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LES MENACES SUR ISRAËL ET LES MOYENS DE LES CONJURER

 

Pr. Israël Aumann - Conférence de Herzliyah - 24 janvier 2007

Le professeur Israël J. Aumann, lauréat du prix Nobel est chercheur au Centre d'étude sur la rationalité, de l’Université hébraïque de Jérusalem.

Traduction: Objectif-info

 

Je voudrais tout d'abord remercier les organisateurs de la conférence de me donner la parole dans cette importante manifestation, de haute tenue. J'ai été invité à parler des dangers existentiels qui menacent l'État d'Israël. Un danger que nous connaissons tous provient du programme d'armement nucléaire de l'Iran, qui menace de rayer de la carte l'État d'Israël. Nous ne pouvons pas sous-estimer l'importance de ce danger.

Cependant, à mon humble avis, il est moins menaçant qu'il n’apparaît à première vue. L'Iran est une nation comme toutes les nations ; il a une adresse, nous savons qui il est et où il se trouve. Si ce que l’on dit est vrai, si l'État d'Israël a des moyens de dissuasion adéquats et, ce qui n’est pas moins essentiel, la capacité de frapper les cibles avec ses armes, le danger demeure, mais il est limité. Les dirigeants de l'Iran sont souvent qualifiés de fantasques, mais il n'y a aucune preuve que ce soit vrai. Les responsables iraniens agissent très rationnellement. Ils ont des objectifs qui s'opposent en effet aux nôtres, mais ce sont leurs objectifs, et ils les poursuivent très efficacement. La destruction des principales villes iraniennes n'est pas l'un de leurs objectifs. Nous devons certainement nous tenir sur nos gardes, mais le risque d’une utilisation directe des armes nucléaires de l'Iran contre Israël me semble minime. Je me permets de parler librement parce que je ne sais rien de ce qui se passe effectivement sur le terrain, moins que quiconque ici présent.

Cependant, il y a malheureusement, dans l'armement nucléaire de l'Iran, un danger d’une autre nature, plus réel et plus menaçant, bien qu’il soit indirect. Ce danger vient de la possibilité d’un transfert de la technologie nucléaire de l'Iran à des groupes de terroristes comme Al Qaeda, dont l’identité est mal établie et qui n'ont pas d’adresse. Même ces groupes ne sont pas fous ; ils agissent posément, rationnellement, et de façon subtile afin de réaliser leurs objectifs. Mais parce qu'ils n'ont pas d’adresse, la politique directe de dissuasion ne peut pas leur être appliquée. Donc, s'ils réussissent à obtenir des armes nucléaires, il n’est pas facile de savoir comment nous pourrions les décourager de les employer contre nous.

Ces groupes, ou certains d'entre eux, sont très proches de l'Iran du point de vue de l’idéologie et des finalités. Par conséquent, le transfert de la technologie nucléaire et les matériaux nécessaires de l'Iran à ces groupes est un grand danger. La possibilité d'un tel transfert serait prévue et approuvée par les autorités iraniennes. Une autre éventualité, plus probable, c’est que bien que le transfert ne soit pas prévu, il se réalise pour différentes raisons. A cause d’une infiltration d’éléments terroristes radicaux dans le système nucléaire iranien, à cause d’un défaut de vigilance des autorités iraniennes, ou à cause d'une carence ou d’une contrebande délibérée aux échelons inférieurs du système iranien. Ces carences ou ce système de contrebande ne seraient pas officiellement autorisés, ou même ignorés des échelons plus élevés. Si un tel transfert se produit de cette façon, nous aurons des problèmes considérables. Nous ne pourrons pas empêcher directement ces groupes d’exécuter leurs plans. Nous devons donc agir indirectement, en imaginant des incitations appropriées.

À mon avis, il y a deux manières d’agir pour conjurer cette menace. Il faut créer une situation où le gouvernement iranien serait fortement motivé pour empêcher à tout prix le transfert de technologies nucléaires et de matériaux radioactifs aux groupes qui ne fonctionnent pas sous ses ordres. La seconde façon, moins efficace, serait de donner de puissants motifs aux groupes terroristes que nous avons mentionnés pour ne pas utiliser les armes nucléaires contre Israël, même s’ils sont en possession de telles armes. Comme nous avons dit, ce type de dissuasion n'est pas aisé parce que ces groupes n'ont pas d’adresse. Ils ont cependant des objectifs et une identité idéologique : il est donc possible d’imaginer des incitations correspondant à ce contexte particulier. Nous avons mentionné deux menaces existentielles pour l’État d’Israël, la menace nucléaire directe et la menace nucléaire indirecte. Comme nous l’avons dit, le second danger est le plus grave.

