur les rives du Nil. Le recours au suffrage universel et à des élections relativement libres n’a rien changé. Les deux forces en présence, dont le combat risque de plonger le pays dans un chaos sanglant, sont l’armée et les islamistes. C’était déjà le cas au temps de Moubarak, mais aussi de Sadate et de Nasser.