www.nuitdorient.com

accueil -- nous écrire -- liens -- s'inscrire -- site

LES TENTATIVES DE MOUBARAK POUR ASPHYXIER LA SOCIETE CIVILE EGYPTIENNE

 

Par Dr Saad Al-Din Ibrahim

Traduit par MEMRI - Dépêche spéciale n° 1191

 

Dans un article d'opinion du 16 juin 2006 publié dans le Daily Star libanais, Dr Saad Al-Din Ibrahim, militant égyptien pour les droits de l'Homme et président du centre Ibn Khaldun du Caire, critique les actions du président égyptien Hosni Moubarak visant à asphyxier la démocratie par l'application ininterrompue des lois relatives à l'état d'urgence. Ibrahim affirme que le président Hosni Moubarak mène actuellement la guerre contre les juges égyptiens, les Bédouins du Sinaï et les citoyens coptes d'Egypte.

 

Voici des extraits de l'article de Saad Al-Din Ibrahim paru dans le Daily Star : (1)

 

"Le Caire demeure agité… Le gouvernement craint de nouveaux débordements en soutien à la démocratie"

"La récente décision du gouvernement du président Hosni Moubarak d'intenter un procès à deux éminents juges s'étant élevés contre la fraude électorale lors des élections législatives en Egypte l'automne dernier a secoué l'Egypte. Des manifestants se sont rassemblés en masse pour soutenir les juges, prenant le régime de Moubarak par surprise.

 

Le gouvernement de Moubarak a immédiatement fait marche arrière. Le juge Mahmoud Makki a été acquitté et le juge Hisham al-Bastawisy, qui a eu une attaque cardiaque pendant cette période, a juste été réprimandé. Le Caire demeure toutefois en proie aux troubles, tandis que le gouvernement craint de nouveaux débordements en soutien à la démocratie, les juges ayant appelé à une reprise des manifestations dans tout le pays."

 

"Aujourd'hui, les juges eux-mêmes défendent leur indépendance." 

"Les juges égyptiens ont une vieille tradition de réserve et de bienséance. Mais ils se sentent malmenés par les tentatives du gouvernement pour occulter [par de belles paroles] les manipulations successives des élections en prétendant que les juges surveillent leur bon déroulement. Ce qui rend le combat des juges si important pour un public égyptien généralement placide est notamment la solidarité résolue de quelques 9000 juges. L'organe qui les représente, le Club des juges, fait depuis longtemps pression pour que soit promulguée une nouvelle loi visant à rétablir l'indépendance judicaire. Aujourd'hui, les juges eux-mêmes défendent leur indépendance. 

 

Le régime de Moubarak se montre inflexible et recourt à des moyens extrajudiciaires, comme les tribunaux d'urgence, la sécurité nationale et les tribunaux militaires, qui ne respectent pas les critères internationaux.  Ignorant les promesses faites lors de sa campagne pour un cinquième mandat présidentiel, Moubarak a exigé (et son Parlement qui lui obéit aveuglément le lui a accordé) un prolongement de deux ans de la Loi d'urgence qui régit l'Egypte depuis le début de sa présidence."

 

"Seuls 350 000 hommes font leur service militaire, alors que la Police de la sécurité intérieure a récemment atteint un million de membres"

"C'est avant tout à cette loi que s'opposent les juges de la société civile égyptienne. La Loi d'urgence est appliquée depuis l'assassinat du président Anouar Sadate en octobre 1981 et Moubarak justifie une nouvelle prolongation par la lutte contre le terrorisme. Mais, selon un récent rapport sur les droits de l'Homme, en dépit de la Loi d'urgence, 89 personnes ont été tuées et 236 blessées dans des attentats en Egypte au cours de ces 12 derniers mois. En Israël, pays voisin, qui se trouve encore en prise avec les Palestiniens, il n'y a eu que 18 morts et 25 blessés dans des attentats similaires à la même époque. Et pourtant les Israéliens ne vivent pas sous la Loi d'urgence.

 

Considérez en outre qu'au plus fort du conflit israélo-arabe, en 1973, les forces armées égyptiennes avaient un million de troupes. Aujourd'hui, seules 350 000 personnes servent dans l'armée, alors que la Police de la sécurité intérieure a récemment atteint un million de membres."

