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Israël en Crise?

 

Par Charles Baccouche, écrivain

20 juin 2023 Tribune Juive 


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Depuis que le gouvernement de Netanyahou, issu d’une majorité relative, a lancé la réforme de la Cour suprême et que des manifestations de l’opposition menée par Yair Lapid enflamment les grands villes d’Israël pour contester la validité de cette réforme, des opinions diverses et hétérogènes animent un débat étrange. On va de la chute de la démocratie israélienne à divers coups d’états, voire pire.

La Cour suprême serait devenue le garant ultime de la légalité des lois votées par la Knesset, (le Parlement), mais dans ce cas, le Pouvoir Judiciaire domine le Pouvoir législatif, que les Constitutionnalistes appellent “le Gouvernement des Juges”.  

Il faudrait que ce contrôle nécessaire s’exerce par une institution  indépendante au regard d’une Constitution, norme suprême de la hiérarchie des Lois. 

Cette réforme violerait le principe d’égalité fondement de la démocratie, les droits des minorités. On convoque les plus hautes autorités diplomatiques, les spécialistes de droit constitutionnel pour justifier ces alarmes, agitées mais sans véritable fondement.

Certains décrètent même qu’Israël serait à la veille d’un “coup d’état constitutionnel” sans craindre l’outrance de cet oxymore. On ose même redouter “la disparition pure et simple du pays”. C’est à qui sera le plus prévoyant, le plus savant, le mieux informé et moins on connait le pays et plus on exprime des avis définitifs. La médiocratie règne en maitre sur les médias et les supposés experts de géopolitique.

Ces supposés « Sachants » parlent à profusion de la démocratie israélienne en danger, la seule du Proche et Moyen Orient (sic), de la trahison de l’idéal des premiers sionistes qui aurait bâti un état démocratique libéral et égalitaire. 

Hélas, le pays, répètent-ils, se dissout dans l’apartheid et un racisme qui suffisent à le discréditer sans réserve.  On s’interpelle, on s’interroge, on s’approuve les uns les autres, on renchérit dans l’air du temps qui est à l’humanisme-humanitaire, devenu produit de consommation courante pour dénigrer Israël et vouer son gouvernement aux gémonies.  En fait, on applique sans sourciller des concepts européens de droite et de gauche (extrêmes, d’ailleurs, comme il se doit) qui sont sans application au Proche Orient.

Mais ont-ils vu, ces contempteurs, les milliers de drapeaux agités par tous les manifestants de droite et de gauche, les ont-ils vu flotter partout dans les rues, aux fenêtres, sur les routes, au-dessus des voitures? Ils ne s’en soucient pas, enfoncés qu’ils sont dans leur petite passion d’apparaître et paraître. Pour tenter de rétablir de simples vérités : 

– Il est si vrai qu’Israël est un État Juif que les sionistes les plus socialistes se nomment eux-mêmes sionistes, qualificatif dont la racine est Sion qui est l’Histoire, la mémoire et le cœur d’Israël au sein de la Judée.

– Faut-il rappeler que l’O N U, en 1947, a consacré la naissance d’un État juif et d’un État arabe, qui ne fut jamais proclamé par la volonté même des arabes.

– Qu’Israël a dû affronter toutes les guerres déclenchées par les États arabes et le terrorisme arabe, avant que par la magie de l’Egyptien Arafat surgisse de nulle part un “peuple palestinien” revendiquant une terre que nul n’avait revendiquée durant les centaines de siècles précédents.

- Que sur la portion congrue qui lui fut reconnue, Israël a reçu et intégré des milliers d’immigrants, de rescapés des camps de la mort, de réfugiés des pays arabes. 

Israël est en crise depuis sa naissance. En effet, par souci d’égalité et de liberté qui a été si longtemps refusée aux Juifs, le gouvernement de l’indépendance a pris les deux mesures les plus démocratiques qui soient, mais dont les effets pervers expliquent la crise institutionnelle qui secoue le pays.

*La première fut d’instaurer un mode de scrutin intégralement proportionnel et de considérer tout le territoire comme une seule circonscription.

*La seconde fut de renvoyer dans un futur évanescent la création d’une Constitution.

L’adoption d’un mode de scrutin proportionnel sans aucun aménagement a conduit mécaniquement à l’émiettement des forces politiques, si bien que jamais un parti politique israélien n’a obtenu la majorité absolue de 61 sièges sur les 120 au parlement monocamérisme d’Israël. Le professeur Duverger a parfaitement exposé les effets négatifs d’un système électoral apparemment parfait, car il respecte le principe d’égalité entre les citoyens, mais dont l’application extensive se révèle nocive.

