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JÉRUSALEM – 3000 ans

 

Par le rabbin Nahoum Braverman a étudié la philosophie à l'Université de Yale  et vit à Los Angeles. Traduction et adaptation de Monique SIAC.

 

Pendant 2000 ans d'exil, les Juifs du monde entier se sont tournés vers Jérusalem pour prier.

Quel souvenir tenaient-ils tellement à préserver ? Comment cette antique cité, apparemment sans importance, s'est-elle retrouvée au cœur de la discorde entre Israël et les Palestiniens au sujet de l'avenir de la terre d'Israël ? Pourquoi devons-nous nous préoccuper de ce qui se passe à Jérusalem ?

 

L'homme est mémoire

 

Il faut avant tout comprendre l'importance de la mémoire. La mémoire, ce n'est ni de l'histoire, ni un certain aspect figé du passé. En mettant en lumière le passé, la mémoire construit le présent. Une mémoire refoulée entraîne des troubles psychologiques. Retrouver la mémoire, c'est recouvrer la santé. Les dictateurs consolident leur pouvoir en altérant la mémoire. Staline avait éliminé Trotski et Boukharine de certaines photographies. Les révisionnistes nient l'existence de la Shoah. En quoi est-ce important?

 

En hébreu, le mot "zakhar" signifie l'homme et "zekher" signifie la mémoire. L'homme est mémoire. Pour les personnes qui souffrent de pertes de mémoire consécutives à une maladie ou à un accident, le problème n'est pas uniquement de ne pas se rappeler où ils ont mis leurs clés. Ils ne savent plus qui ils sont. Ils sont à la dérive et n'ont plus de repères temporels, car sans mémoire, le moment présent se trouve privé de contexte et de sens.

Lorsque les Juifs furent pour la première fois exilés de Jérusalem, ils jurèrent : "Si je t'oublie Jérusalem, que ma main droite m'oublie, que ma langue s'attache à mon palais si je ne me souviens pas de toi, si je ne place pas Jérusalem au sommet de ma joie".

 

Le souvenir de Jérusalem est en quelque sorte une force vivifiante qui nous parcourt en tant que peuple. Mais comment? Quelle est la nature de ce souvenir que nous avons de Jérusalem, et en quoi contribue-t-il à notre identité ?

 

Le Talmud nous dit que c'est Dieu qui a nommé Jérusalem. C'est un nom en deux parties : "yira" qui signifie "voir", et "chalem" qui signifie "la paix".

Jérusalem est le lieu où Isaac a été ligoté par Abraham, et dont il a pu dire : "C'est l'endroit où Dieu est visible".

Partout ailleurs, Dieu n'est qu'une théorie, mais à Jérusalem, on le voit, on sent de manière tangible sa présence. A Jérusalem, nous nous projetons au-delà de notre existence précaire et vulnérable; nous ressentons la transcendance et y aspirons. Partout ailleurs, on recherche un sens en tâtonnant, à Jérusalem, tout s'éclaire. Paris est , dit-on, la ville des amoureux, mais Jérusalem est faite pour les visionnaires.

 

Jérusalem est la métaphore d'un monde achevé et elle donne à nos vies une ouverture sur l'avenir. Lorsque Aldous Huxley (auteur de l'ouvrage connu "Le Meilleur des Mondes") disait : "Chacun de nous a sa Jérusalem", il avait en tête bien plus qu'une cité temporelle avec des taxis et des embouteillages. Il avait la vision de ce que la vie pourrait être.

Renoncer à cette vision d'une vie porteuse d'une telle promesse, c'est le faire à nos risques et périls, car elle nous donne la volonté de vivre.

Pendant 2000 ans, les Juifs ont répété : "L'an prochain à Jérusalem", et, dans la pauvreté et l'oppression, ils ont préservé le rêve d'un monde dans lequel l'amour et la justice, et non la puissance et l'individualisme, seraient les valeurs acceptées par tous.

 

Jérusalem, équilibre des forces

 

Une partie du nom de Jérusalem, c'est la "vision", l'autre, c'est la "paix", mais la paix, pour Jérusalem, ce n'est pas l'absence de conflit. Jérusalem n'a connu, en fait, que de brèves périodes de répit. La paix, pour Jérusalem, c'est celle qui règne au point de convergence des rayons d'une roue, là où des forces contraires peuvent s'équilibrer en douceur et même s'accorder.

