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Bonjour Munich 2013, Bonjour la Guerre

 

Par Jean-Pierre Bensimon

24 novembre 2013

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L'accord de "première étape" entre les cinq titulaires d'un droit de veto au Conseil de Sécurité plus l'Allemagne d'un coté, l'Iran de l'autre, a été signé à Genève dans la nuit du 23 novembre. Ce texte ouvre à l'Iran de la révolution khomeyniste, celui de Ali Khamenei, des Gardiens de la Révolution, et des Bassiji, le statut d'État du seuil, c'est à dire celui d'un pays capable d'obtenir une arme nucléaire en quelques semaines s'il en prend la décision politique.

Cet accord survient à la suite de négociations secrètes entre les États-Unis et les équipes de Hassan Rouhani, ratifiées par les cinq autres puissances pour des motifs variés. Il reconnait à l'Iran le droit de conserver l'intégralité de son gigantesque appareil industriel de production de la bombe et de ses vecteurs, et celui de poursuivre les activités d'enrichissement.

L'accord avait été présenté par la Maison Blanche comme une première étape mineure, ouvrant la voie à une négociation complète et définitive de six mois. 

Or cette étape "mineure" introduit un fait juridique majeur. La renonciation à la disposition centrale de toutes les résolutions du Conseil de Sécurité de l'ONU sur le nucléaire iranien, qu'elles relèvent du chapitre 6 ou du chapitre 7 de la Charte, interdisant justement à ce pays toute forme d'enrichissement de l'uranium. 


De plus, dans la logique de l'accord, le consentement donné à l'Iran de conserver intacte sa filière nucléaire (y compris le remplacement des centrifugeuses hors d'usage) devient un droit acté, que les autorités de l'Iran considèreront comme le point de départ des prochaines négociations.

On mesure l'empressement américain à imposer cet accord en observant que dans la précédente mouture, on avait purement et simplement "oublié" un éléphant au milieu du salon, la filière plutonium reposant sur le réacteur d'Arak . D'ailleurs ce réacteur à eau lourde ne sera pas démantelé, il sera gelé.


Pourquoi Barack Obama s'est-il engouffré avec une telle fébrilité dans la voie redoutable qui ouvre à brève échéance la perspective d'un régime khomeyniste doté de la pire des armes de destruction massive ? La réponse est claire: il veut éviter à tout prix d'avoir à se mesurer effectivement aux ambitions des radicaux iraniens au pouvoir, c'est-à-dire d'être effectivement confronté à l'option militaire. Il veut éviter un troisième engagement avec une entité musulmane après les déconvenues de l'Irak et d'Afghanistan. 

Cette orientation a tous les attributs de la rationalité. Qu'y a-t-il de pire que la guerre, qu'y a-t-il de pire qu'un conflit de civilisation avec la fraction la plus entreprenante et conquérante de l'immense monde musulman? C'est ce genre d'évidence rationnelle qui animait Neville Chamberlain, mais pas Édouard Daladier, de retour de Munich en septembre 1938. C'est la jubilation de Chamberlain qui habite surement aujourd'hui Obama. Ils auront gagné du temps l'un et l'autre, mais la réalité de la conquête et de la barbarie viendront en leur temps en boomerang, avec une violence démultipliée, et nul ne sait quelle frontière elles franchiront.

Il faut souligner cependant qu'au-delà de la personnalité controversée d'Obama, les vues dont il est porteur sont partagées par de vastes secteurs des élites américaines. Georges W. Bush avait laissé diffuser en 2007 un lamentable rapport de "synthèse" de l'ensemble des services américains de renseignement (NIE) prétendant que l'Iran avait abandonné tout programme nucléaire militaire depuis 2003. A l'époque l'option militaire était beaucoup plus accessible à moindre coût. En Irak, sa gestion désastreuse de la phase postérieure à la victoire sur Saddam Hussein avait largement contribué à précipiter l'Amérique dans le doute qui la ronge encore aujourd'hui. L'élection et la réélection de Barack Obama à la présidence du pays en sont la plus regrettable expression.

En tout état de cause, la manœuvre absolument géniale de l'establishment khomeyniste, mettant sur le devant de la scène Rouhani, l'un des plus radicaux des siens, grimé en modéré bonhomme, a parfaitement brouillé la nature intime du nouveau régime "partenaire" que les Américain proposent aujourd'hui au monde.

La barbarie de ce régime au plan intérieur est attestée par l'effondrement sans précédent de la fécondité, l'omniprésence de la drogue, les pendaisons d'homosexuels et l'utilisation des formes les plus archaïques de répression du peuple quand il ose s'exprimer. 

Au-delà de ses frontières, l'Iran est aujourd'hui le mentor du Hezbollah au Liban, il est impliquée dans la boucherie de Syrie, il tente de déstabiliser la péninsule arabique en soutenant les groupes chiites en Arabie saoudite et dans les Émirats, il vise à étrangler les sunnites en Irak. Il est présent aussi, directement ou indirectement, dans de nombreux pays d'Afrique, mais aussi en Amérique latine où il a de puissants points d'appui comme au Venezuela ou dans les zones investies par le Hezbollah. Il n'y a pas d'exemple où la présence de l'Iran ou de ses créatures n'est pas associée à des guerres ou à d'autres formes de conflit.

C'est ce régime-là et non une Perse mythique qui vient de recevoir son visa d'entrée dans le club des puissance nucléaires. Aujourd'hui, son négociateur Mohammed Javad Zarif a tout à fait raison de dire que l'accord contient une "référence claire selon laquelle l'enrichissement va continuer", que le "droit à la technologie nucléaire est un droit inaliénable" et que "le combat que nous avons mené depuis plusieurs années avait pour but que la communauté internationale [le] reconnaisse". 

Dont acte, le régime khomeyniste a gagné, la guerre a gagné.