www.nuitdorient.com

accueil -- nous écrire -- liens -- s'inscrire -- site

SHII'TES D'ARABIE

L'intolérance religieuse ne protège pas contre les fanatiques

 

Par Amir Taheri, écrivain et journaliste iranien, rédacteur en chef de Politique Internationale, Paris

Article paru le 16 mai 2003 dans le Jerusalem Post, traduit par Albert Soued, écrivain www.chez.com/soued

 

Officiellement, ils n'existent pas. En réalité, les Shiites d'Arabie Saoudite représentent 15% d'une population du royaume de 20 millions d'habitants. Le mois dernier, leur existence a été reconnue d'une manière tacite, quand un média d'état a mentionné brièvement une réunion entre le prince A'bdullah ibn Abdel Aziz (régnant de facto) et une délégation de Shiites.

Ceux qui se sont réunis disent qu'ils sont sous le sceau du secret, mais ils ont néanmoins précisé que cet entretien de 4 heures s'est déroulé dans une "atmosphère positive". En tout cas, les Shiites semblent déterminés à sortir de la marge pour revendiquer l'égalité des droits en tant que citoyens. Le dernier signe de cette détermination est une pétition signée par presque tous les 500 dirigeants de la communauté. Cette pétition qui vient d'être signée s'adresse au prince de la couronne et demande au gouvernement de créer un Comité National qui proposerait des mesures urgentes pour que cesse la discrimination à l'égard des minorités, notamment Shiites. Cette pétition rappelle les "changements historiques dans la région" (on suppose qu'il s'agit de l'Irak) et enjoint les autorités à s'"adapter aux circonstances nouvelles".

Les Shiites d'Arabie sont concentrés dans l'Est pétrolier du pays, la province d'Al Sharkyah et constituent une bonne part de sa classe moyenne urbaine. Ils sont fortement représentés dans les professions libérales et dans les affaires du privé. Ils brillent par leur absence dans le secteur public, où on ne trouve qu'un seul Shiite parmi les 400 postes les plus importants, un sous-secrétaire d'état. Parmi les 120 membres "nommés" du Parlement (majlis al shoura), on ne rencontre que 2 Shiites. Mais pire, les organes religieux de l'état sont exclusivement tenus par des théologiens de l'école sunnite Hanbalite, qui clament publiquement que les Shiites ne sont pas des Musulmans! Contrôlées par cette même filière, les cours de justice n'acceptent pas le témoignage d'un Shiite! Ces mêmes théologiens interdisent les mariages entre Sunnites et Shiites et considèrent les mariages Shiites comme illégaux.

Les Shiites se défendent en précisant que les Hanbalites (souvent aussi wahabites) n'ont pas la majorité qu'ils revendiquent. "L'Arabie est une riche mosaïque de croyances, plus variée qu'on ne l'imagine" dit un érudit de Djedah sous la condition de l'anonymat. Ainsi parmi les Shiites il y a les "duodécimains" dont la foi est similaire à ceux d'Iran et d'Irak, puis les "septicémains", en majorité dans la province de Najran et un peu partout les Zaydis du Yémen. Même la majorité sunnite, quelque 70% de la population, n'est pas monolithique, puisque les Shaféis et les Hanafis occupent pratiquement toutes les provinces de la mer Rouge.

La situation se complique parce que des personnes hétérodoxes, et même des villages et des villes entières pratiquent la dissimulation (ou taqiyah), pour échapper à la persécution et à la discrimination de la majorité…

La politique d'Etat à l'égard des Shiites a évolué entre la répression active et l'indifférente bienveillance. Le précédent roi Faisal ibn Abdel Aziz a levé de nombreuses restrictions à leur égard dans les années 60 et leur a permis de profiter de l'éducation d'état et des services de santé. Rappelons que dans les années 80, des agitateurs expédiés par l'Iran de Khomeyni ont essayé de mobiliser les Shiites d'Arabie, ont échoué. Cette tentative a donné l'occasion aux théologiens Hanbalites de serrer encore la vis contre les Shiites. Beaucoup d'entre eux s'expatrièrent en Iran et en Grande Bretagne. En 1987 le roi Fahd essaya de persuader les exilés de rentrer au pays en échange de réformes en leur faveur.

