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Obama entre Echecs et Fantasmes

 

Interview de Michel Gurfinkiel- Propos recueillis par Daniel Haïk pour Hamodia

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Pour l’Iran, la détente avec les Etats-Unis est une brillante manœuvre diplomatique, préparée avant même l’élection de Rouhani. 

 

HAMODIA.  Pourquoi cette soudaine cette idylle entre les Etats-Unis et l’Iran ?

MICHEL GURFINKIEL. Il faut distinguer entre deux niveaux. D’une part, sur le long terme, Obama et son entourage ont toujours fantasmé sur une réconciliation globale entre les Etats-Unis et l’islamisme, qu’il s’agisse de l’islamisme sunnite des Frères musulmans ou de l’islamisme chiite iranien. C’était le sens, dès 2009, du discours-manifeste du Caire, prononcé, il ne faut pas l’oublier, au moment même où le pouvoir des mollahs écrasait dans le sang  un « printemps iranien ».

Cela a été également le sens, par la suite, de la temporisation d’Obama sur la question du nucléaire iranien : Washington s’est prononcé en faveur de sanctions économiques de plus en plus lourdes, mais n’a pas envisagé sérieusement une action militaire contre l’Iran ni accordé de feu vert à une éventuelle action militaire israélienne.

L’élection à la présidence iranienne, le 15 juin dernier, de Hassan Rouhani, un homme qui, dans le contexte du régime khomeiniste, peut passer pour un modéré et sait user de cette image, a évidemment relancé ce fantasme. Des négociations discrètes ont été menées au début de l’été entre Washington et Téhéran, et elles avaient suffisamment abouti dès le mois d’août – quand Rouhani a pris officiellement ses fonctions - pour que plusieurs revues américaines influentes diffusent presque immédiatement des articles préparant l’opinion à cette « détente », sinon à ce renversement d’alliance.

La New York Review of Books publie dans sa livraison datée du 15 août un long article en faveur d’un « nouvelle approche envers l’Iran » cosigné, de manière significative – l’union sacrée, pourrait-on dire -, par un universitaire pro-iranien, William Luers, un ancien ambassadeur aux Nations Unies, Thomas Pickering et un homme politique républicain, Jim Walsh. Quant à Foreign Affairs, elle consacre sa couverture de septembre-octobre au chef véritable du régime iranien, l’ayatollah et Guide spirituel Ali Khamenei. Akbar Ganji, un journaliste prestigieux, souvent présenté comme le « Soljénitsyne iranien », y affirme à la fois que Rouhani ne peut se rapprocher des Etats-Unis sans l’accord préalable et l’appui de Khamenei, ce qui est vrai ; et que les Etats-Unis doivent saisir cette « chance », ce qui est plus discutable.

 

HAMODIA. Et à autre niveau ?

MG. A un autre niveau, à plus court terme, Obama a sans doute vu dans un rapprochement avec l’Iran le moyen d’effacer ou de faire oublier ses échecs répétés au Moyen-Orient : en Libye, en Egypte et finalement en Syrie. Une Grande Puissance, c’est un pays qui peut faire la guerre et qui, par voie de conséquence, est en mesure d’imposer sa volonté à d’autres pays. Et « pouvoir faire la guerre », en amont, cela suppose à la fois des moyens techniques (une armée, des armements, des technologies), et des moyens politiques ou moraux (une vision du monde, des objectifs, une détermination). L’Amérique d’Obama a toujours les moyens techniques d’une Très Grande Puissance, mais elle s’est comportée en Syrie, à travers ses tergiversations et finalement sa capitulation diplomatique devant la Russie de Poutine, comme si elle n’en avait plus les moyens politiques ou moraux. Ce que les alliés traditionnels des Etats-Unis ne sont pas près de pardonner au président sur le plan international (des Etats du Golfe à la France de Hollande), ni les Américains eux-mêmes en politique intérieure.

 

HAMODIA. Mais que pouvait faire Obama en Syrie ? Son opinion ne s’opposait-elle pas nettement à une intervention militaire ?

MG. En règle générale, les Américains font bloc derrière leur président quand celui-ci décide de mener une opération militaire à l’extérieur  - quitte à critiquer par la suite la gestion de l’opération. C’est là un réflexe démocratique et patriotique ancré dans leur culture : un réflexe au moins aussi puissant que la tentation récurrente de l’isolationnisme, du repli sur soi. Mais sur la Syrie, ce réflexe n’a pas joué : l’Amérique n’avait plus confiance en Obama sur les questions du Moyen-Orient. Ni sur le fond (l’analyse des situations et des enjeux), ni sur la forme (la mise en place de politiques).

