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POURQUOI SHARON L’A-T-IL FAIT ?


Par AMIR TAHERI, journaliste iranien basé à Paris – New York post du24 Mars 2004

Traduit par Stéphane Teicher

 

"Dans mes prières, je demande toujours à Allah Tout Puissant de me bénir en me donnant l’honneur du martyr". Voilà en quels termes Sheikh Ahmed Yassin exprimait souvent son voeu le plus cher.

Malgré de telles phrases, le sheikh prenait toujours un très grand soin à ne pas se trouver pris dans une situation qui l'aurait confronté au martyr. Et pourtant l’autre jour, le leader du Hamas a vu son vœu se réaliser par un commando Israélien, envoyé pour l’éliminer sur ordre de son ennemi le plus déterminé, le Premier Ministre Ariel Sharon.

Mais pourquoi Sharon aurait-il voulu faire disparaître le sheikh et pourquoi maintenant ?

 

L’"assassinat ciblé" de Yassin pourrait être vu comme un élément d'un plan plus large de Sharon qui vise à retirer les forces Israéliennes de Gaza et à démanteler les implantations juives qui s’y trouvent. Sharon ne veut pas que son retrait de Gaza ressemble au retrait d’Ehoud Barak du Sud Liban, que le Hezbollah a transformé en une grande victoire pour lui. Sharon veut quitter Gaza en position de force. Pour cela, il doit démanteler l’infrastructure du Hamas, au maximum.

 

Avant de se retirer, Sharon doit trouver quelqu’un pour assumer le contrôle de Gaza. Des négociations secrètes se déroulent depuis des mois avec l’Egypte. L’Egypte, qui a administré Gaza entre 1947 et 1967, a fait connaître son intérêt à jouer un rôle pendant une période intérimaire, à deux conditions:

 - Elle ne doit pas se retrouver face à des groupes radicaux armés qui pourraient retourner leurs armes et leurs porteurs de bombes suicide contre les forces Egyptiennes après le départ des Israéliens.

- L'Occident doit fournir une aide financière d’urgence pour faire revivre l’économie de Gaza et donner du travail à au moins une partie de la population active – qui, coupée du marché du travail Israélien, se trouverait dans une situation désespérée.

 

L’espoir de Sharon est de ressusciter le plan "Gaza d’abord", élaboré initialement par Shimon Peres en 1993. L’idée est de laisser Gaza former son propre destin, du mieux qu'elle peut. Mais Gaza pourrait facilement devenir un second Liban Sud, et donc une nouvelle épée de Damoclès sur la tête d’Israël. Voilà pourquoi Sharon veut que tous les groupes Palestiniens à Gaza soient désarmés avant que l’enclave ne passe sous le contrôle de l’Egypte, l’un des deux seuls états arabes à avoir signé un traité de paix avec Israël.

 

Sharon pense aussi qu’en décapitant le Hamas – et dans ce contexte, il faut  s’attendre à d’autres « éliminations ciblées » –il pourrait mettre un terme rapide à l’Intifada (soulèvement) actuelle. C’est une tactique similaire qui a été utilisée pour mettre fin à la première Intifada, avec l’élimination de ses principaux leaders, et en particulier Khalil al-Wazir (Abou Jihad), le N° 2 de Yasser Arafat et son partenaire le plus proche.

On peut aussi rapprocher la programmation de l’assassinat de Yassin de deux autres faits.

* Elle a eu lieu quelques jours seulement avant le sommet arabe de Tunis – au cours duquel la Syrie, soutenue par son Etat client le Liban, envisageait de promouvoir une nouvelle version du “front du refus” à la fois contre Israël et contre l’initiative Américaine pour un nouveau Moyen Orient.

* Sharon doit bientôt se rendre à  Washington pour décourager toute velléité de retirer le Hamas de la liste des organisations terroristes internationales du Département d’Etat.

