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NATIONS UNIES - L’HEURE DE LA RÉFORME A-T-ELLE ENFIN SONNÉ ?

 

Par John Barry – Paru dans Newsweek                                                     

Traduit édité par Courrier international - n° 753 - 7 avr. 2005           

 

Kofi Annan a présenté le 21 mars dernier un ambitieux plan de réforme de l’ONU. Mais tout dépendra de la bonne volonté de Washington. D’autant qu’Annan est éclaboussé par le scandale qui touche son fils.                                

La nomination de John Bolton au poste d’ambassadeur des Etats-Unis aux Nations unies a suscité des réactions allant de la perplexité à l’effondrement. Le choix du président Bush pourrait pourtant être plus opportun qu’il n’y paraît. Le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, vient de proposer les réformes les plus radicales depuis la création de l’organisation, il y a soixante ans. Certaines répondent aux critiques américaines, d’autres plairont moins à Washington mais bénéficient d’un soutien important au sein de l’ONU.
Kofi Annan a présenté une “offre globale”, un ambitieux train de mesures visant à satisfaire tout le monde. Selon lui, une bonne partie des réformes pourraient être réalisées dans le courant de l’année, à condition toutefois que le gouvernement Bush accepte l’idée de globalité. Les propositions de Kofi Annan reposent sur un rapport publié fin 2004 par un comité de sages de divers pays, qui a répertorié les changements trop longtemps différés dans tous les secteurs, de l’aide au développement aux mesures de lutte contre la prolifération des armes, en passant par l’opportunité de reconsidérer les cas où l’usage préventif de la force se justifie.
 
Un retour aux sources de l’organisation

C’est un sentiment de crise qui a poussé Kofi Annan à proposer ces réformes. L’ONU se trouve en effet dans une situation très inconfortable : après la confusion suscitée par la mauvaise gestion du programme Pétrole contre nourriture, il y a eu les révélations sur les abus sexuels commis par des Casques bleus [au Congo]. Au Congrès, les républicains parlent de subordonner la contribution américaine au budget de l’ONU à une liste de réformes souhaitables. Aux yeux de Kofi Annan, la situation actuelle constituerait une bonne occasion pour réformer. “Quand vous voulez changer une institution, toute crise est votre alliée”, commente un de ses collaborateurs.
Dans un document très dense de 63 pages, le secrétaire général propose un retour aux sources. Pour les pères fondateurs de l’organisation, les trois piliers d’un monde nouveau étaient la paix et la sécurité, la justice et les droits de l’homme, et le développement. Dans tous ces domaines, Kofi Annan propose des changements radicaux, et notamment:

– l’élargissement du Conseil de sécurité aux nouveaux géants d’Asie, d’Amérique du Sud et peut-être d’Europe ;
– le remplacement de l’actuelle Commission des droits de l’homme (où siègent la Libye et le Zimbabwe, deux Etats répressifs) par un conseil plus puissant, dont l’accès sera soumis à l’approbation de l’Assemblée générale et interdit aux pays connus pour leurs atteintes aux droits de l’homme ;
– la restructuration du Conseil économique et social en vue d’axer davantage son action sur le développement ;
– le renforcement des opérations de maintien de la paix à l’échelle mondiale afin d’avoir des troupes mieux entraînées, plus rapidement déployées et soumises à un contrôle plus strict sur le terrain, ainsi que la création d’une Commission pour l’établissement de la paix qui intégrerait les missions de reconstruction et de mise en place d’institutions démocratiques à l’issue d’un conflit ;
– et un dégraissage des effectifs au siège de l’ONU.
Pour lutter contre les nouvelles menaces, Kofi Annan propose également :
– une convention de lutte contre le terrorisme basée sur une définition beaucoup plus large du terrorisme, conformément aux vœux du gouvernement Bush ;
– de nouveaux accords pour limiter la prolifération des armes nucléaires, dont l’adhésion de l’ONU à l’Initiative de sécurité contre la prolifération d’armes de destruction massive (ISP) lancée par Bolton durant le premier mandat de George Bush ;
– la reconnaissance du fait que la “légitime défense” contre des “menaces imminentes” et le droit à un usage préventif de la force ont peut-être besoin d’être revus, compte tenu des possibles menaces de terrorisme et de prolifération des armes nucléaires et biologiques.
C’est à dessein que Kofi Annan propose des mesures préconisées par Bush. Le secrétaire général a passé de longues heures à convaincre des Etats membres que, pour survivre, l’ONU devait conserver le soutien de son plus gros bailleur de fonds (les Etats-Unis financent 22 % du budget de l’ONU). Ainsi que le note un haut fonctionnaire de l’organisation, Kofi Annan est également persuadé que “le point de vue des Etats-Unis sur l’ONU correspond en partie à la réalité”.
C’est là que Bolton entre en scène. Pendant que des journaux comme The Nation proclamaient que le choix de Bush “était un bras d’honneur fait à l’ONU”, Bolton passait quelques coups de téléphone, dont un à Richard Holbrooke, ambassadeur à l’ONU sous Bill Clinton. Ayant eu l’occasion de voir de près, à New York et dans les Balkans, le fonctionnement de l’organisation, Holbrooke connaît bien ses faiblesses, mais aussi ses points forts. Quand Bolton lui a dit que sa mission était de réformer l’ONU, il a lui répondu du tac au tac : “Vous voulez réformer les Nations unies ? C’est le souhait de tout le monde, de [l’ancien président ultraconservateur de la commission des Affaires étrangères du Sénat américain] Jesse Helms à Kofi Annan. Pour moi, la question est la suivante : faut-il la rendre plus efficace et plus puissante ?” Mi-mars, Bolton a remis à Holbrooke un document de quatre pages en lui disant : “Voilà ce que je pense.”
Le document en question était un discours de Hillary Clinton, qui commençait ainsi : “En dépit de leurs faiblesses et de leur manque d’efficacité, les Nations unies sont une organisation indispensable à tous. Cela veut dire que […] nous devons décider s’il est plus bénéfique pour le monde de la renforcer, de la réformer, de la débarrasser de ses carences administratives et de gestion, et d’augmenter sa capacité de réaction aux crises humanitaires et politiques.” Les Etats-Unis, poursuivait-elle, doivent prendre l’initiative : “Notre pays a intérêt à ce que l’ONU soit plus puissante et plus performante. […] Les Etats-Unis ont beaucoup plus à gagner qu’à perdre d’un appel à la réforme, à la transparence et à l’efficacité.”
Cet échange entre Bolton et Holbrooke donne une vision assez différente de l’intention dans laquelle Bush a envoyé Bolton à New York, en l’occurrence tirer parti de l’hostilité bien connue du gouvernement vis-à-vis de l’organisation pour lui imposer des réformes. Ce qui rend la nomination de Bolton et ses déclarations à Holbrooke d’autant plus curieuses. Bush verrait-il dans la réforme des Nations unies un élément majeur de son second mandat ?