 

HAMODIA.  Imaginons que sur l’Iran, Obama gagne tout de même son pari…

MG On compare souvent Rouhani à Mikhaïl Gorbatchev. Quand celui-ci a lancé sa perestroika en 1986 et décidé de mettre fin à la guerre froide, beaucoup d’Occidentaux ont cru à une ruse et refusé de lui faire confiance – sauf, curieusement, les deux leaders occidentaux les plus anticommunistes, l’Américain Ronald Reagan et la Britannique Margaret Thatcher. Mais Rouhani n’est pas à l’Iran actuel ce que Gorbatchev était à l’URSS des années 1980. Gorbatchev était le maître absolu, le « tsar rouge »,  de son pays : chef de l’Etat et du parti, commandant en chef des armées, chef suprême des services secrets. Rouhani, en dépit de son titre de chef d’Etat, n’est qu’un rouage relativement secondaire d’un régime théocratique dirigé par l’ayatollah Khamenei et la technostructure des Gardiens de la Révolution. Tout laisse donc à penser que son « ouverture » n’est – ne peut être – qu’une manœuvre permettant à l’Iran de desserrer l’étau des sanctions internationales, de gagner du temps sur le plan du nucléaire et de sauvegarder, avec la complicité active de la Russie, ses alliés syrien (Assad) et libanais (le Hezbollah). Dans son article de Foreign Affairs, Akbar Ganji note que Khamenei a laissé entendre publiquement dès mars 2013 – quatre mois avant l’élection présidentielle - qu’un arrangement avec les Etats-Unis était possible et donc souhaitable. Il y a lieu de penser que Rouhani a été choisi dès ce moment pour mener cette nouvelle politique. Et que les comités qui, dans le régime iranien, sélectionnent les candidats à la présidentielle, ont reçu l’ordre de le favoriser – en le faisant apparaître comme un « libéral ».

 

HAMODIA. Qui profite de la désagrégation de la position américaine au Moyen-Orient ? La Russie ?

MG. Poutine a manœuvré brillamment face à un président américain faible et incompétent. Mais la Russie de 2013, ce n’est pas grand chose. Son PNB ne représente que le huitième du PNB américain et ne repose que sur des ventes d’armes, d’énergie et de matières premières. Son budget militaire ne représente qu’un peu plus du septième du budget militaire américain. Elle est moitié moins peuplée que l’Amérique et semble engagée de surcroit dans un effritement démographique irréversible : de 149 millions d’habitants en 1990 à 143 millions aujourd’hui. A terme, le véritable rival, c’est la Chine qui, à  la différence de la Russie, a su se doter depuis trente ans d’une base économique, technologique et militaire moderne. C’est vers elle que les déçus de l’Amérique seront tentés de se tourner. Sauf si un président fort et compétent – un nouveau Reagan - remplace Obama en 2018, ce qui n’aurait rien d’impossible.

 

HAMODIA. Vous mentionniez le « fantasme  islamique » d’Obama. A quoi tient-il ?

MG. Les clés d’Obama se trouvent dans son livre autobiographique, Les Rêves de mon père. Deux faits, qu’il rapporte avec beaucoup de franchise : d’abord, un drame intime : il n’a pratiquement pas connu son père ; ensuite, un drame identitaire : l’Amérique traditionnelle – anglo-saxonne, judéo-chrétienne, blanche - est pour lui une sorte de pays étranger. Il est certes né aux Etats-Unis, mais il n’y a pas passé son enfance. Il n’a pas été élevé dans la foi chrétienne, mais dans un mélange d’humanisme athée et d’islam libéral. Et bien que sa mère soit blanche, il a toujours été considéré comme un Noir.

Comment surmonte-t-il ces deux drames ? A travers l’action politique en vue d’une Amérique nouvelle, multiraciale, multireligieuse, multiculturelle. En fait, il veut enfanter cette nouvelle Amérique qui lui ressemblerait, être à la fois son propre père et celui d’une nation remodelée à son image. Ce qui passe, entre autre choses, par une réconciliation – fusionnelle – avec un islam qui est le contraire même de l’Amérique traditionnelle.

Ce n’est là qu’un fantasme. La politique rationnelle d’Obama se réfère à d’autres considérations, d’autres raisonnements. Mais les fantasmes sont souvent aussi puissants ou plus puissants que la rationalité. Et qui plus est, les fantasmes personnels du président actuel recoupent ceux d’une bonne partie de la société américaine : les Noirs, les  non-Blancs en général, mais aussi les milieux blancs d’extrême-gauche, une partie des élites intellectuelles…

 

HAMODIA. Comment Nethanyahu va-t-il réagir ? Son discours sur la persistance du danger iranien, à l’Onu, était-il à la hauteur ?

MG. Benjalin Nethanyahu est un leader prudent. Il a toujours su éviter un affrontement direct avec Obama. Son discours, à l’Onu, s’adressait avant tout, media voce, à une opinion publique américaine qui se méfie à la fois d’Obama et de Rouhani. Et aux réalistes arabes.

 

HAMODIA. Obama a lié le dossier iranien au processus de paix israélo-arabe…

MG Qui peut encore soutenir sérieusement qu’Israël est au cœur de tous les problèmes du Proche Orient et que tout passe, dans cette région, par la « résolution » du « problème palestinien » ? Depuis près de quatre ans, le monde arabe et islamique n’en finit pas de se décomposer et de se recomposer sous nos yeux, entraîné par ses pesanteurs propres. Une analyste géopolitique, Robin Wright, vient même de prédire dans le New York Times, le quotidien le plus pro-Obama des Etats-Unis, le remplacement de cinq Etats moyen-orientaux (la Syrie, l’Irak, l’Arabie Saoudite, la Libye, le Yemen) par quinze nouveaux Etats à caractère ethnoreligieux. Voilà qui merite au moins autant d’attention que les articles promouvant le « nouvel Iran » du président Rouhani. Et qui relativise le « processus de paix » Jérusalem-Ramallah.