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ISRAËL C’EST NOUS

 

Entretien de Ruthie Blum avec Fiamma Nirenstein

Paru dans le Jerusalem Post du 12/08/07

http://www.aish.com/jewishissues/mediaobjectivity/Israel_Is_Us.asp

Adaptation française de Sentinelle 5767 ©

 

Fiamma Nirenstein, journaliste italienne et experte du terrorisme mondial, veut que l’Europe perçoive  Israël comme un modèle à imiter.

 

Fiamma Nirenstein se précipite dans sa cuisine pour moudre du café italien avant de nous asseoir pour discuter de son dernier livre à succès, «Israele Siamo Noi» [Israel is Us; Israël c’est Nous; Rizzoli Publishers, non encore traduit en anglais, et a fortiori pas en français, Ndt], dont la première édition s’est vendue en une semaine, et en est déjà à sa seconde édition. Sur la table, au milieu d’un monceau de papiers, un ordinateur portable avec au moins trois documents sur lesquels elle travaille simultanément : le premier est un article qu’elle doit terminer pour le soir même pour répondre à la date limite du quotidien milanais « Il Giornale » ; le second, une conférence qu’elle prépare pour son voyage à venir à Rome ; et le troisième est une entrée sur son « blog » populaire, www.fiammanirenstein.com

La musique du pot de café bouillonnant est accompagnée du refrain répété « d’Outlook Express » lui signalant qu’elle a reçu un nouveau courriel, et de la sonnerie de ses téléphones fixe et mobile. 

"Pronto," répond-elle à chacun, Presque simultanément, parlant à l’un des interlocuteurs en italien et à l’autre en hébreu. Elle fait cela en m’escortant vers le salon et en me faisant signe de m’asseoir sur le canapé. Le salon – salle à manger, spacieux et ensoleillé, pourrait aussi bien être une bibliothèque multilingue d’études du Moyen-Orient, pour tous les livres sur le sujet alignés sur les murs, et les douzaines de livres supplémentaires empilés bien haut sur d’autres surfaces – dont pour bon nombre, elle est soit l’auteur, soit le co-auteur, ou une contributrice.

Etant donné le décor de la pièce, elle pourrait aussi bien être située à Florence, où Nirenstein est née et a grandi ; A Rome, où elle vit et travaille (et rend visite à son fils âgé de 25 ans, Binyamin) 15 jours par mois ; ou bien en Toscane, où elle passe ses étés. La vue panoramique sur la Cité Sainte depuis les fenêtres vitrées du sol au plafond est la révélation du lieu du foyer de Nirenstein à Jérusalem – qu’elle partage avec son mari israélien, Ofer Eshed, caméraman pour une télévision d’informations.

 

« Israël est un pays de héros » déclare Nirenstein dans un anglais teinté d’italien. « Mon livre essaie de détruire les mythes diffamatoires perpétrés sur son caractère soi-disant colonialiste ou « d’Etat d’apartheid » d’un côté, et sur les terroristes décrits comme des militants combattant pour la liberté de l‘autre ».

Nirenstein fait cela, explique-t-elle, en disséquant ce qu’elle appelle « les mots malsains » qui ont infiltré le langage et la conscience d’une Europe de plus en plus antisémite – termes qu’elle et un groupe d’universitaires italiens prévoient de rassembler dans un glossaire, « parce qu’un tel abus de langage empêche la possibilité même de comprendre ce que Israël est vraiment ».

Elle en vient à sa passion pour Israël – et à sa familiarité avec les distorsions conceptuelles caractéristiques des « idéologies autocratiques » - honnêtement. Fille d’un historien de l’Holocauste, et longtemps correspondant du journal « Al Hamishmar », Aharon « Nir » Nirenstein (qui vint de Pologne en Palestine en 1936, et alla en Italie en 1945 avec la Brigade Juive [composante des troupes de libération anglaises, Ndt], et de la journaliste du « Corriere della Sera », Wanda Lattes, Nirenstein fut une ardente communiste dans sa jeunesse. Et, de même que le sionisme faisait partie et était une parcelle de son éducation, de même, dit-elle, elle fut entraînée dans la « corruption mentale » qui a conduit sa génération à considérer les semblables de Che Guevara comme une source d’inspiration, en attribuant les maux de la planète au « capitalisme impérialiste ».

