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L'ACTUALITÉ EN PERSPECTIVE: FIAMMETTA VENNER RÉPOND À PRIMO-EUROPE

 

Interview réalisée le 20 juin 2005 par Jean-Pierre Chemla - www.primo-europe.org

 

Primo-Europe : Fiammetta Venner*, bonjour. Votre parcours de politologue vous a amenée à vous intéresser aux extrémismes religieux et politiques. Vous avez même infiltré le service de sécurité du Front national dans les années 1990, le DPS, pour mieux en connaître les rouages. Vous avez subi des menaces à la suite de vos enquêtes sur les anti-avortement. Vous avez été, avec votre collègue, Caroline Fourest, menacée physiquement lors de votre participation à une conférence à l’Institut du Monde Arabe à laquelle participaient des islamistes, le 31 mars 2004. Êtes-vous suicidaire ?

Fiammetta Venner : … (Sourires)… Je ne crois pas. Mais travailler sur les radicalismes politiques et religieux comporte assurément des risques. Des risques que l’on doit prendre si l’on tient au maintien des libertés individuelles. Le danger ne vient pas toujours de là où on l’imagine. Dans le cas de l’extrême droite française, je n’ai pas été menacée par les groupes les plus violents, comme les skinheads, sur lesquels j’ai travaillé, mais par les sympathisants d’une députée intégriste. De même, dans le cadre de mon travail sur l’intégrisme musulman, le plus inquiétant pour une intellectuelle ne vient pas de groupes ultra-radicaux comme les salafistes mais plutôt des islamistes bon teint, militant avec des progressistes. Ils sont capables d’un degré de propagande, d’entrisme et de mauvaise foi assez usant.

 

P-E : Les théoriciens de l’extrême droite, à l’instar d’un Maurras dans les années 1930, semblent avoir disparu. Les intellectuels capables de créer une vraie idéologie d’extrême-droite n’existent plus. L’extrême-droite représente-t-elle encore un danger pour la stabilité des sociétés européennes, comparée à la menace islamiste plus ou moins soutenue par les idéologies altermondialistes et d’extrême gauche?

F.V : Je ne dirais pas cela. Il reste de grands théoriciens d’extrême droite. Une école de pensée comme la Nouvelle droite ou l’Action française (AF) ont largement diffusé leurs concepts dans la société. Lors des débats sur le PaCS, les députés les plus vifs étaient des anciens de l’AF. Pendant le référendum, on a beaucoup entendu parler de « pays légal » contre « pays réel ». Chez les intégristes chrétiens, on trouve encore un Jean Madiran qui a théorisé la mise en cause de Vatican II. Son influence théorique et politique sur l’extrême droite française mais aussi nord-américaine est importante. Ratzinger, qui est un sous-produit de l’opposition à Vatican II, le cite régulièrement. Ce qui n’est pas un bon présage.

La montée en puissance du danger islamiste ne doit pas faire penser que l’extrême droite est un vieux démon. Au contraire, elle gagne sur tous les tableaux en ce moment. Sa branche antisémite se défoule grâce à la cause palestinienne, notamment des proches d’Unité Radicale. Beaucoup de ces groupes, déçus par l’institutionnalisation du FN, se recyclent dans la profanation de cimetières juifs et mettent de l’huile sur le feu des tensions intercommunautaires. A l’inverse, une branche proche du FN plus raciste envers les Arabes qu’envers les Juifs se régale sans doute des amalgames musulmans = terroristes.

L’extrême droite n’a pas encore choisi qui sera son allié dans cette histoire mais des liens existent déjà entre intégristes chrétiens et intégristes musulmans. Ils sont soudés à la fois par la haine des Juifs et par la haine de la laïcité. Leurs agendas politiques avancent en même temps. Si bien que la montée en puissance de tensions communautaires, leur radicalisation, ne signifie absolument pas que le Front national ne risque plus de pouvoir jouer les arbitres… Pas forcément suite à une prise de pouvoir - encore que ! - mais par la diffusion de ces idées. Et de ces méthodes. D’une façon générale, que ce soit au sujet de l’extrême droite ou au sujet de l’islamisme, je ne mesure jamais la dangerosité en fonction de la capacité à prendre le pouvoir mais en fonction de son impact social. Ce qui m’intéresse et me préoccupe, c’est la diffusion des concepts intégristes dans le débat d’idées. Ce danger là est immédiat et bien réel.