Quelques mots à présent d’une troisième menace, qui est peut-être la plus sérieuse de tous. Elle ne vient pas d'Iran, ni des groupes terroristes, ni d’une autre source extérieure. Il vient de chez nous. "Nous avons rencontré l'ennemi, il est chez nous". Mesdames et messieurs, votre humble serviteur a passé sa vie à traiter de la théorie des jeux, entre autres de jeux très sérieux : jeux de la vie et de la mort, et jeux mettant en cause l'existence ou l'annihilation.

Dans la théorie des jeux le mot « jeu » signifie « motivation », « incitation ». Nous venons de discuter des motivations de ceux qui sont du coté opposé. Se motiver soi-même est la chose la plus importante, ce que nous avons le plus tendance à perdre. Sans motivation, nous ne résisterons pas. Que faisons-nous ici ? Pourquoi sommes-nous ici ? A quoi aspirons-nous ici ? Nous sommes ici parce que nous sommes Juifs, parce que nous sommes sionistes, en raison de notre lien antique à cette terre ; nous aspirons à réaliser notre espérance bi millénaire de devenir une nation libre sur notre terre, la terre de Sion, et à Jérusalem. Si nous ne comprenons pas profondément cela, nous ne résisterons pas. Nous ne serons plus ici tout simplement ; le post sionisme nous achèvera. Il y a environ six mois, à Pétra, en Jordanie, le premier ministre a dit que nous étions fatigués. Il avait raison. Il a été élu par la nation, et il exprime les sentiments de la nation. Nous ressemblons à un alpiniste qui est pris dans une tempête de neige ; la nuit tombe, il a froid, il est fatigué, et il veut dormir. S'il s’endort, il meurt de froid. Nous sommes en danger mortel parce que nous sommes fatigués. Je me permettrai de prononcer des paroles impopulaires et démodées : notre souhait désespéré de faire la paix se retourne contre nous. Il nous éloigne de plus en plus de la paix, et met en danger notre existence même. Je pense que c'est Churchill qui a dit, "Si tu veux la paix, prépare la guerre" (1). La préparation de la guerre suppose une préparation matérielle, une armée fantastique, des outils de guerre efficaces, mais par-dessus tout, il faut parler de la préparation spirituelle, de la détermination morale à faire la guerre.

Feuilles de route, armistices, gestes, désengagements, convergences, transferts de population, et ainsi de suite n'apportent pas la paix. Au contraire, ils apportent la guerre, comme nous l’avons vu l'été passé. Ils adressent un signal clair à nos "cousins" : le signal que nous sommes fatigués, que nous n'avons plus de force spirituelle, que nous n'avons pas le temps, que nous réclamons une pause. Cela ne fait qu’aiguiser leur appétit. Cela les encourage à exercer sur nous davantage de pression, à exiger plus, et à ne rien concéder. C’est le résultat de considérations théoriques simples et d’un raisonnement pertinent. Mais ce n'est pas simplement de la théorie : cela a été prouvé et confirmé dans les faits pendant des milliers d'années. Je rentre aujourd'hui d'un voyage en Inde, où on nous a présenté des évènements historiques qui illustrent ce phénomène. Les concessions provoquent les guerres ; la détermination et la résolution conduisent à la paix. Mesdames et messieurs, nous devons dire à nos cousins que nous allons rester ici. Nous ne nous déplacerons pas. Nous avons du temps ; nous avons de la patience ; nous avons de l’énergie. Il faut comprendre cela et s’en pénétrer. Nous ne devons pas simplement le dire à nos cousins, mais le ressentir en nous-mêmes. C’est cela et rien d’autre qui apportera la paix. Il est vraiment possible de vivre dans la paix, l'unité et la coopération avec nos cousins. Mais seulement après qu’ils aient compris et intégré l’idée que l'État sioniste est là pour toujours. Merci beaucoup.

 

Note

(1) Au retour de Neville Chamberlain de la conférence de Munich en mars 1938, Churchill prévint : "Vous avez voulu la paix dans le déshonneur. Vous aurez la guerre et le déshonneur".

Le fameux adage "Si vis pacem, para bellum", Si tu veux la paix, prépare la guerre, est une maxime qui remonte à l'empire romain.