Le Talmud nous dit que Jérusalem était à l'origine de la création et que le monde rayonnait à partir de ce centre. Au Moyen Age, les cartes géographiques font figurer Jérusalem à l'épicentre de l'Asie, de l'Europe et de l'Afrique. Le monde entier converge vers ce point; toutes les forces vitales y résonnent et c'est à partir de lui que le monde entier est mis en perspective.

Jérusalem, c'est le centre qui donne de la profondeur au reste du monde. Jérusalem où Dieu peut être vu. Jérusalem, le monde parachevé. Les hommes ont compris depuis longtemps que quiconque contrôle Jérusalem contrôle la mémoire du monde. Il contrôle la manière dont Dieu est vu. Il contrôle la manière dont les forces vitales s'ordonnent et la manière dont nous voyons collectivement notre avenir.

 

Les Romains ont chassé les Juifs de Jérusalem et les ont empêchés d'y revenir sous peine de mort. La vie juive était arrivée à son terme, déclarèrent-ils.

Les Croisés redonnèrent son importance à Jérusalem, qui n'était plus le centre du drame national juif, mais celui de la Passion et de la mort de Jésus.

Puis vinrent les Musulmans qui, comme leurs prédécesseurs, réécrivirent la mémoire de Jérusalem et en chassèrent Juifs et Chrétiens. Ils construisirent systématiquement des mosquées sur chaque lieu de prière juif. Ils escamotèrent le passé.

 

En réécrivant l'histoire de Jérusalem, chacune de ces cultures a dénaturé l'importance de la présence juive dans l'histoire. Ils nous ont, croyaient-ils, relégués aux poubelles de l'histoire: un grand peuple jadis, maintenant abandonné par Dieu, dépassé par le temps.

Mais les Juifs gardèrent le souvenir de Jérusalem. Lorsque nous construisons une maison, nous laissons sur un mur une petite partie inachevée, et le nouveau marié brise un verre en souvenir de Jérusalem. De tous les points du monde, nous nous sommes tournés vers Jérusalem pour prier, et c'est parce que la mémoire est restée vive que le peuple juif a survécu.

Lorsque Jérusalem fut libérée, le temps se contracta. Le présent coïncida avec le passé. Nous pûmes reprendre possession de ce que nous avions tant désiré. Ce dont nous avions tant rêvé devint réalité, et des soldats pleuraient parce qu'un tout jeune pays méditerranéen retrouvait soudainement une mémoire perdue depuis 2000 ans. Le passé s'incarna instantanément dans le présent, d'une manière incroyable, transcendante, nous transformant en ce que nous nous savions être.

 

Jérusalem, mémoire vivante et garante de l'identité juive

 

Qui sommes-nous ? Nous ne sommes pas des nomades méprisés et misérables, ne survivant que grâce au bon vouloir capricieux des autres nations. Nous ne sommes pas un peuple de fermiers asséchant des marais, ni un peuple de guerriers, encore que, quand il le faut, nous pouvons être tout cela à la fois.

Nous sommes une nation de prêtres et de prophètes, une lumière pour les nations. Nous avons enseigné au monde à "marteler leurs épées pour en faire des socs de charrue", à "aimer ton prochain comme toi-même", à faire passer l'égalité avant la justice et à ne pas admirer le riche et le puissant, mais plutôt celui qui est bon, sage et bienveillant. Hitler disait que "les Juifs ont infligé deux plaies à l'humanité: une sur le corps, la circoncision, et une sur l'âme, la conscience". Comme il avait raison, et quel chemin il nous reste encore à parcourir! Et quel malheur lorsque nous manquons à nos devoirs envers nous-mêmes!

 

Notre peuple est divisé par le langage, par la géographie et même par la religion; il n'est uni que par les liens de la mémoire et de l'espoir. Ces liens sont excessivement fragiles. S'ils se rompent, nous nous fragmenterons et perpétuerons le long et amer exil qui n'est pas terminé et qui résulte, dit le Talmud, de nos dissensions et de nos divisions.

Jérusalem fournit un contrepoint à cette menace, car elle incarne nos souvenirs et nos espoirs. Jérusalem est une mémoire vivante, une vision de Dieu dans nos vies, l'image d'un monde achevé. Jérusalem nous donne la force d'accomplir le rôle qui nous incombe en tant que peuple: nous unir et sanctifier ce monde-ci. C'est en cela que réside l'importance de Jérusalem.

 

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