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LE DÉSIR FÉMININ ET LE TRAUMATISME DES MUSULMANS

par Daniel Pipes article paru au New York Sun le 25 mai 2004

Version originale anglaise: Female Desire and Islamic Trauma

Adaptation française: Alain Jean-Mairet

 

Les images de la prison irakienne d'Abu Ghraib ont à tel point enflammé les esprits dans le monde musulman qu'un analyste alla jusqu'à prévoir «l'équivalent d'une explosion nucléaire» si les scènes de viol étaient montrées dans les pays islamiques. Des réactions aussi extrêmes rappellent la délicate question du sexe dans les relations entre Musulmans et Occidentaux.

L'Occident et le monde musulman nourrissent des conceptions très différentes de la sexualité féminine (je me base ici sur les idées exprimées par Fatima Mernissi dans son livre de 1975 «Beyond the Veil: Male-Female Dynamics in a Modern Muslim Society»). En Occident, on estimait jusqu'il y a peu de temps encore que les femmes et les hommes vivaient l'érotisme différemment, l'homme y prenant la part active – approche, séduction, pénétration – et la femme subissant passivement les événements. L'existence des désirs sexuels de la femme ne fut largement reconnue et acceptée que récemment.

Compte tenu de la réputation d'attachement des Musulmans aux coutumes archaïques, il y a une certaine ironie à relever que la civilisation islamique non seulement décrit la femme comme animée de désirs sexuels, mais la considère comme plus passionnée que l'homme. C'est en fait cette conception même qui a déterminé la place de la femme dans la vie musulmane traditionnelle.

Du point de vue islamique, les femmes comme les hommes recherchent le contact sexuel, contact au cours duquel leurs corps traversent des processus similaires et produisent des plaisirs analogues. Alors que les Occidentaux considéraient traditionnellement l'acte sexuel plutôt comme un affrontement où le mâle exerce sa supériorité sur la femelle, les Musulmans y voyaient une source de tendresse et de joie partagées.

Les Musulmans croient généralement que le désir de la femme est beaucoup plus prononcé que celui de l'homme, à tel point qu'ils considèrent la femme comme la chasseresse et l'homme comme sa victime passive. Les croyants n'éprouvent que peu d'appréhension à l'égard de la sexualité en tant que telle, mais ils sont obsédés par les dangers que représentent les femmes. Leurs besoins sexuels sont supposés si impérieux qu'ils en deviennent l'image même des forces de la déraison et du désordre. Les désirs effrénés et les attraits irrésistibles de la femme lui donnent sur l'homme un pouvoir qui rivalise même avec celui de Dieu. Elle doit donc être contenue, car sa sexualité exubérante constitue une menace directe pour l'ordre public (tant et si bien que le terme arabe fitna signifie à la fois désordre civil et jolie femme).

Toute la structure sociale musulmane peut être conçue comme une série de mesures visant à endiguer la sexualité de la femme. Des efforts considérables sont fournis pour séparer les sexes et limiter les contacts entre eux. D'où les usages comme ceux prescrivant aux femmes de se couvrir le visage et d'occuper des appartements séparés, ou encore le harem. Un grand nombre de ces institutions servent à restreindre le pouvoir de la femme sur l'homme; ainsi la femme doit-elle obtenir l'autorisation d'un homme pour voyager, travailler, se marier ou divorcer. Autre fait révélateur: un mariage musulman traditionnel se déroule en fait entre deux hommes – le futur marié et le tuteur de la future mariée.

Même une fois mariés, les conjoints doivent veiller à ne pas trop se lier. Pour éviter qu'un homme ne soit consumé de passion pour son épouse au point de négliger ses devoirs envers Dieu, la famille musulmane limite les contacts entre les époux en partageant leurs centres d'intérêt et leurs obligations, en déséquilibrant leur relation (elle est davantage sa servante que son compagnon) et en favorisant les liens entre mère et fils au détriment des rapports conjugaux.

Dans l'ensemble, les Musulmans respectèrent ces idéaux islamiques de relations entre hommes et femmes dans la période pré-moderne. Mais ils restaient poursuivis par la crainte que les femmes ne se libèrent de leurs servitudes et ne répandent la perdition dans la communauté.

Ces inquiétudes se multiplièrent au cours des derniers siècles, à mesure que l'influence occidentale se faisait sentir dans le monde musulman, car les habitudes occidentales se heurtent régulièrement aux coutumes islamiques. Les deux sont divisées par les droits et les libertés que les femmes occidentales ont acquis par le biais des lois, de la monogamie, du romantisme, de la sexualité sans restriction et de nombreux autres usages. Ainsi, chaque civilisation considère l'autre comme profondément déficiente, voire barbare.

Pour un grand nombre de Musulmans, l'Occident non seulement constitue une menace extérieure incarnée par les envahisseurs infidèles, mais de plus il sape les mécanismes islamiques traditionnels de protection contre la menace intérieure – la femme. Cette vision des choses les dissuade d'adopter les manières occidentales et les incite à leur préférer des coutumes plus anciennes. En d'autres termes, les disparités d'ordre sexuel contribuent à conforter l'attitude de refus généralisé du monde musulman à l'égard de la modernité. La peur de l'érotisme à l'occidentale pousse les Musulmans à se confiner dans les domaines politique, économique et culturel. Les préoccupations sexuelles constituent l'une des principales causes du traumatisme de l'Islam dans l'ère moderne.

Et cela explique la susceptibilité extrême que suscitent divers thèmes tels que le port du voile dans les écoles françaises, les «crimes d'honneur» en Jordanie, les femmes au volant en Arabie Saoudite et les images de la prison d'Abu Ghraib.