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L'EFFET AL JAZIRA

 

Article paru dans le Jerusalem Post International semaine du 24 au 30/03/06

Traduit par Artus pour www.nuitdorient.com

 

Il est bon d'être l'émir du Qatar. En février sa chaîne de télévision par satellite Al Jazira (l'île) a signé un accord de coopération avec Telesur, une chaîne promue par le Président du Vénézuela Hugo Chavez. Ne s'arrêtant pas là, la chaîne qatari d'information a l'intention de dévoiler bientôt un programme en anglais animé entre autres par un ex-présentateur de la BBC, David Frost et par un ancien capitaine des "Marine" américains. Comme si cela était suffisant pour faire des percées libérales au Moyen Orient.

Lancée en 1996, Al Jazira a révolutionné les médias arabes grâce à ses reportages sur le terrain et ses débats politiques animés. Après une décennie, il est clair que cette chaîne ne parviendra pas, seule, à apporter la démocratie dans la région. Certains critiques l'accusent même de se concentrer sur l'Irak et les Palestiniens pour détourner l'attention d'autres sujets locaux, comme l'absence d'élections au Qatar.

Al Jazira existe grâce à la BBC et à l'émir du Qatar, à parts égales. En 1994, la chaîne nationale appartenant aux Britanniques a conclu un accord avec Orbit, une filiale saoudienne pour créer la BBC-Télévision arabe, un projet prometteur qui a été abandonné, après que les saoudiens aient essayé de censurer des reportages sur la famille royale, selon un ex-directeur de la chaîne, Ian Richardson.

Bien qu'Orbit ait mis en sommeil le studio, l'équipe experte de la BBC a trouvé du travail auprès de son Altesse Royale l'émir Sheikh Hamad Bin Khalifa al thani du Qatar.

Celui-ci promit la liberté dans la rédaction et les journalistes ont réalisé le reste. "Tout compte fait, l'équipe d'al Jazira qui avait travaillé pour la BBC a emporté avec elle un engagement solide d'équité et de probité"

Aujourd'hui plus de 35 millions d'Arabes dans le monde regardent cette chaîne devenue populaire. "C'est un facteur d'unité" dit Mohamed al Nawawi, co-auteur de "al Jazira, ou comment la chaîne arabe de nouvelles a soulevé le monde et changé le Moyen Orient" "Vous avez tant d'Arabes partout qui regardent le même programme au même moment!"

Mais cette chaîne panarabe de nouvelles ne met pas en avant le profil régional du Qatar, puis c'est une affaire fabuleusement coûteuse, financée par des annonceurs capricieux, et concurrencée par un rival saoudien ayant un ton plus bas, lancé en février 2003, al Arabiya. Qatar a investi 140 millions $ dans al Jazira et prévoit d'y mettre encore 100 millions $/an pour la maintenir. D'après al Nawawi, si la chaîne n'était pas subventionnée, elle aurait cessé d'exister. D'ailleurs peu de gouvernements arabes la pleureront si elle disparaissait. Il faut rappeler qu'à un moment ou à un autre, Bahrain, Koweit, l'Iran ou l'Autorité Palestinienne ont interdit à ses reporters de transmettre des nouvelles. Le Soudan a même saisi ses équipements en décembre 2003, alors que l'Algérie a coupé le courant dans toute une ville, pour empêcher la diffusion d'un reportage sur la guerre civile.

On accuse aussi cette télévision de jouer avec les sentiments anti-américains en diffusant des détails sanglants sur la guerre d'Irak et en diffusant des vidéos d'Osama Ben Laden. En mars 2003, la chaîne a diffusé un interrogatoire de prisonniers de guerre américains, ce qui est une violation de la convention de Genève de 1949 (qui protège les soldats captifs des insultes et de la curiosité du public). Mais d'après Daoud Kouttab (1), al Jazira reste obsédée par les troupes américaines installées dans le monde musulman et par l'armée israélienne en Palestine. Selon lui c'est une échappatoire facile, face aux autres problèmes du Moyen Orient.

Il est en effet plus facile de pointer le doigt sur des cibles puissantes que de rapporter les insuffisances de la démocratie chez soi. Selon un rapport de l'Onu sur le Moyen Orient arabe, al Jazira a mis un bémol concernant le Qatar, le pouvoir absolu de son émir, la population privée du droit électoral, son bureau commercial à Tel Aviv, la base d'al Oudeid, mise à la disposition des troupes américaines.

 

Al Nawawi insiste sur le fait que la chaîne aide au changement de la culture politique arabe, bien que cela soit très lent. Aujourd'hui les hommes politiques sont plus ouverts à une confrontation avec leurs adversaires et acceptent la contradiction. On ne rappelle plus son ambassadeur de Doha, à chaque fois qu'al Jazira gêne, mais ce qui manque ce sont les institutions démocratiques pour mobiliser le peuple.

Al Jazira a beau être favorable à la démocratie, cela prendra des années avant que cette ouverture ne se concrétise sur le terrain, au niveau de la société civile.

 

 (1) Daoud Kouttab est le directeur de l'Institut des Médias modernes à l'Université al Qouds, à Ramallah.

 

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