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L’ATLANTIDE DES JUIFS ARABES

 

Par Stéphane Juffa

© Metula News Agency 18/02/09

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Le documentaire intitulé Les réfugiés oubliés est un film de notre ami Michaël Grynszpan – c’est vrai que nous n’avons pas beaucoup d’amis, mais cela ne nous dérange pas, nous remplaçons la quantité par la qualité – consacré aux Juifs des pays arabes forcés à l’exil depuis 1945.

Première projection télévisée en Israël, sur la 1ère chaîne publique, de ce film pourtant terminé en 2005, et récipiendaire de nombreux prix internationaux. Il a été projeté à l’ONU et au Congrès américain bien avant qu’il n’intéresse les télévisions de l’Etat hébreu.

Après sa projection au Congrès des Etats-Unis, il y a même donné lieu au vote d’une résolution sur les réfugiés juifs des pays arabes.

 

"Les réfugiés oubliés" a été diffusé sur la chaine américaine PBS à plusieurs reprises ; PBS, le nec plus ultra de ce qu’on peut faire à la télévision. Même la RTVI, la France 24 russe, a projeté le film de Grynszpan.

Un documentaire qui a raflé de nombreux prix internationaux, dont celui du meilleur film documentaire au Festival du film de Marbella, en 2007, parmi plus de 600 films candidats.

Hier, j’ai eu un long entretien téléphonique avec Michaël, lui à Tel-Aviv, moi à Métula, comme cela nous arrive assez souvent. Naturellement, sans l’avoir préconçu, ça a tourné à une sorte d’interview. La première de mes questions étant, bien entendu, "pourquoi la télévision israélienne a-t-elle attendu près de quatre ans pour diffuser ton film ?".

 

"Parce qu’elle reste enfermée dans une lecture strictement sioniste de l’histoire", m’a répondu Michaël, "pour eux tout tourne autour du renouveau national juif, et ils ne se préoccupent guère de ce qui pouvait exister avant cela. C’est comme si le monde commençait avec la création d’Israël, le monde juif en particulier.

C’est de cette manière que l’Etat hébreu a, par exemple, participé à la quasi extinction du Yddish ; jusqu’à récemment, parler ce dialecte judéo-allemand en Israël participait presque d’un forfait culturel. C’est ainsi que l’establishment n’aime pas considérer ce qui existait avant Israël, et que cela ne prend que très peu de place dans les livres d’histoire.

Pourtant", continue Grynszpan, ce petit-fils d’émigrés polonais, qui persiste à écrire son nom avec un "sz", qui produit le son "ch" à Varsovie et à Lodz, la civilisation des Juifs-arabes était d’une richesse inouïe.

 

Elle avait commencé à exister au moins mille cinq cent ans avant la venue des musulmans et, au moment de la création de l’Etat d’Israël, ne comptait pas moins d’un million d’âmes".

 

Michaël Grynszpan insiste sur un fait aux conséquences politiques aussi importantes que multiples : la moitié des Israéliens d’aujourd’hui, soit plus de trois millions cinq cent mille personnes, sont les descendants de ces réfugiés.

 

Ils sont donc la négation vivante de l’équation simpliste avancée par les éradicationniste arabes, de même que par les pseudo-néo-existentialistes européens du courant schattnérien.

 

Les premiers s’épuisent à avancer que l’Etat hébreu est une relique de la Shoa nazie, et que l’Europe a laissé s’implanter les rescapés de ses crimes sur un territoire appartenant aux Arabes, qui n’avaient pas participé à l’extermination des Juifs.

Les seconds établissent – ce qui les force à malmener quotidiennement la vérité factuelle – que ces Européens-juifs sont des colonisateurs dans l’équation sartrienne de l’existentialisme, tandis que les Palestiniens et les Arabes sont les bons sauvages autochtones, auxquels tout est permis. Même le terrorisme.

 

Le film de Grynszpan, avec les données qu’il rafraîchit, met en lumière que plus de la moitié des citoyens d’Israël – de même que leurs parents – n’ont pas subi la Shoah, et qu’ils sont au moins aussi indigènes de cette région que ne sont les Arabes.

Des Arabes qui eux furent les authentiques colonisateurs, et qui persistent à appeler colonies (Wakf), les contrée asservies par l’islam, à l’instar d’Israël.

 

Plus de la moitié de la population d’Israël est donc originaire de la région, depuis plus de deux fois plus de temps que ceux qui prétendent qu’ils sont des étrangers à cette terre ; cela réduit bien entendu à une poignée de sable le concept du colonisateur issu de civilisés, importé dans le but de faire suer le burnous. Au temps pour le Hamas et les Schattnériens !

