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JOUMBLATT SE RETRANCHE DANS LA MONTAGNE

Le leader druze, très critique envers la Syrie, redoute un attentat fomenté par Damas

 

Par Georges Malbrunot – le Figaro du 24 décembre 2005

 

RAFIC HARIRI l'avait appelé à l'automne 2004, lorsque s'amoncelaient les menaces d'attentat contre des personnalités anti-syriennes au Liban. «J'ai une nouvelle voiture blindée pour toi avec un système de brouillage des écoutes.» Walid Joumblatt accepta l'offre de l'ancien premier ministre, qui allait être liquidé peu de temps après.

Depuis, le leader druze figurerait sur une liste de cibles à abattre. «Je n'ai pas reçu de menaces directes», reconnaît-il, «mais, quand on montre Gebrane Tuéni (assassiné le 12 décembre à Beyrouth), moi-même et Saad Hariri, déguisés en rabins dans une manifestation à Damas, ce sont des signes qui ne trompent pas.» Désormais, Walid Bey, comme l'appellent ses ouailles druzes, vit retranché dans son nid d'aigle de Moukhtara, une vieille bâtisse en pierres ocre, perchée dans la montagne du Chouf, à une cinquantaine de kilomètres au sud-est de Beyrouth.


«Je ne fais plus que des sauts de puce à Paris ou en Arabie saoudite, avant de rentrer au Liban, car nous devons continuer la lutte.» «De toute façon, on ne peut rien faire face au terrorisme», confesse le chef druze, dont le père fut assassiné en 1977 sur cette route sinueuse de Moukhtara, où trois roquettes non activées ont été retrouvées il y a quinze jours. Un nouveau message adressé à l'un des critiques les plus acerbes contre son ancien allié syrien.

Fataliste, Joumblatt se fie à son «destin», mais, autour de lui, la méfiance est la règle, y compris vis-à-vis de ses plus proches collaborateurs. Tuéni a été tué quinze heures seulement après son retour de Paris. Ses assassins étaient très bien renseignés. «A l'aéroport de Beyrouth, poursuit Joumblatt, le chef de la police est toujours un proche de Lahoud (le président de la République pro-syrien qui refuse de démissionner). Et on ne peut pas le remplacer.» «Tant que Lahoud refusera de signer les décrets de changement dans la police et parmi les forces de sécurité, les Syriens pourront continuer de déstabiliser notre pays.» D'où cette première urgence : «désyrianniser le Liban».


Sous la contrainte, les soldats syriens sont partis après l'assassinat d'Hariri, mais leur chef continuerait de «traiter» ses agents libanais depuis Damas. «Rostom Ghazalé est devenu responsable de ce que le pouvoir syrien appelle la banlieue de Damas, explique Joumblatt. Voyez un peu comment ils considèrent leurs voisins». Une nouvelle preuve que la Syrie n'a jamais accepté la souveraineté du Liban. «C'est comme cela depuis 1920, peste Joumblatt. Les Syriens veulent garder le Liban comme un trésor qui leur rapporte beaucoup et une monnaie d'échange face à Israël. Mais qu'ils ouvrent un front sur le Golan !», le plateau occupé par l'Etat hébreu, duquel Damas se garde bien de tirer le moindre coup de feu.

 

Vieux renard


Le «vieux renard» s'énerve. Il se lève, regarde par la fenêtre les montagnes embrumées. Puis, la silhouette longiligne de ce virtuose des revirements, qu'un émissaire élyséen a travaillé au corps cet été, revient s'asseoir autour d'un thé brûlant.

Après l'assassinat de Tuéni, Joumblatt a demandé au secrétaire général du Hezbollah de le protéger. «Je n'ai pas encore reçu de réponse de la part de sheikh Nasrallah», dit-il. La ruse visait à mettre le Parti de Dieu au pied du mur. Qu'il choisisse son camp ! Le Liban ou ses parrains syriens ou iraniens.


«Nous leur reconnaissons un rôle prépondérant dans la fin de l'occupation du sud du pays par Israël. Très bien ! Mais, quand Nasrallah dit qu'il est solidaire du régime syrien, cela nous pose un problème», constate Joumblatt, alors que les cinq ministres chiites prosyriens maintiennent leur suspension du gouvernement, pour protester contre les attaques anti-syriennes, proférées après la liquidation de Tuéni. Même si le Hezbollah tient la politique libanaise en otage, le responsable druze défend son choix d'avoir milité en faveur de son intégration au gouvernement, issu des législatives de juin, qui ont porté une majorité de députés antisyriens au Parlement.


Pour lui, en effet, «la libanisation» du Hezbollah est l'autre grand défi du moment et «cela ne peut se faire que par le dialogue». Mais il réclame un renvoi d'ascenseur. «Après l'adoption de la résolution 1559 de l'ONU (qui réclame entre autres le désarmement du Hezbollah), j'ai été l'un des premiers à dire, notamment au président Chirac, que c'était une question interne au Liban, j'ai débloqué l'étau autour du Hezbollah.»


A court terme, Joumblatt n'est pourtant guère optimiste. Selon lui, «les Syriens font un calcul politique» cynique, mais simple. «Si, chaque mois, ils tuent un député hostile à Damas, nous n'aurons bientôt plus la majorité, car elle ne tient qu'à six ou sept sièges.» C'est pourquoi, le chef druze conseille la prudence à Saad Hariri, le chef de la coalition hostile à Damas, menacé lui aussi. «Saad était censé revenir s'installer à Beyrouth, mais, après la mort de Gébrane, c'est reporté», dit-il.

Le fils du «premier ministre martyr» passe son temps entre l'Arabie saoudite, Paris et Londres. Au grand dam de ses partisans. Mais sa protection rapprochée le dissuade de rentrer à Beyrouth, en tout cas, pas avant que son palais du centre-ville ne soit achevé. La sécurité est devenue la priorité de la famille Hariri. «Rafic s'en fichait, explique un de ses proches. Il était persuadé que rien ne pouvait lui arriver. Des promesses en ce sens lui avaient été faites par certains de ses amis hauts placés en Europe.»

Comme Joumblatt, Saad Hariri, lui, ne veut pas jouer avec le feu. Il a hérité du dispositif de son père : pas moins de deux centurions, dont il faut désormais vérifier la loyauté. Hasard malheureux, leur chef était absent du cortège qui accompagnait Hariri le jour de l'attentat. Depuis, le ménage a été fait parmi les gros bras autour de Saad Hariri, où l'on redoute les infiltrations ennemies. «Avec Hafez al-Assad, que j'ai bien connu, on savait qu'il y avait certaines limites à ne pas dépasser, avec son fils, Bashar, ce n'est plus le cas», conclut le féodal de Moukhtara.