Nirenstein, qui a fait des reportages sur Israël pour l’édition italienne et les media d’émissions pendant près de deux décennies, après avoir été une éditorialiste internationale pendant des années, est une version européenne des « Néocons » [Courant de pensée politique de Droite, créé par Léo Strauss, philosophe allemand émigré aux USA, situé d’abord à Gauche, Ndt]. Son voyage sur le spectre politique – comme celui de ses pairs américains – commença en réponse au climat radical des années 1960 dans son propre pays. A l’opposé des siens, cependant, Nirenstein était atteinte d’une autre complication : se placer à côte de quoi que ce soit ressemblant à l’aile Droite dans l’Italie d’après la Seconde Guerre Mondiale signifiait s’aligner avec les fascistes.

Pourtant Nirenstein affirme : «Vous ne pouvez pas fuir la réalité indéfiniment. En définitive, vous devez savoir ce qui est légitime en termes de valeurs, et avoir le courage de les défendre »

Pour elle, cet effort a pris la forme d’examiner, de rapporter, et d’écrire de façon extensive sur le terrorisme – et de défendre Israël face à lui. «Cela a un prix, bien sûr», dit-elle, en allusion aux gardes du corps qui l’accueillent à l’aéroport à chaque fois qu’elle atterrit en Italie, et font la navette de lieu en lieu pendant qu’elle y demeure.

Pendant la dernière campagne de promotion de son livre – un appel aux Européens pour imiter la démocratie israélienne – Nirenstein dit qu’elle a été satisfaite de la réception positive dont il a bénéficié, mais elle est loin d’être optimiste. Haussant les épaules et souriant d’un air narquois, elle soupire : «Je crains que l’Europe ne se réveille que si des évènements terribles surviennent, de ceux qu’aucun d’entre nous ne souhaite pour nous-mêmes ou pour quelqu’un d’autre ».

 

Ruthie Blum (RB) : Pourquoi est-il significatif que votre livre ait reçu tant d’attention dans la presse italienne dominante ?

Fiamma Nirenstein (FN) : Mes huit précédents livres ont aussi reçu une couverture large, mais ce qui est significatif dans ce cas, ce sont les titres. «Israël, un modèle pour chacun d’entre nous» et «Israël : un modèle pour la démocratie». J’ai eu le sentiment que ce livre a libéré un bouchon dans l’opinion publique européenne. Beaucoup de gens m’ont approchée et m’ont murmuré dans l’oreille : «Je suis avec vous».

 

RB : Cela signifie-t-il que l’attitude générale en Europe change ?

FN : L’attitude en Europe est terrible. C’est un public qui admire le Secrétaire Général de l’U.E. Javier Solana parce qu’il dit aux Américains que nous devons être prêts à passer un accord avec le président iranien Mahmoud Ahmadinejad. Les Américains et les Israéliens peuvent bien savoir que le monde ne leur porte pas de sympathie. Mais ils ne comprennent pas à quelle profondeur l’absence de conscience européenne du terrorisme plonge, ni la profondeur du rejet du mot « guerre ».

La guerre pour les Européens, quel que soit le contexte, est une abomination, et a été telle depuis la Deuxième Guerre Mondiale. Pour les Européens, celui qui conduit une guerre est un criminel.  Même ceux qui disposent d’un point de vue plus sophistiqué partent toujours de ce point. Voyez-vous, Israël est le pays du monde le plus couvert par la presse, et pourtant celui sur lequel on en connaît le moins. C’est pourquoi j’ai écrit ce livre. J’ai essayé d’y décrire ce que Israël est; ce que sa guerre signifie en vérité, comment il est possible d’être à la fois en guerre et une démocratie ; et le plus important, comment Israël est l’avant – garde des pays occidentaux. Ce sont des points cruciaux à transmettre aux Européens, pour qui la démocratie et la guerre ne vont tout simplement pas ensemble.

 

RB : Même si la Deuxième Guerre mondiale a sauvé la démocratie européenne ?

FN : il y a beaucoup de révisionnisme en cours en Europe sur l’intervention américaine dans la 2ème Guerre Mondiale -  jusqu’à la considérer comme impérialiste. Des Européens considèrent la démocratie comme leur invention, mais l’histoire a démontré comment ils l’ont toujours trahie. Confrontons cela : l’Europe est le berceau de toutes les idéologies autocratiques de notre époque – fascisme, communisme. Il existe une réelle fascination en Europe avec les autocraties et les idéologies qui s’affirment.

J’aperçois les germes dangereux d’une culture de la violence en Europe, inspirée du modèle islamique – exactement la façon dont ma génération a été inspirée par Che Guevara [chef de guérilla marxiste]

 

RB : Voulez-vous dire alors, que le nazisme était le produit naturel ou logique de l’Europe ?

FN : Ce que je dis, c’est qu’il existe une maladie en Europe qui y a toujours existé – maladie dont l’un des principaux symptômes est l’antisémitisme. 

