www.nuitdorient.com

accueil -- nous écrire -- liens -- s'inscrire -- site

DARFOUR,

AU SOUDAN, LE MONDE VEUT IGNORER LES LEÇONS DU RWANDA

 

Par Paul Rusesabagina, auteur avec Tom Zoellner de "Un homme ordinaire", publié cette semaine par les éd Viking. Le film "Hôtel Rwanda" est fondé sur une histoire vécue par l'auteur, comme directeur d'un hôtel qui a sauvé la vie de nombreux Toutsis, en leur offrant un refuge à l'hôtel "1000 collines" à Kigali, Rwanda. Il vit à Bruxelles et il a reçu le prix de la liberté en 2005 du National Civil Rights Museum.

Paru dans Opinion Journal (émanation du Wall Street Journal) du 9 avril 2006.

Traduit par Albert Soued, www.chez.com/soued/conf.htm pour www.nuitdorient.com

 

L'histoire nous montre que les génocides arrivent seulement quand 4 conditions sont réunies. Il faut d'abord le prétexte d'une guerre en cours. Les griefs ethniques sont exagérément mis en avant et exploités. Puis le gouvernement décidé au génocide délègue ses pouvoirs d'exécution à des citoyens ordinaires, tout en persuadant le monde extérieur qu'il ne se passe rien et qu'il n'y a rien à voir. Ce dernier point est le plus scandaleux, car aujourd'hui un génocide est en cours sous nos yeux au Darfour-Soudan, et la communauté internationale ne fait rien pour arrêter le massacre, ou très peu.

Ce qui se passe aujourd'hui au Darfour est la copie conforme de ce qui s'est passé dans mon pays, le Rwanda, qu'on a laissé saigner à blanc d'Avril à Juillet 1994.

Les Nations Unies n'ont pratiquement rien fait pendant le déroulement de ce génocide. Un simple détachement de 6 à 7000 soldats de la paix bien équipés aurait pu arrêter la tuerie, sans risque, et aurait envoyé un message fort au monde qu'on ne tolérera plus de meurtres de masse de civils, un message puissant, tel que "plus jamais cela". Mais cette simple action semblait être hors de portée des Nations Unies, des Etats-Unis, de l'OTAN, de la Communauté européenne ou de tout autre organisme ayant le pouvoir de faire cesser un nouvel holocauste.

Aujourd'hui il y a 7000 soldats de l'Union Africaine (UA), stationnés au Soudan, et cela semble être un simple exercice de relations publiques, car ces troupes n'ont aucun équipement, pas d'hélicoptère, ni jeep, ni munitions. Et encore plus, elles n'ont aucun objectif précis, ni règles d'intervention et beaucoup de soldats semblent plus intéressés à encaisser leur solde plutôt que de séparer les milices Janjaweed, encouragées par le gouvernement soudanais, de leurs victimes, d'inoffensifs villageois. L'UA a récemment dit qu'elle restait jusqu'à fin septembre et que son remplacement pas des troupes de l'Onu pourrait avoir lieu à ce moment là; mais à ce moment là, le génocide aura duré 3 ans et emporté plus de ½ million de vies (1).

En fait, la controverse est liée à la crainte que le gouvernement soudanais ne transforme l'invasion janjaweed en "insurrection" contre les troupes étrangères de l'Onu, à l'image de la guerre en Irak. Mais nous ne devons pas trembler devant ces menaces. Allons-nous permettre à des assassins de nous intimider et de nous empêcher de sauver des vies humaines?

Sur le plan historique, j'ai le regret de constater que la réponse a toujours été "oui!" Quand le génocide s'annonçait, les Nations Unies ont montré plus d'intérêt à ne pas offenser la souveraineté d'un de ses membres, même quand des horreurs se produisaient aux frontières de ce pays. En fait la "souveraineté nationale " est un euphémisme pour parler de l'orgueil d'un dictateur. Le Darfour est dans ce cas précis, et le monde ne peut plus se permettre ce genre d'apaisement.

La leçon qu'on peut tirer, c'est que les Nations Unies ont non seulement besoin d'être réformées, mais on doit repenser toute la philosophie du maintien de la paix. Les nations doivent accepter que la menace d'extinction raciale est un crime contre l'humanité qu'on doit stopper net, toutes affaires cessantes, par des actions concrètes sur le terrain. Et le Conseil de Sécurité de l'Onu doit créer des moyens d'intervention rapide, qui lui font défaut à ce jour, qui puissent transporter des troupes et des équipements lourds, tels qu'hélicoptères et jeeps, sur le champ, là où apparaissent des indices flagrants de génocide. Ces moyens ne doivent pas faire l'objet de marchandages interminables, de réserve ou de test de bonne volonté. Ce n'est pas leur puissance de feu qui compte et, sans dépasser 10 000 hommes, ces troupes ont pour but surtout d'envoyer un message clair aux dirigeants des régimes qui ont des velléités de génocide (2), le message que le monde entier refuse d'entériner leurs atrocités. Ces moyens auraient pu éviter la tragédie du Rwanda, sans qu'un seul coup de feu ne soit tiré. Ils peuvent éviter le pire au Darfour.

 

L'Histoire nous offre plus d'une leçon à propos des génocides. Les apologies, les récriminations et les résolutions du type "jamais plus cela" ne commencent que lorsque le génocide est accompli en toute sécurité, et quand vient alors le moment "sûr" de pleurer le manque d'action. Cette fois-ci il faudra détromper l'Histoire. Le projet d'éliminer une race entière devrait être considéré comme un tabou plus important que celui de la "souveraineté nationale".

Le Rwanda, c'est terminé, et tout le monde en porte le deuil, en toute quiétude et confort. Devrions-nous attendre que le génocide en cours au Darfour soit clos, avant de commencer à dire "Plus jamais cela"?

 

Notes du traducteur

(1) sans compter plus de 2 millions de personnes déplacées sur place ou dans le Tchad voisin, de même ethnie que les victimes soudanaises.

 (2) cela fait 6 mois que le chef de gouvernement iranien n'arrête pas de menacer Israël de génocide nucléaire, sans que les Nations Unies ne s'en émeuvent outre mesure.

 

© www.nuitdorient.com par le groupe boaz,copyright autorisé sous réserve de mention du site