 

P-E : Quel regard portez-vous sur la façon dont le CFCM (Conseil Français du Culte Musulman) a été créé ? Comment expliquez-vous la précipitation de Nicolas Sarkozy, ministre de l’intérieur lors de sa création, à intégrer l’UOIF** dans ce CFCM ?

F.V : Depuis Joxe (le premier à avoir voulu organiser le culte musulman en France), tous les ministres de l'Intérieur qui se sont succédé ont trouvé sur leur bureau un épais dossier concernant la nécessité de créer un organe permettant d'encadrer le culte musulman en France. Jean-Pierre Chevènement est allé jusqu'à créer la Comor (Consultation du culte musulman) en octobre 1999. Mais tous ont hésité à aller au-delà. Car tous se sont aperçu, à un moment ou à un autre, qu'ils risquaient de légitimer les courants les plus radicaux et néanmoins incontournables du culte musulman français.

Animé du zèle qu'on lui connaît, Sarkozy n'a pas eu les mêmes scrupules. Il a donc permis la reconnaissance nationale de l'UOIF en l'intronisant par la grande porte : celle du CFCM. Pourtant de nombreux musulmans libéraux lui ont fait part de leurs inquiétudes. Bethoule Fekkar Lambiotte lui a même remis sa démission. Avec ce mot : « Je ne peux pas accepter pour la France ce que j'ai combattu de toutes mes forces en Algérie ». Sarkozy n’a rien voulu entendre. Parce qu’il voulait aller plus vite et réussir là où tout le monde avait échoué. Le problème, c’est que dès le lendemain, pour défendre son bilan, il a mis toute son énergie à empêcher que l’on stigmatise l’UOIF.

Dans son livre contre la loi de 1905, (La République, les religions, l’espérance) écrit avec Thibault Collin, membre de la très réactionnaire Fondation de service politique (Opus Dei), il explique que l’UOIF est juste « un peu orthodoxe ». Cet euphémisme, martelé dans tous les médias, est destiné à protéger son bilan et entre dans le cadre de son pari clientéliste. Il mise sur la religion — en l’occurrence sur des prédicateurs intégristes — pour faire baisser la délinquance… Sans voir que déléguer le lien social à ces prédicateurs entretient un feu autrement plus dangereux : la haine. Il pense qu’en intégrant l’UOIF, ils allaient se "notabiliser", se modérer. Mon enquête montre qu’au contraire ils n’ont jamais rien cédé. On ne peut en dire autant de l’Etat, ni des musulmans libéraux et laïques, obligés de composer — par l’Etat — avec des intégristes qui veulent la mort de l’islam laïque.

 

P-E : En quoi l’UOIF est-elle dangereuse ? Quels sont ses fondements doctrinaires ? Avez-vous accumulé des preuves d’un projet anti-républicain à l’UOIF ? Quels liens idéologiques y a-t-il entre l’UOIF et le terrorisme international ?

F.V : L’UOIF a été créée par des Frères Musulmans, la matrice idéologique à l’origine de l’islam fondamentaliste et radical partout dans le monde. Elle est encore dirigée par des Frères Musulmans. Son institut de formation diffuse la pensée des Frères Musulmans. Sa doctrine est constituée par les fatwas émises par le Conseil européen de la fatwa, mise en place par l’UOIF et dirigé par Youssef al-Qaradhawi. Prédicateur de charme de la chaîne Al-Jazira, il a décliné l’offre que lui ont fait les Frères Musulmans d’être leur guide suprême, parce qu’il se sentait plus utile en Europe. Dans ses livres, vendus au Bourget, il explique comment battre sa femme.

A propos des homosexuels, il se demande qui il faut tuer en premier: l’actif ou le passif? Interdit de séjour aux Etats-Unis pour sa proximité avec des organisations terroristes, il est le seul théologien d’importance à avoir publié une Fatwa justifiant les attentats kamikazes… dans le cadre du Conseil européen de la Fatwa de l’UOIF !

Le Hamas, la branche armée des Frères Musulmans en Palestine, s’en revendique pour mener ses opérations suicides. Et pourtant, malgré tout cela, c’est vers lui que les Américains se tournent aujourd’hui quand ils cherchent une alternative à soutenir au Moyen-Orient.

Plusieurs "think tanks" proches de l’administration Bush conseillent aujourd’hui de miser sur les Frères Musulmans. Ce qui serait une catastrophe, pour le monde, pour les Juifs, pour le Proche-Orient. Mais comme Nicolas Sarkozy, les Américains semblent croire qu’ils p