 

RB : Est-ce que le tabou contre son expression d’après la 2ème Guerre Mondiale a expiré ?

FN : Bien, l’antisémitisme aujourd’hui en Europe est très élevé, et il a pris une ascension encore plus aiguë depuis la deuxième guerre du Liban. Selon les statistiques, les incidents antisémites se sont multipliés dans toute l’Europe.

 

RB : Pas seulement ceux perpétrés par des Musulmans ?

FN : Pas seulement par des Musulmans. Il existe des mouvements néonazis, néofascistes, et aussi gauchistes altermondialistes qui sont très antisémites – même s’ils ne le reconnaîtront jamais. Ils appellent cela de l’anti-impérialisme, et disent qu’il s’agit d’une simple critique de l’Etat d’Israël. Même si vous observez le « deux poids –deux mesures » en ce qui concerne les droits civils, vous vous rendez compte qu’ils sont faussés. Vous venez d’une culture des droits civils, qui sont devenus dénaturés par les communistes, qui se sont emparés de tous les droits civils pour eux-mêmes, et les ont déniés aux autres. Pendant la Guerre Froide, les droits civils sont devenus la médaille pour cheminer vers le communisme. C’était de cette manière que les communistes voyaient le tiers monde et les pays arabes. Ainsi, des gouvernements terroristes, autocratiques, fascistes, comme ceux des pays arabes, sont devenus récipiendaires des droits civils, bien qu’ils ne les respectent pas du tout.

 

RB : Vous avez aussi été une féministe [quand vous avez assisté à la reconstruction de l’Europe après la Seconde Guerre Mondiale] N’y avez-vous pas vu des formes de liberté, à la floraison permise pour les femmes ?

FN : Oui, mais c’est plus compliqué que cela. Je me souviens d’une incroyable confusion qui a créé l’impossibilité de vivre une vie de couple heureuse, et beaucoup ont divorcé. Nous pensions que l’amour et la passion étaient exactement la même chose. Aussi, quand la passion pâlissait, nous allions simplement au divorce. Nous avions des enfants ici et là, de différents mariages. Nous avons créé des situations très difficiles à gérer. Nous avons rendu nos vies très difficiles. Et tout ce qui a émergé de tout cela, ça a été un terrible égoïsme. Les couples en Europe maintenant, en particulier en Italie, ont rarement plus d'un enfant. Dans le même temps, les immigrants en ont beaucoup.

 

RB : Ce qui nous amène à la question de la démographie …le mot à la mode en Israël, qui a encadré le débat depuis 1967. Qu’en est-il de la démographie en Europe ?

FN : J’ai lu que l’Autriche – l’un des pays les plus conservateurs en terme de mode de vie et de comportement publics – aura dans peu d’années une minorité blanche chrétienne. Incroyable…!

 

RB : Vous dites que des gens vous murmurent à l’oreille qu’ils sont avec vous. Le livre doit avoir touché une corde sensible.

FN : Les Italiens sont bien plus modérés que d’autres Européens, en ce sens qu’ils expriment leurs opinions. C’est une chose qui rend la discussion au moins possible. D’un autre côté, n’oubliez pas qu’un tiers de la communauté juive d’Europe a été déportée pendant la guerre, et l’Italie n’a pas fait exception. Elle a eu des lois raciales exactement comme celles d’Allemagne. De plus, aujourd’hui, l’Italie a une vaste petite bourgeoisie politiquement correcte et opportuniste.

L’hégémonie est quelque chose qui règne encore totalement. En Italie, comme dans le reste de l’Europe, ce qui domine ce sont les media politiquement corrects. Aussi peut-être que les Italiens ne sont pas agressifs dans une discussion; peut-être sont-ils polis et civilisés. Mais quand vous êtes assis à un dîner auprès d’eux, leur hypothèse fondamentale est qu'Israël a tort et les Palestiniens ont raison. Et que le terrorisme est un phénomène mineur qui fait pâle figue en comparaison de la domination du capitalisme.

 

RB : Bien qu’ils aient été témoins du carnage provoqué par la violence de l’islam radical ? Et bien qu’ils aient vu un certain comportement de la part d’immigrants dans leurs pays ? Cela n’a-t-il pas provoqué un retour de bâton raciste de la part de beaucoup d’Européens ?

FN : Bien sûr, il existe une vraie tendance vers ce que j’appelle un racisme démocratique. De fait, j’ai écrit un livre avec ce titre quand ce phénomène dangereux a commencé. Et il est dangereux, parce que l’élite intellectuelle n’a pas convenablement exploré la question, puisque le politiquement correct leur interdit de le faire. Ainsi, ce qu’ils disent c’est que : «Ces immigrants sont bienvenus ici. Nous avons besoin d’une société multiculturelle. Le terrorisme et les madrassas qui éduquent dans ce sens sont un phénomène mineur. L’islam est l’une des trois religions monothéistes».

