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OUBLIEZ "LA FEUILLE DE ROUTE"

 

Article par Shlomo Avineri ancien directeur général du ministère des Affaires Etrangères et professeur de sciences politiques à l'Université Hébraïque de Jérusalem.

Paru dans le Jerusalem Post du 7 septembre 2005

Traduit par Artus pour www.nuitdorient.com

 

Maintenant que les Israéliens des implantations ont été évacués de Gaza, la question qui se pose naturellement est "et après?".

Ce qui est admis communément, c'est que la feuille de route parrainée par les Etats-Unis soit réanimée, que les négociations israélo-palestiniennes reprennent et qu'une action internationale soit menée pour aboutir à un accord définitif et résoudre le conflit israélo-arabe.

Bien que l'intention soit bonne, cette approche s'appuie sur une grande illusion. Toute négociation devrait définir des frontières entre Israël et la Palestine, le sort de plus de 200 000 Israéliens résidant en Cisjordanie, le statut de Jérusalem et résoudre le problème des réfugiés arabes de 1948.

Il n'y a aucun signe qui permette de penser que le gouffre qui sépare les positions des deux parties sur tous ces sujets soit comblé, depuis la débâcle de Camp David en 2000, quand ces parties n'ont pas réussi à trouver un quelconque arrangement.

Bien au contraire! 5 ans de terreur palestinienne et d'attentats-suicide, ainsi que les parfois brutales ripostes israéliennes ont approfondi le fossé de la peur, de la haine et de la méfiance. Et les considérations de politique intérieure des deux parties n'ont pas favorisé des négociations fructueuses. La politique du 1er ministre Ariel Sharon a divisé en profondeur son propre parti, le Likoud, et a amené des petits partis de droite à quitter sa coalition. Le participation du parti travailliste à son gouvernement a apporté à Sharon une étroite mais instable majorité parlementaire.

Des élections anticipées pointent déjà à l'horizon politique et quiconque imagine que le gagnant sera capable de former un gouvernement apte à négocier, la "redivision" de Jérusalem, à titre d'exemple, est en dehors de toute réalité.

 

Les Palestiniens souffrent du même problème. Contrairement à son prédécesseur, l'actuel chef Palestinien, Mahmoud Abbas, réalise qu'il doit établir son contrôle sur une douzaine de services de sécurité quasi-autonomes et sur des milices armées. Il n'a à ce jour montré aucune aptitude ni volonté à désarmer l'aile militaire du Hamas, pour pouvoir asseoir son régime et une seule autorité. Il est inconcevable d'imaginer qu'Israël puisse négocier avec une Autorité Palestinienne incapable de s'affirmer face à des bandes armées et des terroristes. Il est de même absurde de croire qu'une telle Autorité, à la merci de fondamentalistes islamiques en armes, pourrait négocier un accord qui abandonne l'espoir d'un "droit au retour" des réfugiés, espoir nourri par 50 ans  de propagande.

 

Admettant ces difficultés, certains envisageraient une version plus nuancée de la "feuille de route", limitant son objectif à un simple accord sur un état Palestinien avec des "frontières provisoires". Cette solution peut paraître raisonnable, mais elle ne peut aboutir. Même si Israël accepte cette formule ouverte et floue, les Palestiniens insisteront sûrement pour obtenir un accord qui définisse des frontières définitives, basées sur la ligne verte de 1967. Aucun gouvernement israélien ne sera capable ni ne voudra prendre un tel engagement, qui suppose le déracinement d'un quart de million d'Israéliens.

Alors qu'est-ce qui reste à faire? La seule approche raisonnable est d'admettre –comme Chypre, la Bosnie, le Kosovo et le Cachemire, où on n'a pas trouvé de solution pendant des décennies – que les parties peuvent évoluer vers une stabilisation, une désescalade de la tension, sans un statut final. En d'autres termes, il est temps de réaliser qu'il n'y a pas d'alternative à ce conflit en dehors de sa gestion.

 

La "gestion de ce conflit" pourrait inclure d'autres désengagements unilatéraux de 20 ou 30 implantations en Cisjordanie, impliquant 20 000 personnes. Quoique difficile, ceci est politiquement faisable, sans doute aujourd'hui. Les Palestiniens pourraient se plaindre amèrement que cela n'est pas assez, comme ils le font toujours. Mais après s'y être opposés, ils célèbrent aujourd'hui le désengagement de Gaza comme une décision dans la bonne direction. Pour sa part l'Autorité Palestinienne essaiera de prouver qu'elle peut établir un semblant d'ordre politique, basé sur "un gouvernement, une loi, un fusil", comme le répète Abbas. L'Autorité Palestinienne pourrait aussi apaiser la peur des Israéliens due à la non-reconnaissance de l'existence d'un état Juif, en essayant d'installer les réfugiés de 1948 dans des logement permanents, à leur portée, en les informant progressivement, ainsi que leurs descendants, de la dure réalité et qu'ils ne pourront jamais revenir en Israël.

Comparée à la "feuille de route" initiale, cette approche peut paraître dénuée d'ambition, mais on ne voit pas d'autre stratégie faisable. L'échec du plan Annan pour Chypre, par exemple, a montré les limites de toute intervention extérieure, quand il n'y a pas de bonne volonté locale. Essayer de reprendre des négociations Israélo-Palestiniennes aujourd'hui est une initiative vouée à l'échec. Et comme Camp David 2000 l'a montré, cet échec ne signifie pas le retour à la case zéro, mais plutôt une plongée dans les abysses.

Comme on le voit en Irak, les visions utopiques ne marchent pas; le réalisme offre une meilleure chance, et c'est la seule partie à jouer.

 

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