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LA FABRIQUE DES KAMIKAZES

C'est par centaines que sont formés en Irak les volontaires pour les attentats-suicides.

 

Article de Nicolas Hénin, correspondant à Amman

Paru dans le Point du 23 juillet 2005

 

Si les kamikazes sont en train de devenir l'arme absolue du djihad, ceux qui le pratiquent réfutent pourtant cette appellation et se qualifient plutôt de martyrs. Devenus le bras armé de l'islam sur toutes les terres de djihad, les auteurs d'attentats-suicides trouvent leur origine dans l'épopée des premiers temps de la religion musulmane. Ils se considèrent comme les descendants des Assassins, cette secte médiévale de sicaires drogués au haschisch qui se sacrifiaient pour aller poignarder les chevaliers francs des Etats croisés du Levant. Hassan al-Sabah, fondateur de cette secte, a théorisé cette stratégie : « Il ne suffit pas d'exécuter et de terroriser, il faut aussi savoir mourir. Car si en tuant nous décourageons nos ennemis d'entreprendre quoi que ce soit contre nous, en mourant de la façon la plus courageuse, nous forçons l'admiration de la foule. Et de cette foule, des hommes sortiront pour se joindre à nous. »

 

Tombé en désuétude pendant plusieurs siècles, l'attentat-suicide réapparaît avec le conflit israélo-palestinien. Il est alors considéré comme la seule réponse à un rapport de forces par trop défavorable ; une option beaucoup plus économique qu'une guerre frontale. Le tout premier ne vise pourtant pas Israël : il frappe l'ambassade d'Irak à Beyrouth en décembre 1981, acte probablement commandité par l'Iran de Khomeiny. Puis le Hezbollah généralise cette pratique. Il n'est guère étonnant que ce soit un mouvement chiite, branche de l'islam cultivant le culte du martyre, qui ait relancé l'usage de l'opération suicide. Mais les résultats sont jugés suffisamment convaincants pour que les sunnites l'adoptent à leur tour. En Irak, ce sont eux qui y recourent le plus souvent ; on compte parfois jusqu'à une dizaine d'attentats commis quotidiennement et des centaines de jeunes gens seraient en cours de « formation ».

Les kamikazes palestiniens se multiplient à partir de 1992 et deviennent rapidement l'arme privilégiée du Hamas et du djihad islamique aux dépens de la prise d'otages. Mais le martyre reste l'objet d'un débat intense au sein d'une religion qui, comme les autres, prohibe le suicide. Seule exception aux yeux de certains : le djihad. « Allah peut faire des martyrs, explique Fathi Shiqaqi, ancien dirigeant du Djihad islamique. Il peut purifier ceux qui ont la foi et qui détruiront complètement les infidèles. »

Ce débat sur le caractère licite de l'attentat-suicide est réapparu à l'occasion du 11 septembre. Le cheikh Youssef al-Qardhawi, le célèbre téléprédicateur égyptien qui participe au principal talk-show religieux d'Al-Jazira, exalte en général les kamikazes palestiniens, mais il avait condamné les auteurs des attentats de New York. Même verdict de la part du cheikh Fadlallah, guide spirituel du Hezbollah libanais.

 

Une fatwa à l'intention des femmes. Un autre débat doctrinal concerne les femmes. Le maître à penser du Hamas, Cheikh Yassine, avait édicté une fatwa à leur intention. Il y affirmait que « les femmes qui commettent un attentat suicide et tuent des juifs sont récompensées au paradis en devenant encore plus belles que les soixante-douze vierges promises aux hommes martyrs ». D'ailleurs, Wafa Idriss, la toute première Palestinienne kamikaze, avait déclaré avant de mourir que « permettre à une femme d'accéder au martyre constitue une étape décisive vers l'égalité des sexes dans le monde arabe ».

 

Dans son article « Genèse et futur de l'attentat-suicide », le chercheur américain Scott Atran estime que le phénomène kamikaze ne relève pas de la psychiatrie. Il réfute également la thèse selon laquelle les candidats seraient recrutés parmi les franges les plus pauvres ou les moins éduquées d'une société. Selon lui, le choix du sacrifice résulte d'un lavage de cerveau digne de celui que pratiquent les sectes ; d'autant plus efficace que la personne ressent un sentiment d'humiliation ou d'injustice. L'une des clés de cet endoctrinement tient dans la propagande menée par d'autres kamikazes, à travers des vidéos enregistrées peu avant leur mort. Cette propagande parachève un travail de conditionnement que déplore Iyad Sarraj, psychiatre à Gaza « Ce qu'on apprend aux enfants dans les mosquées, à la télévision ou à l'école, c'est à mourir. »