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LE DIALOGUE COMME REVANCHE

 

Par Judea Pearl, père du journaliste mort au Pakistan entre les mains de la terreur, informaticien et président de la Fondation Daniel Pearl

Article paru dans le Jerusalem Post du  26 février 2004
Traduit par Catherine Leuchter, responsable de la commission média du CRIF Midi-Pyrénées

Original anglais à  http://victoria.indymedia.org/news/2004/02/22394.php


Le 21 février fut le deuxième anniversaire de l'assassinat de mon fils, Daniel Pearl. Cet assassinat est devenu le symbole de l'antisémitisme post 11-septembre et du rejet flagrant par l'islam militant de toute forme de dialogue avec l'Occident.

Depuis ces deux dernières années, je me suis totalement immergé dans des projets visant à construire la confiance entre musulmans et communautés occidentales. Je considère cette initiative comme une revanche et, dominé par l'esprit de Danny, j'essaye de canaliser toutes les énergies positives et les bonnes volontés de cette tragédie vers un seul but : combattre la haine qui a pris la vie de Danny.

A cette fin, la fondation Daniel Pearl a amené une association de journalistes pakistanais à travailler dans des journaux américains, elle a organisé des concerts à travers le monde pour promouvoir le respect interculturel, et elle a parrainé des dialogues publics entre Juifs et Musulmans pour chercher un terrain commun et explorer les différends actuels.

Je me demande constamment si ces projets sont efficaces et s'ils contribuent de façon significative à réduire la haine. La réponse dépend étroitement de la nature de la lutte qui a lieu actuellement dans le monde musulman lui-même.

Selon une première théorie, la lutte qui sévit dans l'Islam a lieu entre une grande majorité de musulmans pacifiques et bons qui veulent simplement vivre à côté de ceux qui pensent et prient différemment, et une minorité de musulmans, tels que les Taliban et autres extrémistes, dont le fanatisme est en réalité un rejet du véritable islam.

Une autre théorie plus pessimiste clame que la grande majorité des musulmans a une vive sympathie pour l'idéologie de Ben Laden, autant sur le plan religieux que politique (bien que ne s'engageant pas dans la violence), tandis que les forces modérées ne sont qu'un vernis intellectuel superficiel, sans pouvoir, ni crédibilité, ni leadership, et cherchant à apaiser l'Occident en lui faisant croire à la théorie optimiste.

Mon appréciation actuelle, basée sur la lecture et le dialogue avec des musulmans modérés après l'assassinat de mon fils, est que la vérité se situe quelque part entre ces deux théories. Et même, bien que la théorie pessimiste bénéficie de plus de preuves, nous devons opter pour la théorie optimiste comme une hypothèse de travail, nous prémunissant constamment contre les dangers qui se tapissent dans l'alternative pessimiste.

Les preuves contre la théorie optimiste sont substantielles. L'antisémitisme se répand depuis les autorités, le clergé et les médias dans les pays musulmans, et la déshumanisation persistante d'Israël et de l'Occident n'accrédite sûrement pas la théorie pacifique de l'islam. Mais le silence ininterrompu des autorités religieuses musulmanes face aux soi-disant actes « non islamiques » commis au nom de l'islam est encore plus parlant.

La fatwa émise à l'encontre de Salman Rushdie en 1989 (et récemment renouvelée) montre que l'islam a des instrument puissants contre ceux qui sont perçus comme étant contre l'islam. Cependant, aussi loin que je sache, aucune fatwa n'a été émise contre les terroristes-suicidaires et leurs mentors, ou contre Ben Laden et ses disciples, ou contre les assassins de mon fils. Puisque les assassins de Danny courent toujours, une fatwa suffisamment médiatisée pourrait mener à leur appréhension.

L'explication que l'on me donne généralement pour ce silence est que le rôle du clergé musulman diffère de celui des leaders religieux occidentaux. Les leaders religieux dans les pays musulmans sont généralement des titulaires politiques dont on attend qu'ils fassent écho à leurs partisans en matière de politique étrangère, non qu'ils les guident.

