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LA FÊTE DE LA TERREUR À TÉHÉRAN

 

Par Amir Taheri, journaliste, directeur de Politique Internationale – Paris

Paru dans Jerusalem Post du 26 janvier 2004

Traduit par Albert Soued, écrivain, www.chez.com/soued 

 

L'autre jour à la séance d'inauguration du Forum mondial économique à Davos-Suisse, le président Iranien Mohamed Khatami a, tout au long, approuvé de la tête le discours inaugural du fondateur Klaus Schwab qui appelait à l'éradication du terrorisme international. Dans son propre discours, Khatami a revendiqué un "dialogue des civilisations" comme alternative à la guerre et à la terreur.

Entre temps, les militants de quelques 40 pays à travers la planète se dirigeaient vers Téhéran où se tient "un jamboree révolutionnaire" de dix jours dans lequel on doit lancer "une nouvelle stratégie pour affronter le Grand Satan d'Amérique".

Commençant le 1er février cet événement marque le 25ème anniversaire du retour d'exil de feu Ayatollah Khomeini, le fondateur de la Révolution Islamique. On ne connaît pas le nombre de militants qui vont s'y retrouver, mais les médias officiels promettent un rassemblement massif pour définir la position de la République Islamique comme "le cœur vibrant de la résistance mondiale contre l'arrogance américaine".

 

La liste des invités se lit comme "un who's who" de la terreur globalisée. En fait, la plupart des groupes qui assistent à cette fête appelée "les dix Jours de l'Aube" sont considérés par les Etats-Unis et par certains pays d'Europe comme des terroristes. La liste inclut les 17 branches du Hezbollah, un mouvement shiite créé à Téhéran en 1983. Pendant plus de deux décennies, Téhéran a été le centre magnétique de groupes militants venant d'horizons nationaux et idéologiques les plus variés. L'hospitalité de la République Islamiste embrasse même des groupes religieux très opposés. Les organisations sunnites, y compris deux affiliés d'al Qaeda, Ansar al Islam et Hizb Islami, côtoient des guerrilleros d'Amérique latine, des groupes Irlandais, basques, corses et une myriade d'organisations gauchistes allant des Guévaristes aux Trotskistes, en passant par les Spartacistes.

Téhéran est la seule capitale où tous les mouvements militants palestiniens ont des bureaux. Certains y ont aussi des centres d'entraînement et de collecte de dons. Les autorités iraniennes prétendent qu'il ne s'agit que d'"activités culturelles ou d'information" (selon l'usage diplomatique). Ainsi les bureaux sont connus sous le nom de "daftar ertebat", c'est à dire des "bureaux de liaison; de même l'entraînement proposé par les gardes Islamiques Révolutionnaires est appelé "cours d'auto-défense".

 

Mais la guerre d'Irak et la capture de Saddam Hussein ont ébranlé les convictions Khomeinistes que les Etats-Unis n'oseraient jamais affronter directement le régime Iranien. Cette assurance est bien exprimée par le célèbre leitmotiv peint sur les murs du Centre de Conférences où a lieu la fête de la terreur "L'Amérique ne peut rien oser".

Aujourd'hui cependant beaucoup d'Iraniens pensent qu'à moins que le régime Khomeiniste ne modifie nombre d'aspects de son comportement, notamment à l'égard des groupes terroristes, il risque de se retrouver en guerre avec les Etats-Unis. "Ceux qui ne tiennent pas compte de la présence de la machine de guerre américaine autour de nous se bercent d'amères illusions" dit Imaddedin Baqi, membre du Parlement sortant.

 

On avait envisagé jusqu'en décembre d'annuler le jamboree terroriste ou de le ramener à la dimension d'une seule session de prière au Mausolée de Khomeini à Téhéran. Mais cette idée a été rejetée par le Guide suprême, Ali Khamenei qui croit qu'une démonstration de faiblesse pourrait encourager nombre d'opposants à l'intérieur du pays et à l'extérieur. Cet homme préfère montrer que l'Iran est encore la force révolutionnaire avec laquelle il faut compter et que c'est lui qui décide à Téhéran, et non pas l'inefficace Khatami.

Khamenei espère aussi que les élections qui vont suivre cette "fête de la terreur" accoucheront d'une nouvelle majorité qui lui est encore plus favorable. Son jeu est de couper l'élan réformiste, unifier les points de vue et adopter une tactique d'attentisme jusqu'aux élections américaines.

On dira sans doute aux militants de la fête de garder un profil bas pendant les prochains mois, sans abandonner leurs objectifs radicaux. Ce rassemblement a aussi pour but de resserrer les liens entre les groupes islamistes et les divers groupes communistes, anarchistes, verts contre "l'ennemi commun américain". Les chefs Khomeinistes s'étaient rendus compte des convergences islamo-gauchistes-verts lors des manifestations organisées contre la guerre d'Irak. Il faut rappeler aussi que Khomeini lui-même avait présidé en 1979 une alliance entre des islamistes, des communistes et des marxistes-léninistes pour venir à bout du régime du shah.

 

"Aujourd'hui l'humanité a un ennemi commun, et cet ennemi c'est le Gand Satan. Quiconque le combat, quelle qu'en soit la raison est à nos côtés, et quiconque ne le fait pas est du côté opposé" clame l'ayatollah Ahmad Janati qui dirige le puissant "Conseil des gardiens de la Révolution".

Cependant le régime Iranien est préparé à apporter des changements mineurs à son comportement et il serait même prêt à faire des retraits tactiques pour apaiser ce qu'on appelle "l'ouragan Bush". Mais l'objectif ultime du régime reste inchangé: chasser les Etat-Unis du Moyen Orient, détruire Israël, transformer les régimes arabes en régimes islamiques.

Ce n'est pas un hasard que deux mots soient populaires à Téhéran ces jours-ci. L'un est "détente", en usage chez les réformistes de Khatami. L'autre en usage chez les Khomeinistes est "houdhabyah", qui est le nom du lieu de la trêve (houdna) signée par le Prophète avec une tribu juive de Médine, à un moment où les fidèles de Mahomet se trouvaient en situation de faiblesse. Ayant pris avantage de la trêve pour se renforcer, le Prophète attaqua les Juifs et massacra tous les mâles adultes, saisissant femmes et enfants comme butin de guerre.

C'est avec cette toile de fond qu'on doit débattre de ce qu'il faut faire avec l'Iran. Isolé à l'extérieur et menacé à l'intérieur, le régime Khomeiniste est prêt à faire des concessions symboliques pour présenter un visage convenable aux Occidentaux. Mais sa nature profonde ne changera pas. Et on ne peut garantir que la bête ne mordra pas à nouveau et fort, dès qu'elle sentira que le vent a tourné en sa faveur; un scorpion ne pique pas par cruauté, c'est sa nature.

L'ambiance actuelle de siège à Téhéran peut mener à une brève détente, comme le souhaite Khatami. Mais il ne faut pas se méprendre, il s'agit d'un recul tactique, la stratégie de la terreur, elle, reste inchangée.

 

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