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PANSER LE PROCHE-ORIENT

 

Les leaders Sharon et Abbas devront tous deux affronter leurs extrêmes pour bâtir l'avenir.

 

Par Nissim ZVILLI, ambassadeur d'Israël en France.

Paru dans Libération du lundi 07 février 2005

 

Un débat pour le moins surréaliste agite, ces derniers temps, Israël. «Faut-il se suicider pour éveiller l'opinion publique ?» se demandent certains Israéliens extrémistes qui sont contre le plan de désengagement de la bande de Gaza et du nord de la Samarie. Ils sont convaincus que cette terre appartient au peuple juif et que son évacuation mènera Israël à sa perte. Il y a vingt ans, leurs rabbins les enjoignaient de tout faire pour lutter contre ceux qui auraient voulu les déloger. Aujourd'hui, alors que ce plan a bel et bien été voté et qu'il a été mis en route, des dizaines de rabbins fanatiques ont signé une pétition pour inciter à la désobéissance. Ils se demandent s'il leur faudra affronter leurs concitoyens, les soldats israéliens, s'il faudra lutter l'un contre l'autre avec des armes.

 

Dans l'armée aussi, certains soldats hésitent à mettre en oeuvre le plan de désengagement. Ariel Sharon a donné des ordres très clairs pour que Tsahal soit en mesure de contrer ce phénomène de désobéissance avant l'évacuation, prévue au printemps. Il a compris le danger que représente une politisation de l'armée. Des Israéliens tireront-ils sur des Israéliens pour faire respecter la loi ? Pour désobéir à la loi ? Des illuminés iront-ils jusqu'à mettre à exécution leur menace contre la vie du Premier ministre d'Israël ? Personne ne peut oublier l'assassinat de Rabin. Et, comme alors, les débats sont tumultueux et les tensions grandes dans la société israélienne, mettant à jour des fractures qui laisseront des traces sans doute pour longtemps.

 

Ariel Sharon, en rupture avec ses convictions d'antan, a pris un virage déterminant. Il a d'abord affronté les durs de son parti, puis ceux de son gouvernement, pour faire passer ce plan de désengagement qui paraissait impensable de sa part il y a peu. Le Premier ministre israélien a fait le choix d'agir en chef de gouvernement qui oriente la politique. Cela comporte des risques, mais l'espoir réside dans le fait que la démocratie israélienne est solidement enracinée, elle est consubstantielle à la renaissance de l'Etat. La période qui s'ouvre sera rude, mais les décisions démocratiquement adoptées en Israël ont toujours trouvé le chemin du concret pour devenir effectives.

 

La société israélienne, agitée de l'intérieur, n'en est pas moins harcelée de l'extérieur. Plus le départ israélien approche, plus les extrémistes palestiniens ont intérêt à bombarder les villes israéliennes de roquettes, tuant un gamin au hasard d'une rue. Trois bombes humaines se sont fait exploser au point de passage de Karni le 13 janvier, tuant six Israéliens et en blessant cinq. Karni est un point de contact entre Palestiniens et Israéliens. C'est par là qu'arrivent nourriture, médicaments et matières premières destinés aux Palestiniens, c'est d'ici que partent les exportations palestiniennes, et c'est à Karni que viennent les Palestiniens cherchant un travail en Israël.

 

Les terroristes qui ont visé l'endroit le savent très bien. Mais frapper la vie quotidienne des Palestiniens leur importe peu. Les mouvements extrémistes sont indifférents au bien-être des Palestiniens. La misère leur sert au contraire de terreau fertile de recrutement. Les points d'échange sont des failles dans lesquelles les terroristes se sont toujours engouffrés pour miner les forces de réconciliation et de partage. Ces mouvements terroristes qui s'en prennent délibérément et de façon massive aux civils n'ont rien de mouvements de libération nationale. Toute approche par la négociation ne les intéresse pas. Tout au long du processus d'Oslo, chaque fois qu'un accord israélo-arabe intervenait, un attentat anti-israélien le suivait de peu. Aujourd'hui encore, les organisations terroristes ne sont pas intéressées par la paix et ses avancées. Ils ne sont pas dans le champ du politique mais dans celui de la guerre.

 

Cependant, et peut-être au grand désarroi des terroristes, c'est bien par un processus politique que Mahmoud Abbas a été élu président de l'Autorité palestinienne. Le mandat qu'il a reçu est très clair : mettre fin au terrorisme «envers les Israéliens où qu'ils se trouvent», reprendre la voie des négociations et améliorer les conditions de vie des Palestiniens. Ce mandat ne lui a pas été confié par les extrémistes, qui se sont massivement abstenus de voter, mais par une forte majorité qui est généralement réduite au silence.

 

Mahmoud Abbas est désormais investi d'une responsabilité qu'il lui reste à exercer pleinement. Il y a urgence. Il y a un risque permanent de nouvelles victimes, il y a un culte de la mort sur lequel les islamistes font croître la haine et la violence, il y a des enfants palestiniens dont on contamine l'esprit pour longtemps. Pour que la réalité change, les mots doivent être suivis d'action, les actions doivent être suivies d'effets. Sans quoi le mot «responsabilité» se videra de son sens et l'espoir s'effondrera, étouffé dans l'oeuf.