 

J’avais parlé à Sami El Soudi des réflexions que m’a inspirées le film de Grynszpan, que je voyais dimanche pour la quatrième fois. Avec son honnêteté habituelle, mon camarade palestinien n’a même pas cherché à nier les faits, lui qui est persuadé qu’au moins 50% de ce qu’on définit désormais comme le peuple palestinien était juif il y a cinq siècles au plus.

Mais Sami d’ajouter : "si l’Egypte, l’Irak, le Liban, le Maghreb ont maltraité les Juifs et qu’ils les ont dépossédés et forcé à partir, en quoi cela me concerne-t-il, moi, le Palestinien ?

En quoi devrions-nous payer pour les fautes des pays arabes ? En renonçant à une solution équitable pour réparer le tort fait par les Juifs aux Palestiniens lors de la création de votre Etat ?".

 

Hier j’ai posé la question d’El Soudi à Grynszpan, qui en a paru surpris. "En 48, ce ne sont pas les ancêtres d’El Soudi qui avaient déclaré une guerre d’extermination contre l’Etat nouveau-né d’Israël. Ce fut la Ligue Arabe qui lança les armées d’Egypte, du Jordanie, de Syrie, d’Irak, et du Liban afin d’éradiquer Israël.

 

Avant cette décision, il n’existait ni réfugiés palestiniens, ni réfugiés juifs des pays arabes. En fait, c’est la ligue des Etats Arabes qui est à la fois responsable de l’exode d’une partie des Arabes palestiniens et de celui, total, des Juifs arabes.

 

La résultante de leur agression fut l’exil pour 300 000 Palestiniens, 700 000 de sources arabes ; mais, parallèlement à eux, et dans le cadre du même différend, ce sont un million de Juifs des pays arabes qui furent contraints de fuir.

Et ils n’étaient pas uniquement plus nombreux que les Palestiniens, ni seulement installés depuis beaucoup plus longtemps qu’eux, ils avaient dix fois plus de biens et de propriétés foncières que ce que les Arabes de Palestine ont été contraints d’abandonner. On estime à 30 milliards de dollars la fortune qui leur a été dérobée à leur départ, d’autres sources universitaires avançant même le chiffre de cent milliards de dollars.

Et aujourd’hui, après les pogroms et les persécutions qui se sont généralisés après la défaite de la Ligue Arabe, et qui s’est poursuivie avec des expulsions, entre 49 et la fin des années 60, il ne reste plus de ce million d’êtres humains, installé depuis des millénaires avec sa culture, que quelques milliers de vieillards, trop faibles ou trop malades pour prendre le chemin de l’exil.

 

Quelques 650 000 réfugiés ont rejoint Israël, qui a donc été appelée à prendre financièrement en charge les émigrants dévalisés dans leurs pays d’origine. Les autres ont fondé des communautés en Europe et aux Etats-Unis ; même s’ils ont été dépossédés de leurs biens au prétexte de la naissance d’Israël, tous n’étaient pas sionistes", s’arrête Grynszpan.

Certains des dirigeants israéliens se montrent passionnés par le parallèle problématique entre les réfugiés arabes reconnus et les réfugiés juifs oubliés. D’autres, comme Tzipi Livni, ne veulent surtout pas en entendre parler, dans l’espoir, probablement, que la boîte de Pandore des réfugiés réciproques pourra demeurer fermée lors de la dernière rectiligne des négociations avec les Palestiniens en vue de décider du statut final de la région.

 

Le film de Michaël est bouleversant tout en sachant rester sobre. Il est construit sur des images d’archives ainsi que sur les témoignages d’exilés juifs des pays arabes. A les écouter, on se rend aisément compte qu’ils ont été victimes d’un génocide culturel, dans lequel le patrimoine de l’humanité a également égaré des trésors.

Sûr, 49 minutes inhabituelles, irrévérencieuses pour tous les politiquement et historiquement corrects, c’est bien trop peu. Il faudrait maintenant débloquer des budgets pour que Grynszpan et ses cadets puissent creuser dans la mémoire profonde de chacune des communautés juives-arabes anéanties par la haine, la jalousie et l’antisémitisme.

 

C’est ce qu’on attend à l’apparition du mot fin des réfugiés oubliés. Dire que cela coûterait moins qu’un seul épisode de n’importe quelle émission de téléréalité, c’est aussi faire le bilan du déséquilibre qui s’est emparé de notre temps libre. Isaac Bashevis Singer, un Prix Nobel de littérature qui s’exprimait en Yddish, avait pourtant prévenu : "l’homme qui ne connaît pas son histoire tâtonne dans la vie comme un aveugle…", avec ou sans l’Île de la Tentation.