Par conséquent, à cause des sentiments anti-occidentaux provoqués par la guerre contre le terrorisme ainsi que l'interminable conflit israélo-palestinien, les leaders religieux ne peuvent pas prendre le risque de clamer un islam compatissant pour condamner ceux qui agissent contre ses véritables enseignements. Si nous acceptons cette explication, alors c'est seulement depuis les mosquées occidentales que nous pouvons attendre une émergence de la réconciliation avec l'Occident et un rejet religieux explicite de la mentalité jihadiste.

Le clergé en Occident n'est pas soumis à l'examen direct de régimes répressifs, et l'influence de l'argent saoudien sur l'éducation musulmane est sur le déclin. Les musulmans en Occident sont exposés aux pratiques des autres religions et par conséquent attendent de leur leaders religieux qu'ils prennent un rôle plus actif dans la conduite de leur communauté. De même, ces musulmans vivent au sein des critères modernes de pluralisme et de droits de l'homme, et ils désirent de plus en plus intégrer ces critères dans leurs enseignements et pratiques religieux. Plus important encore, les musulmans en Occident sont les victimes les plus directes de l'islamophobie post 11-septembre et de l'image distordue de l'islam que le silence de leurs leaders projettent ; il serait tout à leur avantage de voir ce silence brisé.

Aussi, envisagé-je de développer tout naturellement un partenariat entre Musulmans et Juifs en Occident, qui petit à petit fera son chemin, à travers le canal de la religion, vers le Moyent-Orient et les autres régions.

Les Juifs ont une grande expérience de la réforme religieuse, et ils sont les experts mondiaux de la lutte contre la diffamation et la discrimination. Ils peuvent donc offrir une aide inestimable aux musulmans occidentaux qui se sentent assiégés et qui luttent pour leur dignité et leur intégration sociale.

Les musulmans occidentaux, d'un autre côté, peuvent aider la communauté juive en s'exprimant à haute voix, en termes religieux, contre les péchés d'antisémitisme, de terrorisme, d'incitation, et l'éducation au fanatisme islamique. De fait, mon programme de dialogue public avec le Professeur Akbar Ahmed (auteur de L'Islam sous siège) a engendré de nouvelles alliances entre organisations juives et musulmanes qui, en retour, ont tracé le chemin pour qu'évolue la légitimité d'un tel partenariat.

En fait, aider nos cousins musulmans à accéder à la modernité n'est qu'une partie de la bataille contre la haine jihadiste. Un autre volet consiste à resserrer nos rangs avec fierté et respect pour nous-mêmes afin de résister aux attaques idéologiques qui sont régulièrement lancées contre nous. A cette fin, ma femme et moi-même avons édité un nouveau livre intitulé Je suis juif : réflexions personnelles inspirées par les derniers mots de Daniel Pearl, publié ce mois par Jewish Lights Publishing [Éditions des Lumières Juives].

Le livre contient près de 150 essais d'importantes personnalités juives, de Thomas Friedman et Shimon Peres à Richard Dreyfus, Rabbi Yisrael Meir Lau et Larry King, chacun répondant à cette simple question : « Quand vous dites "Je suis juif", qu'est-ce que cela signifie pour vous ? » Le résultat est un miroir honnête de la façon dont les Juifs modernes se définissent, ainsi que de nouvelles réponses variées et pénétrantes à la…question de l'identité juive.

Pour nous, ce livre représente une autre victoire de Danny sur ses assassins et leurs sympathisants idéologiques. Tandis que ces criminels essaient de semer la peur, l'humiliation et la confusion parmi les Juifs, les mots de Danny et le livre qu'ils ont inspiré mèneront au renforcement, à la fierté et à une plus grande compréhension de l'identité juive ; et puis, éventuellement, à rendre le peuple juif plus fort et plus uni.