 

La première guerre intérieure de Moubarak : les juges

 

"La première guerre intérieure de Moubarak a été menée contre des activistes musulmans au début de son premier mandat présidentiel, mais il se retrouve aujourd'hui piégé dans trois autres guerres intérieures. La bataille avec les juges a suscité suffisamment de trouble au sein de la population pour justifier le déploiement par Moubarak de milliers [de membres] des forces de sécurité au cœur du Caire. Ce déploiement, qui s'est prolongé pendant plusieurs semaines, a duré plus longtemps que les deux guerres contre Israël réunies."

 

La deuxième guerre intérieure de Moubarak : les Bédouins du Sinaï

 

"Une autre guerre intérieure, contre les Bédouins égyptiens du Sinaï, a éclaté il y a deux ans. Prenant exemple sur leurs voisins palestiniens, si ce n'est sur Al-Qaïda, les jeunes Bédouins marginalisés ont apparemment décidé de s'insurger contre leur statut de citoyens de troisième classe. Tout autour d'eux, et en particulier dans des emplacements effervescents au sud du Sinaï, des milliards sont dépensés en routes, aéroports et plages ; d'importantes parcelles de terre sont généreusement allouées à de riches Egyptiens de la vallée du Nil et à des étrangers, mais pas aux natifs du Sinaï.

En effet, les Bédouins du Sinaï ont le droit d'utiliser la terre mais non de la posséder, parce qu'une bureaucratie léthargique et quelque peu corrompue considère encore le Sinaï comme zone militaire et met en doute la loyauté de ses habitants. Il y a deux ans, lors de la commémoration de la guerre de 1973, de jeunes activistes du Sinaï ont commis un attentat au Hilton de Taba. En juillet 2005, autre fête nationale, ils ont attaqué trois lieux touristiques situés non loin des quartiers de la famille Moubarak à Charm el-Cheikh. Ces avertissements symboliques - et mortels - à l'attention d'une famille devenue pharaonique par son mode de vie et sa puissance sont passés inaperçus."

 

Troisième guerre intérieure de Moubarak : contre le droit à la citoyenneté des Coptes chrétiens.

 

"La troisième de ces guerres récentes, cette fois contre le droit à la citoyenneté des Coptes chrétiens, mijotait depuis des années. Les Coptes sont les Egyptiens authentiques ; ils étaient majoritaires jusqu'au 10ème siècle. Ce n'est que quand l'Egypte a été arabisée et islamisée que les Coptes sont devenus minoritaires dans leur pays d'origine.

 

Dans l'Egypte de Moubarak, l'égalité des citoyens, bien que stipulée dans la constitution, n'est pas respectée, notamment en ce qui concerne la construction et la protection des églises coptes. En novembre dernier, lors d'une attaque de fanatiques musulmans contre une église copte en Alexandrie, de nombreux Coptes ont été blessés. Six mois plus tard, un fanatique a pris pour cible trois églises pendant l'office du dimanche, tuant quelques fidèles et en blessant beaucoup d'autres. Les Coptes ont manifesté dans les rues d'Alexandrie pendant les trois jours qui ont suivi, protestant contre l'indulgence des autorités à l'égard des coupables et le fait que cette communauté soit prise pour bouc émissaire. On a même soupçonné une implication des autorités dans ces attentats - qui leurs ont permis de justifier une prolongation de la Loi d'urgence.

 

Les guerres intérieures de Hosni Moubarak sont alimentées par les exclus en Egypte, dont la rébellion ne cesse de croître contre un régime qui a dépassé depuis belle lurette le temps légitime de son mandat. Il se pourrait bien que cette bataille des juges s'avère être le talon d'Achille de Moubarak. La justice est une valeur essentielle pour les Egyptiens, et l'absence de justice se trouve au cœur de toutes les protestations. Rien ne le prouve mieux que le nombre sans précédent de personnes qui se sont pacifiquement ralliées aux juges, en signe de solidarité."

 

(1)   Le Daily Star (Liban), le 16 juin, 2006