 

Mahmoud Abbas a rendez-vous avec son peuple. S'il doit en premier lieu se préoccuper de lui construire un avenir, d'investir dans l'économie, la santé et la justice, s'il doit endiguer la corruption et le trafic d'armes, ses responsabilités le placent aussi face aux extrémistes et aux groupes terroristes. Affronter une partie de son peuple est une tâche ingrate mais incontournable lorsque le projet commun est menacé par une minorité. Gouverner, c'est faire des choix difficiles.

 

Mahmoud Abbas a aujourd'hui deux possibilités : soit convaincre les mouvements terroristes de quitter leur idéologie destructrice et se transformer en force politique, ce qui impliquerait pour eux de s'intégrer à son gouvernement et de se soumettre aux règles démocratiques, en renonçant aux armes et au chantage. Soit, en cas d'échec, utiliser la force pour contrer les manoeuvres des extrémistes et assumer aussi ses engagements vis-à-vis de son peuple. Il n'y a pas de troisième choix. Ces premiers pas sont irréductibles. La «feuille de route» le stipule on ne peut plus clairement : l'arrêt du terrorisme, assorti de la fin de l'incitation à tuer et du démantèlement des mouvements terroristes, n'est pas une étape comme une autre, mais un préalable à toutes les étapes ultérieures de ce plan agréé par les deux parties et par la communauté internationale.

 

Pour le moment, Mahmoud Abbas a opté pour la négociation avec les mouvements radicaux. Il démontre par là son réel sens politique et sa détermination. Sur le plan de l'action, le changement stratégique est également enclenché. Alors que l'attentat de Karni impliquait des Palestiniens des forces de sécurité des employés de l'Autorité palestinienne donc­, Mahmoud Abbas a désormais pris l'initiative de déployer des policiers palestiniens le long de la bande de Gaza pour empêcher des attaques anti-israéliennes. Et on voit bien que «ça marche» : les civils retrouvent une vie là où le terrorisme a levé son emprise.

 

Des policiers palestiniens qui font régner l'ordre, c'est ce qu'on appelle du «jamais-vu», à la grande surprise des Occidentaux, qui les croyaient détruits par Israël. Cette bouffée d'oxygène n'est pas du goût de tout le monde : le Jihad islamique déclare que cela «pourrait être le déclencheur d'une crise interpalestinienne». Certes, après plus de dix ans de «laisser-faire», d'encouragement et de financement du terrorisme au plus haut niveau, la menace est réelle. Face à elle, l'Autorité palestinienne doit s'affirmer comme la seule autorité légitime. Ni le Hamas, ni le Jihad, ni le Hezbollah ou son mentor iranien ne doivent dicter leur loi. En 2003 déjà, Mahmoud Abbas déclarait que la seule source d'autorité est celle de l'Autorité palestinienne.

 

Le premier défi du président de l'Autorité palestinienne sera d'opposer une volonté farouche à ces extrémistes. Si la négociation échoue, il lui faudra du courage politique pour confisquer toutes les armes illégales, arrêter les terroristes et démanteler leurs infrastructures. La fin de l'incitation à la haine (dans les médias, les mosquées, les écoles) est une mesure qui peut être entreprise dès maintenant. Si le président élu ne peut exercer son pouvoir, ce sont les éléments extrémistes qui le feront tomber.

 

Depuis la mort de Yasser Arafat, on a épuisé tous les termes pour évoquer cette fameuse «fenêtre des opportunités». Mais, quand la vanne des possibles est ouverte, il faut garder à l'esprit que le pire aussi devient une possibilité. Il faudra encore beaucoup de volonté, de courage et d'action politique de la part des deux leaders, l'Israélien et le Palestinien, pour, ensemble, faire évoluer les choses et éviter le chaos. Face à leurs extrêmes, les deux leaders n'affrontent pas des situations tout à fait parallèles. Israël possède une culture démocratique qui lui permet d'opérer des changements de fond pour le bien de tous. Malgré la période critique et difficile qu'Israël aborde, les extrémistes ne pourront que suivre le mouvement, avec, nous l'espérons, le moins de dégâts possibles. L'Autorité palestinienne doit, quant à elle, se désembourber d'une situation où une multitude de factions armées, belliqueuses et jusqu'au-boutistes,­ y compris dans ses rangs, veulent déstabiliser le pouvoir pour faire émerger le seul ordre qu'elles tolèrent : le leur. Mais Mahmoud Abbas et de nombreux leaders palestiniens sont véritablement habités par un esprit démocratique et la volonté de remettre enfin de l'ordre.

 

Sharon et Abbas sont tous deux armés d'une forte légitimité démocratique, soutenus par la majorité des Israéliens et des Palestiniens pour bâtir un avenir meilleur. Derrière le bruit de ceux qui disent non à tout compromis, il y a le murmure de ceux qui veulent partager, échanger, créer un Proche-Orient prospère, respectueux des identités de chacun.

 

Et, pourquoi pas, heureux.