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LA LUTTE CONTINUE POUR LA LIBERTÉ DE LA PRESSE SOUS L'AUTORITÉ PALESTINIENNE

 

Par Khaled Abou Toameh, journaliste, correspondant du Jerusalem Post pour les affaires palestiniennes depuis 2002, producteur TV et co-auteur de "qu'est-il arrivé à la réforme de l'Autorité Palestinienne".

L'article qui suit est basé sur une conférence donnée à l'Institut des Affaires contemporaines à Jérusalem le 1/12/2005, résumée dans Jerusalem Issue Brief - Vol 5 N° 14 du 2/1/2006

Traduit par Albert Soued, www.chez.com/soued, pour www.nuitdorient.com

 

Quand Arafat est arrivé à Gaza en 1994, nous avions l'espoir que les Palestiniens auraient une presse libre comme celle des Juifs. Hélas, le premier acte de l'OLP (Organisation de libération de la Palestine) a été de prendre des mesures sévères à l'encontre, non pas du Hamas ou du Jihad Islamique, mais des médias Palestiniens. Le résultat a été que les journalistes locaux, y compris ceux qui travaillaient pour Reuters, AP (Associated Press) et qui avaient des bureaux indépendants, ont vu leurs locaux incendiés. Certains d'entre eux ont été arrêtés, d'autres battus ou leur matériel a été confisqué. Le plus triste était de voir les médias étrangers muets sur ces événements.

 

La "mentalité arabe" des médias affiliés à l'OLP

 

Pourquoi ces mesures sévères à l'encontre des journalistes? Parce que ceux qui sont venus de Tunis avaient "la mentalité des dictatures arabes à la Nasser", n'ont pas vécu en Palestine, n'ont jamais parlé à un Israélien, n'ont jamais connu la liberté de la presse. Ils voulaient être sûrs que les médias seraient à 100% à leurs bottes. Pour avoir un contrôle absolu, ils ont nommé les rédacteurs des nouveaux médias qu'ils ont financés, après avoir fermé ceux qui existaient.

Ainsi Jibril Rajoub s'est attaqué à An Nahar journal pro-jordanien de Jérusalem et l'a fermé. Un journal édité par la famille Khatib qui travaillait sous licence israélienne entre 1967 et 1994 a été incendié et l'éditeur s'est enfui à Londres. Aujourd'hui il y a 3 journaux Palestiniens, Al Qouds, organe privé, Al hayam et Al H'ayat al Jadida, les deux financés par l'Autorité Palestinienne (AP). Il y a aussi une Tv palestinienne du niveau de celle des dictatures arabes voisines, qui ne présente que la ligne officielle. Et les Palestiniens en sont malades et ils vomissent les nouvelles centrées sur leur président et ses ministres et leurs réceptions…

En 1995 sous Arafat, l'AFP (Agence France Presse) a envoyé un photographe dans les rues de Gaza pour prendre des vues de la vie ordinaire. Il revint avec une photo d'enfants jouant avec un âne sur la plage. Dès la publication de la photo, le photographe a été arrêté et battu, parce qu'il "ridiculisait les Palestiniens les présentant comme un âne"! Une autre fois un rédacteur a été arrêté parce qu'il avait omis de publier en 1ère page une histoire à propos d'Arafat!

Il y eut néanmoins quelques avancées positives vers une presse plus libre, parce qu'il y a  des journalistes Palestiniens compétents et professionnels, et tous ne sont pas des marionnettes à la solde de la révolution ou de son président. Mais hélas les meilleurs travaillent aujourd'hui pour la presse étrangère.

 

Reportage sur la rue Palestinienne

 

Beaucoup de mes collègues étrangers ont essayé d'ignorer la voix de l'homme de la rue. Pourtant pour savoir ce que pensent les Palestiniens, il faut écouter les gens dans les cafés, et il ne suffit pas d'interviewer des officiels. Il m'est arrivé d'aller à Naplouse et d'écouter des gens me dire: "tu sais quoi? Nous espérons réellement que les Israéliens vont revenir réoccuper Naplouse. Ce n'est pas par ce que nous aimons Israël, mais c'est parce que nous en avons marre de l'AP et de sa corruption".

La presse étrangère rapporte rarement ces histoires de corruption, d'abus des droits de l'homme et de tout ce qui se passe sous l'AP. Cette presse refuse ou rechigne à rapporter les frustrations du peuple palestinien dues à la mauvaise gestion du pays, à l'abus de pouvoir et au monopole de l'OLP (1).

