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SUR LA SYRIE ON SE TAIT

 

Article écrit par Natan Sharanski, ancien ministre israélien

Paru dans le Jerusalem Post du 27/10/05

Traduit par Albert Soued, www.chez.com/soued

 

Le lien qui unit Israël aux Etats-Unis n'est pas seulement construit autour d'intérêts communs, mais également sur des valeurs partagées par des citoyens des deux nations, notamment l'amour de la liberté et de la démocratie. Grâce à ce lien solide érigé en axiome, l'alliance entre les deux pays peut traverser l'orage des désaccords entre les gouvernements. Que cela soit au sujet de l'urbanisation du corridor E1 séparant Jérusalem de Maalé Adoumim ou des interprétations divergentes de la lettre envoyée par G W Bush à Ariel Sharon en avril 2004. Ces désaccords ne proviennent pas de différences idéologiques fondamentales, mais sont plutôt liés à des considérations de politique intérieure dans chaque pays. Ceci d'autant plus qu'une connivence particulière existe entre les deux dirigeants.

Néanmoins si on regarde de plus près la règle des "valeurs partagées", on s'aperçoit d'une exception, en ce qui concerne la promotion de la démocratie auprès de nos voisins arabes. La politique du président Bush au Moyen Orient est basée sur une conviction passionnée qu'on peut transformer les pays de cette région en démocraties, le seul moyen de parvenir à la paix. La plupart des hommes politiques en Israël sont sceptiques devant une telle foi, la considérant au mieux comme naïve, au pire comme périlleuse.

Le rejet de cette vision d'un Moyen Orient démocratique par notre pays a déjà entraîné de sérieuses conséquences. La feuille de route par exemple.

 

Quand le 24/06/02, le président Bush a prononcé son fameux discours révolutionnaire sur la démocratisation de l'Autorité Palestinienne, condition pour faire avancer le processus de paix, le gouvernement israélien s'est abstenu de proposer un plan ou de prendre une quelconque initiative. On n'a même pas eu une réunion sur le sujet. Devant le silence de notre gouvernement, le Département d'Etat s'est mis au travail. Fidèle à ses principes de realpolitik et réservé quant aux annonces hardies de son président, le Département d'Etat a forgé son propre plan, selon le schéma des accords d'Oslo, même si la rhétorique de G W Bush est conservée. C'est ainsi qu'en espérant gagner du temps en ne faisant rien, nos chefs se sont retrouvés devant une "feuille de route" et ont été forcés de l'accepter! Même si la doctrine de G W Bush de promotion de la démocratie est aujourd'hui de plus en plus critiquée, le soutien de cette politique au sein de son administration s'est renforcée. Ainsi Condoleeza Rice essaie de mener une véritable révolution au sein du Département d'Etat, comme j'ai pu le constater lors d'un entretien avec elle, à l'occasion d'une conférence sur la démocratie. Pour s'en convaincre, il n'y a qu'à voir les impulsions données dans tout le Moyen Orient, du Liban au Koweit, en passant par l'Egypte, l'Irak et même l'Arabie.

 

Et maintenant le doigt est pointé sur la Syrie, source des troubles au Liban ou en Irak. Le rapport de l'Onu sur le meurtre de Rafik Hariri est l'occasion unique pour ébranler le régime syrien. Et quelle est la position d'Israël sur le sujet? Accepterons-nous le remplacement d'un régime dictatorial hostile et agressif par un autre qui serait pacifique et démocratique? De très nombreuses réserves ont été exprimées dans les "hautes sphères" estimant qu'un chaos dangereux pourrait remplacer la clique des Assad. Et même pire, si un régime démocratique s'installait, il pourrait demander de négocier la restitution des hauteurs du Golan. Ceci n'est pas nouveau. Durant les 15 dernières années, Israël s'est toujours tiré une balle dans le pied, en pensant que les régimes forts des dictatures du Moyen Orient étaient une source de stabilité. Nous avons toujours accepté les dictatures au détriment d'éventuelles démocraties. Cette aliénation est portée à son paroxysme quand il s'agit de la Syrie, où nous préférons un statu quo avec une dictature faible, plutôt qu'une évolution pouvant déboucher sur une démocratie.

Une politique qui s'appuie sur des dictateurs "forts mais amis" ou "hostiles mais faibles" ne peut donner que les mêmes résultats dans les deux cas. La haine de nos voisins à notre égard sera perpétuée de génération en génération, puisque la profonde conviction qu'Israël doit être annihilé est ancrée en eux. Faible ou fort, tout régime dictatorial a besoin d'un bouc émissaire extérieur pour survivre.

En contraste, les démocraties dépendent du soutien populaire. Quelle que soit leur idéologie, elles doivent satisfaire les besoins du peuple qui préfère la prospérité à la pauvreté et la paix à la guerre. Inévitablement toute démocratie cherchera son intérêt dans la coopération avec ses voisins. Et ce sera le cas de la Syrie. Il suffit de discuter avec les dissidents syriens. Le régime des Assad pourrit de l'intérieur et point n'est besoin d'intervenir pour le changer. Il suffit de soutenir les forces démocratiques qui oeuvrent pour la liberté aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur.

 

Nous ferons une erreur stratégique en nous abstenant de soutenir le projet américain de démocratisation du Moyen Orient, et en adhérant à une politique de courte vue, s'appuyant sur des dictatures fortes ou amies, faibles ou hostiles. Et nous raterons une occasion historique qui apportera à la région la paix et la prospérité.

 

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