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L'IRAN SUR LA VOIE DE LA CONFRONTATION

 

Delphine Minoui .Le figaro -Publié le 21 août 2006

 

À la veille de la date fixée par Téhéran pour répondre aux propositions de la communauté internationale sur son programme nucléaire, l'ayatollah Khamenei a donné le ton, hier, en annonçant que l'Iran va poursuivre son programme «avec force».

Après de longs mois de contentieux sur le dossier nucléaire, une dernière offre avait été transmise à Téhéran le 6 juin par les cinq membres permanents du Conseil ainsi que par l'Allemagne, qui craignent que Téhéran ne développe un arsenal nucléaire à des fins militaires.

 

Peu d'espoir d'arriver à un compromis

 

Le paquet de mesures incitatives, auquel la République islamique a promis de répondre aujourd'hui, comporte une série de propositions de coopération en matière économique et nucléaire en échange d'une suspension de l'enrichissement d'uranium iranien. En cas de réponse négative, le Conseil de sécurité – dont la résolution du 31 juillet a fixé un nouvel ultimatum au 31 août – se réserve la possibilité de décréter des sanctions.

La contre-proposition iranienne ne sera ni un oui ni un non, a déjà prévenu le ministère des Affaires étrangères, mais plutôt une réponse «multiple». La forme du message définitif n'a pas été précisée, mais il pourrait probablement être transmis par Ali Larijani, le secrétaire du Conseil de sécurité nationale iranien, à l'attention de Javier Solana, le haut représentant de la Politique étrangère de l'Union européenne. Les deux hommes se sont déjà entretenus, avant-hier, par téléphone.

L'entêtement iranien à ne pas suspendre l'enrichissement d'uranium laisse pourtant peu d'espoir à l'aboutissement d'un compromis. Au Parlement iranien, les députés sont déjà en train de plancher sur un projet de désengagement de leur pays du TNP, en cas de sanctions imposées. Au même moment, l'armée iranienne joue les gros bras avec cette série de manoeuvres, amorcée le week-end dernier, et destinée à «présenter la nouvelle doctrine défensive» du pays, selon les propos du général Mohammad Reza Ashtiani, le porte-parole militaire.

 

Un défi à l'Occident

 

Quand on les interroge sur leurs motivations à développer leur capacité nucléaire, les officiels iraniens évoquent, pêle-mêle, leur droit inaliénable à la science et à la technologie, le besoin en nouvelles énergies, ou encore la fierté nationale. Mais après trois années de négociations laborieuses, les capitales européennes semblent lassées d'entendre le même refrain. «Ce qui nous inquiète, c'est que s'ils peuvent avoir une centaine de centrifugeuses – permettant d'enrichir l'uranium – ça veut dire qu'ils peuvent en avoir plus, et donc produire une bombe au final», remarque un diplomate occidental en poste à Téhéran, sous couvert de l'anonymat.

Aujourd'hui, ce qui refroidit encore plus les Etats d'Europe – pourtant longtemps opposées aux sanctions prescrites par Washington – c'est la nette radicalisation du régime depuis l'élection d'Ahmadinejad à la présidence, il y a un an. «Rafsandjani et Khatamiles deux précédents présidents – étaient des internationalistes. Aujourd'hui, c'est le retour des révolutionnaires. Le défi à l'Occident fait partie de leur raison d'être. Ces gens-là définissent le monde en termes idéologiques. Ils se fichent de l'image qu'ils peuvent donner», constate un expert iranien en relations internationales qui ne préfère pas donner son nom.

 

De l'avis général, le retrait des troupes israéliennes du Liban, au terme d'un long mois de conflit, n'a fait que conforter Téhéran dans sa volonté de tenir tête à la communauté internationale. S'en référant à la crise libanaise, l'ancien président iranien Ali Akbar Hachémi Rafsandjani a ainsi mis en garde l'Amérique, en disant espérer qu'elle «tirera les leçons et n'entrera pas dans un nouveau conflit, qui mettrait à mal la sécurité dans la région».

En interne, la nouvelle vague de répression – censure de la presse, saisie des antennes paraboliques – et l'absence de groupes d'opposition organisés permet également aux autorités iraniennes de mieux sortir leurs griffes. Fini, l'époque des manifestations étudiantes et des sit-in de politiciens réformateurs des années Khatami. «Aujourd'hui, la société est molle. Les déçus de l'époque Khatami ont renoncé à leur mobilisation. Dans un sens, le nouveau gouvernement ne s'est jamais senti aussi à l'aise», constate Morad Saghafi, le rédacteur en chef de la revue laïque Goft-o-Gou.

 

La théorie du chaos contrôlé

 

Certains voient également dans l'entêtement des nouvelles autorités iraniennes sur la question nucléaire une volonté de ne pas décevoir leur base, essentiellement composée de bassidjis, (miliciens islamistes). «À force de répéter que l'énergie nucléaire est un droit inaliénable, l'Iran ne peut plus faire marche arrière, il est obligé de tenir ses promesses faites à ses supporters», souffle l'économiste iranien Fariborz Raïs Dana, farouche opposant au gouvernement en place.

Le régime iranien se montre donc fort et soudé, mais des contradictions et des fragilités internes pointent le bout de leur nez. Dans les cercles qui gravitent autour du guide suprême, les partisans de la confrontation continuent à s'opposer aux défenseurs d'un compromis. Car même si une attaque américaine reste peu probable – au vu de l'enlisement des GI's en Irak – la menace de sanctions se rapproche à grands pas. Et d'après de nombreux experts, elle pourrait être fatale pour le pays.

 

Et si ces contradictions confuses et difficilement décryptables faisaient, finalement, aussi partie de la stratégie iranienne ? «Ne pas montrer le fond de nos poches nous rend plus forts», constate un analyste iranien, sous couvert de l'anonymat. «C'est ce que j'appelle, dit-il, la théorie du chaos contrôlé. En son temps, Khatami a joué la transparence, et du coup, l'Occident s'est montré de plus en plus exigeant sur la question nucléaire. Aujourd'hui, le régime préfère entretenir les zones d'ombre pour désemparer l'Occident et surtout l'ennemi américain.»