 

Mais sans doute la raison la plus importante qui a convaincu Sharon qu’il peut frapper le Hamas au niveau le plus élevé de sa direction, est la conviction d’Israël que le mouvement radical Palestinien perd de sa dynamique. En 2003, le nombre d’Israéliens tués par le Hamas et les autres groupes radicaux comme le Jihad Islamique pour la libération de la Palestine a baissé de près de 50%par rapport à 2002. Bien que cela soit dû en partie à un travail de prévention plus efficace, il y a eu aussi une forte chute du nombre des attaques planifiées.

Le Hamas et pratiquement tous les autres groupes radicaux Palestiniens ont rencontré des difficultés croissantes pour attirer de nouvelles recrues, en particulier pour les opérations suicide. Le Hamas fait aussi face à des difficultés financières. La chute de Saddam Hussein a clos ce qui était devenu la plus importante source de fonds du Hamas ces cinq dernières années. Plusieurs autres pays arabes ont été contraints de fermer des circuits par lesquels les fonds étaient collectés et dirigés vers le Hamas.

Les Etats Unis tout comme l’Union Européenne ont aussi coupé des sources de financement du Hamas  (jusqu’en 200, près de la moitié des contributions financières au Hamas provenaient d’organisations basées aux Etats-Unis).

Les discussions entre le Hamas et l’Iran, qui se sont tenues à Téhéran en Février, n’ont pas réussi à provoquer une augmentation massive des contributions de l’Iran. Depuis Novembre dernier, la récompense en liquide offerte aux familles des « martyrs suicide » a été réduite de 25 000$ à un peu plus de 11 000$.

 

Le coup de poker de Sharon à Gaza peut sembler un étonnant mouvement tactique. Ce dont nous avons besoin toutefois, c’est d’une stratégie visant à permettre l’émergence d’un nouveau leadership Palestinien. Pris entre des leaders « suicidaires » comme Yassin, et des despotes corrompus comme Arafat, les Palestiniens n’ont aucune possibilité de mettre en place un leadership politique propre et modéré, qui puisse sortir la nation de l’impasse actuelle et la mener sur le chemin d’une paix basée sur le principe de deux Etats.

La majorité des Palestiniens sait que les attentats suicide n’ont jamais assuré la liberté et l’indépendance d’une nation. Ils savent aussi que la coterie d’Arafat est incapable de réaliser ce projet et elle y serait même opposée. Et la combinaison d’Arafat, avec sa corruption financière, et de Yassin avec ses escadrons suicide, a laissé peu de place à l’émergence d’un leadership alternatif.  Et sans un tel leadership palestinien, les perspectives d’une cessation durable de la violence resteront faibles.

Dans les années 1980, Israël a aidé à la création du Hamas, comme contrepoids à l’Organisation de Libération de la Palestine. Dans les années 1990, Israël a sorti Arafat de sa tombe politique pour prendre de vitesse le leadership palestinien modéré qui avait émergé avec des gens comme Faisal al-Hussaini et Heidar Abdul-Shafi .

Ces leaders avaient fait le choix stratégique d’accepter Israël comme une réalité (1), une chose que ni Yassin ni Arafat n’avaient été capables de faire. Le résultat, c’est que la majorité des Palestiniens sont privés de tout rôle significatif dans la formation de leur avenir. La fin de Yassin peut provoquer un bouquet final d’attentats suicide. Mais après, nous serons en face de la vraie question: comment aider les Palestiniens et les Israéliens à sortir de l’impasse de la violence et de la terreur.

 

Note de www.nuitdorient.com

(1) quelques jours avant sa mort, Faïçal al Husseini a donné une interview au Jerusalem Post où il précisait que l'objectif final des Palestiniens était un État allant du Jourdain à la mer, l'acceptation d'un état croupion n'étant qu'une tactique provisoire, ce qui donne la mesure de la modération de cet homme neveu de Haj Amine al Husseini, nazi notoire.

 

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