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Limiter la Casse au Moyen Orient

Par Daniel Pipes

Boston Globe 8/12/16

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Dans les 177 ambassades étrangères que compte la ville de Washington, on tente assurément de lire dans le marc de café en se demandant à quoi pourra bien ressembler la politique étrangère du président élu Donald Trump. Or, les incohérences et les contradictions de ce dernier rendent toute prévision en la matière impossible.

C'est pour cette raison qu'en lieu et place de spéculations, je vais me limiter aux priorités qui devront être celles de la politique américaine dans une région particulière, le Moyen-Orient. Je commencerai par définir les lignes directrices avant de parler de points plus spécifiques.

Étant donné qu'il s'agit sur le long terme de la zone la plus instable au monde, l'objectif sera modeste : limiter la casse et éviter les désastres. Les deux derniers présidents n'y sont pas parvenus. Ils ont même fait tout le contraire. George W. Bush a essayé d'en faire trop au Moyen-Orient : on se souvient de sa volonté de construire un pays en Afghanistan, d'apporter la liberté et la prospérité en Irak, d'établir la démocratie en Égypte et de résoudre le conflit israélo-arabe. Toutes ces initiatives ont fini en autant d'échecs cuisants. En réaction à « l'outrance impérialiste » de Bush, Barack Obama a fait l'inverse, décidant d'un retrait prématuré de différents conflits, traçant des lignes rouges qu'il abandonnera par la suite, proclamant un imaginaire « pivot vers l'Asie » et donnant pratiquement carte blanche aux ambitions du Kremlin.

La future politique américaine devra trouver une voie médiane entre ces deux excès : protéger les Américains, promouvoir les intérêts américains et soutenir les alliés de l'Amérique, ne pas ambitionner de remettre de l'ordre dans la région tout en évitant le repli isolationniste, faire des promesses raisonnables qu'il conviendra de tenir et réfléchir avant d'agir.

Comment dès lors appliquer au Moyen-Orient cette approche de bon sens par rapport à des problèmes majeurs tels que ceux impliquant l'Iran, l'Arabie saoudite, la Turquie, la Syrie, l'Égypte et le conflit israélo-arabe ?

L'Iran constitue de loin la plus grande préoccupation. La nouvelle administration américaine devra abroger sans délai et dans sa totalité le mystérieux non-traitéconnu sous le nom de Plan global d'action conjoint ou accord sur le nucléaire iranien. Le président pourra prendre cette initiative de façon unilatérale et accompagner celle-ci d'un ultimatum de sorte que si les Iraniens ne s'exécutent pas à cette date déterminée, c'est le gouvernement américain qui procédera en leur nom à l'arrêt complet de leur projet d'armement nucléaire. C'est la seule façon certaine d'empêcher la République islamique d'Iran de maîtriser l'arme nucléaire, un impératif non seulement pour Israël et les autres pays du Moyen-Orient mais également pour les Américains étant donné que Téhéran est présumé développer du matériel à impulsion électromagnétique susceptible de détruire le réseau électrique américain et de provoquer la mort de 90 % de la population.

Le Royaume d'Arabie saoudite est depuis longtemps un allié ennemi des États-Unis puisque ce fournisseur capital d'énergie finance dans le même temps une version obscène de l'islam. Depuis peu, Riyad a endossé le costume de la grande puissance régionale qui tient tête à l'Iran, un nouveau rôle qui rend la sécurisation de la monarchie plus importante que jamais pour Washington. Heureusement, la jeune génération de dirigeants saoudiens montre une volonté de modération dans l'agressivité traditionnelle déployée par les islamistes, pour autant que le gouvernement américain exerce une pression suffisamment forte.

La romance qui liait naguère l'administration Obama et le président turc Recep Tayyip Erdoğan a subi un déclin fatal. Cela n'empêche pourtant pas Washington d'affirmer qu'Ankara demeure un allié fidèle et d'ignorer publiquement que le gouvernement turc s'est mué en dictature hostile et de plus en plus proche de la Russie et de la Chine. La diplomatie à l'eau de rose n'ayant manifestement pas permis de freiner les ambitions d'Erdoğan, le temps est venu de faire comprendre clairement aux Turcs tout ce qu'ils perdront en matière de commerce, d'aide militaire et de soutien diplomatique s'ils ne changent pas de cap rapidement.

L'indécision d'Obama en Syrie résulte de l'hostilité et du dégoût suscités par trois des quatre principaux acteurs en présence dans le pays : l'État islamique en Irak et en Syrie (Daech), les rebelles arabes sunnites soutenus par les Turcs, les Qataris et les Saoudiens, et enfin le régime de Bachar al-Assad soutenu par les gouvernements russe et iranien. Seules les Forces démocratiques syriennes (FDS) composées des Unités de protection du peuple (YPG) en majorité kurdes sont convenables et amicales. Dans un État qui sombre pratiquement dans le schéma de Hobbes de la lutte de tous contre tous (à l'exception de Daech et Assad qui s'évitent mutuellement), il est impossible à l'administration Obama de définir une politique et de s'y tenir. Si cette situation a le mérite d'aider les FDS, le fait de mettre exagérément l'accent sur la destruction de Daech conduit ces Forces à nouer des alliances boiteuses avec Ankara, Téhéran et Moscou. La solution serait que Washington soutienne les FDS, son seul allié, tout en incitant les trois autres acteurs à s'épuiser mutuellement.

En insistant sur le principe consistant à privilégier les dirigeants démocratiques, même hostiles et élus dans des conditions douteuses, l'administration Obama a, en retenant l'armement et l'aide humanitaire, cherché à punir l'Égyptien Abdel Fattah al-Sissi pour avoir pris le pouvoir au moyen d'un coup d'État. Cette politique d'aliénation gratuite doit être changée au plus vite de sorte que les Américains puissent aider un dirigeant égyptien à peine compétent à conjurer le spectre de la famine et à vaincre les islamistes et donc l'aider à rester au pouvoir et à maintenir les Frères musulmans à l'écart.

Le conflit israélo-arabe, l'un des points de tension les plus dangereux du Moyen-Orient, a été relégué (au moins pour un temps) au second plan. Alors que la petite violence ne cesse pas, le risque d'escalade est devenu moins grand, à une époque de guerre chaude et froide au Moyen-Orient. La nouvelle administration devra indiquer sans délai qu'elle considère Israël comme l'allié le plus proche et le plus important de l'Amérique au Moyen-Orient. Elle devra aussi mettre fin aux incessantes pressions sur Jérusalem en vue de concessions à l'Autorité palestinienne. Mieux encore, elle devra rejeter le faux-semblant vieux de près de 25 ans selon lequel les Palestiniens sont les « partenaires pour la paix » d'Israël et, au contraire, encourager les Israéliens à convaincre les Palestiniens de la nécessité de reconnaître Israël, de façon explicite et définitive, comme l'État juif.

Une politique élémentaire de protection des Américains et de leurs alliés serait une formidable occasion de remédier à une série d'erreurs catastrophiques commises ces dernières années tant par les démocrates que par les républicains.