 

Une intifada contre l'AP?

 

L'intifada qui a commencé en septembre 2000 n'a pas éclaté du fait d'une menace sur la mosquée d'al Aqsa, mais en fait elle était dirigée d'abord contre les défaillances de l'AP. Il suffit de voir tous les signes de mutinerie quelques semaines avant, les attaques contre les installations de la sécurité à Naplouse, Ramallah, Toulkarm et Jénine. Et pour la 1ère fois à la télévision, on parlait de la corruption de l'AP. Aussi je pense qu'Arafat a compris le danger pour lui et a trouvé une occasion pour diriger toute cette frustration prête à éclater contre lui vers Sharon et les Israéliens.

Quand Bush a annoncé son boycott d'Arafat, les langues se sont également déliées, le sujet de la corruption n'était plus tabou et les revendications de réforme, de démocratie et de liberté de la presse ont commencé.

 

Les médias sous Abou Mazen

 

Malheureusement rien n'a changé sous le gouvernement d'Abou Mazen. Seule sa photo a remplacé celle d'Arafat sur la 1ère page des 3 journaux du pays. Les journalistes ne semblent pas libres d'écrire ce qu'ils souhaitent. On espère, mais on ne voit aucun changement. On voit plutôt l'inverse, un ordre d'Abou Mazen interdisant de rapporter les divergences internes, une directive aux reporters de ne pas filmer les hommes masqués avec leurs armes dans la rue.

 

La loi et l'ordre à Gaza

 

Gaza est contrôlé par des milices armées, l'AP paie les salaires, mais les miliciens contrôlent la rue et vous ne savez pas à qui vous avez affaire derrière chaque masque. 150 hommes armés peuvent encercler une maison, tirer un général de son lit, et l'abattre dans la rue, juste à côté du bureau d'Abou Mazen et personne n'a rien vu, ni entendu, on ne trouve pas de témoin… La situation est chaotique, dangereuse et Abou Mazen ne fait rien pour mettre un terme à cette situation, mais peut-il faire quelque chose? À Gaza, chacun a une arme et l'ambiance est effrayante.

Qui voulez-vous qui vienne investir ici quand le chaos et l'illégalité augmentent tous les jours ? C'est le problème n°1 à résoudre: lutter contre l'anarchie, la corruption et l'illégalité. Or c'était justement le programme d'Abou Mazen sur lequel il a été élu. Et on en est au même point.

 

La jeune garde contre la vieille garde

 

Abou Mazen ne peut plus ignorer la jeune garde qui cherche à le remplacer, mais y a-t-il une différence entre les deux gardes? Quelle différence y a-t-il entre Barghouti et Abou Mazen? Ce dernier croit aux vertus de la négociation pour aboutir sur le plan politique, mais la jeune garde pense qu'il faut mener en parallèle la négociation et la "résistance", c'est à dire le "terrorisme", en terminologie israélienne. La jeune garde n'est pas prête à renoncer à l'option militaire. Et le mot "victoire" n'a pas le même sens pour les uns et pour les autres. Qui a gagné aux primaires du Fatah de Naplouse et de Jénine? Les chefs des Brigades des Martyrs d'al Aqsa, ceux qui défilent armés et masqués.

La jeune garde cherche à prendre le pouvoir et, effrayés, ceux de la vieille garde commencent à quitter le pays, vers d'autres pays arabes. Abou Mazen n'envoie que des signes de faiblesse, cherchant apaiser les uns et les autres, Hamas, Fath, Jihad Islamique, Israël, Etats-Unis, pays rabes, vieille garde, jeune garde…et ça ne peut pas marcher.

 

D'abord c'est le Fatah et les forces de sécurité palestinienne qui sont responsables de l'anarchie et du non respect de la loi. Tout simplement parce que ces forces de sécurité agissent en milices privées. Et d'après les chiffres disponibles au Ministère de l'Intérieur le Fatah est responsable de la plupart des incidents et de la violence de 2005.

Les Palestiniens dans leur majorité souhaitent la démocratie. Ce sont les gens les mieux éduqués du monde arabe et de plus, ils ont côtoyé les démocraties israélienne et occidentale. Et contrairement à d'autres pays arabes, il y a un débat ouvert dans la société palestinienne. La démocratie viendra certainement, mais pas demain. Car aussi longtemps que des bandes armées sillonneront les rues, que "les forces de sécurité" agiront comme bon leur semble et aussi longtemps que la loi n'est pas appliquée, il ne peut y avoir de démocratie.

 

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