Le mode de scrutin proportionnel non seulement disperse les voix des électeurs entre diverses tendances, mais aussi confère un effet de loupe qui profite aux petits partis, lesquels seront sur-représentés au Parlement (Knesset).  Ces conséquences sont aggravées par le fait que le pays est une circonscription unique.

L’absence de Constitution et d’une Chambre haute pour atténuer la toute-puissance de la Chambre basse à l’image de la Grande Bretagne, où la Chambre des Lords contrebalance la Chambre des communes, ou de la France qui connait la navette entre le Parlement et le Sénat, prive Israël d’un organe de contrôle du respect des principes fondamentaux du droit.

Il en ressort qu’Israël fonctionne depuis sa naissance sans Constitution et sans majorité stable susceptible de soutenir l’activité gouvernementale.

Il convient d’en conclure que les crises successives relèvent de ces carences, alors que la population est passée de six cent milles à 9,5 millions d’habitants en 75 ans, composés de dizaines d’origines différentes, une forte minorité arabe, dont une partie s’est intégrée et une partie persiste dans l’irrédentisme.

L’absence de politique à long terme, la paralysie de toute évolution du conflit israélo arabe, les pénuries qui affectent les villes du Sud et la pauvreté envahissante dans les villes de développement, alors que le pays prospère et s’enrichit de ses réalisations industrielles et technologiques, sont directement liées à la faiblesse des Institutions de la Nation.

La réforme judiciaire que le gouvernement de coalition, Netanyahou réélu sans majorité conséquente, veut mener est de nature à priver la Cour suprême d’une partie de ses pouvoirs exorbitants, qui empiètent sur les deux autres pouvoirs. En effet, Montesquieu le disait élégamment, la garantie qu’un Etat reste démocratique réside dans la séparation des trois pouvoirs : Exécutif, Législatif, Judiciaire.

Il faut savoir que jusqu’en 1993, la Cour suprême ne disposait que de pouvoirs de recours des décisions juridictionnelles. Elle régulait  la jurisprudence des juridictions inférieures, comme en France le Conseil d’Etat et la Cour de Cassation.

A partir ce cette époque, en l’absence de contrôle de la légalité des lois votées par la Knesset, la Cour suprême s’est arrogé ce pouvoir. Sa propension à étendre sa compétence au contrôle de la légitimité des lois votées par la Knesset ignore le principe de la séparation des pouvoirs et mine les fondements de la démocratie.

Les partis politiques israéliens n’ignorent pas les causes des crises d’Israël, mais d’une part tous sans exception profitent du mode de scrutin proportionnel intégral, tous bénéficient de la manne qu’ils reçoivent en fonction de l’importance de leurs représentations à la Knesset, et d’autre part, le peuple conserve un attachement puissant aux principes vertueux des débuts de la jeune Histoire d’Israël : une  démocratie intégrale, égalitaire et une liberté sans entrave.

Les premiers dirigeants ont confisqué le pouvoir jusqu’à la grande désillusion de la guerre de kippour d’octobre 1973, où les Nationalistes libéraux sous la conduite de Menahem Beguin emportèrent les élections en 1977 et signèrent la paix avec l’Egypte en 1979.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les vainqueurs ont succombé aux démons de la démocratie fondée sur le vote ultra égalitaire de la proportionnelle intégrale, et ont dû composer avec les petits partis  pour constituer des coalitions viables. 

Grave est cette crise, mais elle est salvatrice, car elle force Israël à prendre conscience des défis majeurs qu’il doit affronter : assainissement des institutions, lutte contre la pauvreté navrante de couches importantes du pays, lutte contre la délinquance meurtrière dans les communautés arabes, et conte le terrorisme des «  Palestiniens » et celui, extérieur, de l’Iran et de ses supplétifs du Hezbollah et du Hamas.

Ces dangers n’empêchent pas Israël de poursuivre son développement économique, ni de développer ses innovations technologiques, tout en continuant à recevoir des milliers d’immigrants des tous les pays du Monde et de les intégrer en son sein.

Ces observations démontrent qu’Israël est un État jeune, en crise de croissance.

Il reste que l’existence d’Israël reste un souci pour nombre de gens et de pays qui ne peuvent concevoir qu’un si petit peuple survive aux coups terribles de son histoire depuis l’Antiquité, et s’autorise l’audace de rebâtir son Etat après 2 000 ans d’errance.