De l’autre côté, il y a des excès de langage de la part des gens ordinaires, allant jusqu’à : «Nous ne pouvons les supporter davantage. Nos rues ne sont pas sûres. Ils volent notre argent. Ils prennent nos emplois”. Ce qui est injuste bien sûr. Et voilà pourquoi l’absence de pont intellectuel entre ces deux positions est dangereux. Il est temps d’en créer un, parce que si nous ne le faisons pas, l’excès de langage deviendra un violent hurlement de foule.

 

RB : Comment ce vide intellectuel peut-il être comblé ?

FN : Par exemple en disant aux immigrants : "Si vous venez dans notre pays, vous n’épouserez pas quatre femmes: vous n’en épouserez qu’une seule".

Je veux dire, voyez-vous, que l’Italie est un pays dans lequel des femmes se sont battues depuis des siècles pour la liberté – et maintenant vous avez des femmes vivant dans des foyers avec d’autres femmes, sujettes à des crimes d’honneur et à des excisions ou à des infibulations [l’auteur écrit des « circoncisions féminines », Ndt].

Tout cela est dû à l’idée du multiculturalisme.

 

RB : Le but de votre livre est de dire à tous ceux qui croient dans les valeurs libérales [au sens de libertés fondamentales de pensée, d’expression…Ndt] qu’Israël est un modèle auquel il faut s’identifier, et imiter ?

FN : Oui. Et cesser de prêter tant de considération aux allégations de corruption et autres attaques contre Israël. La démocratie implique la circulation de l’information qui expose chacun. En Israël, comme partout ailleurs, la nature humaine reste ce qu’elle est. Quand on me demande quelles erreurs j’accepte qu'Israël a pu commettre, je réponds qu'Israël a commis beaucoup de fautes, mais dans la plupart des cas, ce sont des fautes politiques. On peut argumenter pour savoir s’il était bon ou pas de se retirer de Gaza. Ma propre opinion sur la question a changé en passant, parce que au départ je pensais que c’était une bonne idée, mais maintenant que j’en ai vu les résultats, je déclare : « Mea culpa, mea culpa ». Je crois ne pas être seule sans ce domaine. 

 

RB : La réponse à votre livre n’est-elle pas une indication de ce que les Européens commencent à saisir ce dont vous parlez ?

FN : Non. Je crains qu’ils ne se réveillent que si de terribles évènements surviennent, de ceux qu’aucun de nous ne souhaiterait pour nous-mêmes ou pour quiconque. Ayant dit cela, il existe un certain niveau de conscience de ce que les jihadistes islamistes ne haïssent pas seulement Israël, mais aussi le reste du monde occidental. Ahmadinejad a ses missiles Shihab-3 pointés sur des capitales européennes – ce qu’ils réalisent dans une certaine mesure. Mais de nouveau, les choses ne vont pas vraiment mieux.

Ce qui a dominé la vie européenne, c’est la paresse d’un côté, et la solitude de l’autre. Il n’y a pas le type de solidarité qui existe en Israël – où chacun a quelque chose à dire à l’autre – même si c’est fait de façon « hutzpedik » [insolente et plus ou moins déplacée, en Yiddish, Ndt]. En Israël, il existe un sens de la communication – et de se trouver sur le même bateau. C’est quelque chose que l’on ne retrouve nulle part ailleurs. C’est un pays plein de solidarités.

D’un côté, il est vrai que les gens commencent à sentir que l’Islam radical est contre la démocratie. De l’autre, il n’est pas sûr que ce sentiment se développe davantage. Voyez-vous, il y a une complète rupture qui se produit. Pour me servir de mes étudiants comme exemple, ils disent : «Il est vrai que nous représentons une culture supérieure du fait des droits civils, des droits des femmes et de la liberté et de la démocratie. Mais justement parce que nous sommes supérieurs, c’est à nous de trouver le chemin d’un accord».

Quand vous leur répondez : "Mais ils ne veulent pas d’un accord. Ils font une révolution. Pensez à Ahmadinejad. Il ne veut pas d’accord. C’est un révolutionnaire. C’est sa revolution", ils vous rétorquent "C’est impossible".

 

Mais ce n’est pas seulement l’Europe qui ne comprend pas cela. Je crains qu'Israël lui-même ne comprenne pas cela de la manière où cela devrait être compris. Israël est au cœur de la plus grande aventure non seulement de ce siècle, mais de ce millénaire.