 

Avec la montée du Hanbalisme militant, dont une version est représentée par le terroriste fugitif Osama Ben Laden, les Shiites, les Ismaéliens et les Zaydis se retrouvèrent comme les meilleurs défenseurs de la couronne Saoudienne. Ce soutien est basé sur le raisonnement que si la dynastie des Al Saoud est renversée, elle serait remplacée par des fanatiques intolérants qui clament publiquement que les Shiites ont le choix entre se convertir au Hanbalisme, quitter le pays ou mourir! Certains fidèles de Ben Laden rentrés au pays ont trouvé le prétexte des guerres d'Afghanistan et d'Irak pour fomenter des troubles, notamment contre les Shiites. Ils tiennent pour responsables de la chute du régime des Taliban à Kaboul, les Hazara et les Badakshani, Shiites afghans qui auraient coopéré avec les "envahisseurs américains". De même, ils blâment la majorité Shiite d'Irak pour la chute rapide du régime de Saddam Hussein à Bagdad.

 

Des prêcheurs de la ligne dure haranguent les fidèles à la moquée en disant que le but  suprême des Shiites est de détruire l'Islam arabe de l'intérieur, dans l'intérêt de l'Iran, des Etats-Unis et d'Israël. La haine des théologiens Hanbalites à l'égard de la Shia'h est telle qu'ils ont émis un décret interdisant la distribution aux Shiites de l'aide humanitaire collectée pour l'Irak. "Que les Shiites d'Irak aillent se nourrir chez leurs maîtres d'Amérique, d'Iran et d'Israël" tonna un prêcheur sunnite radical le Sheikh Outba ibn Marwan, dans une mosquée de Ryad, la semaine dernière.

Pendant des mois, les rumeurs les plus folles d'une conspiration shiite se sont répandues dans le royaume. L'une d'elle est fondée sur un rapport présenté par l'universitaire d'origine française, Laurent Murawiec, devant le Conseil National de Sécurité à Washington. Dans ce rapport, qui a été rejeté par le Conseil, Murawiec appelle les Etats-Unis à faire usage de leurs forces militaires pour occuper les provinces pétrolières saoudiennes où les Shiites constituent la majorité.

 

Pour quelles raisons les radicaux Sunnites détestent à ce point leurs concitoyens Shiites?

J'ai posé la question au plus grand théologien Sunnite d'Arabie Saoudite, le sheikh Abdel Aziz ibn Baz, lors d'un entretien de quatre heures, souvent tumultueux. Il s'est avéré que ce sheikh était particulièrement outragé par la revendication Shiite d'"interpréter" ou de "réinterpréter" les règles de base de l'Islam. "Quand les Shiites disent que la raison (al a'kl) doit avoir la prééminence sur la tradition (nakl), ils veulent simplement remplacer Dieu par l'homme" m'affirma le sheikh aveugle. "Pour nous, l'Islam est une vérité depuis le début (asl) jusqu'à l'éternité (abad). Il ne peut pas être aujourd'hui une chose et demain autre chose".

 

Ces sujets ne peuvent pas être débattus, quel que soit contexte, aussi longtemps qu'un ecclésiastique sunnite pense qu'il sera rendu impur s'il serre la main d'un shiite.

 

Les Shiites, à ce jour, ne font que des demandes modestes.

- Ils veulent que leur foi soit reconnue officiellement comme une version légitime de l'Islam. Ils se fondent sur un concordat signé en 1947 entre Qom (centre de l'Islam Shiite en Iran) et le Caire (centre de l'Islam sunnite), pour un respect et une reconnaissance mutuelle.

- Ils veulent que le royaume expurge les livres scolaires des "mensonges pervers et des

allégations calomnieuses" contre les Shiites. Certains livres financés par le gouvernement vont jusqu'à affirmer que la Shia'h "a été inventée par un Juif pour diviser l'Islam"(1) et accusent ce schisme de pratiquer l'inceste et le cannibalisme en cachette.

- Ils veulent une égalité devant la justice, la reconnaissance de leurs mariages et l'acceptation de leurs témoignages devant les cours.

- Ils demandent de pouvoir posséder et gérer leurs propres mosquées, pratiquer leurs rites, y compris les cérémonies de deuil (a'shoura et arba'in), créer des écoles de formation de théologiens et d'aller en pèlerinage sur les sites d'Irak et d'Iran.

- Enfin ils veulent que des candidats Shiites puissent être acceptés au service civil ou militaire. "Il n'est pas normal qu'il n'y ait pas d'officiers shiites dans l'armée, des ministres, gouverneurs, maires, ambassadeurs shiites dans le royaume" dit un homme d'affaires de Dahran, "Cette forme d'apartheid religieux est intolérable!".

 

Il n'est pas clair si la dynastie actuelle est préparée à prendre le risque d'une confrontation avec les sheikhs Hanbali pour plaire aux Shiites. Mais des dirigeants Shiites affirment qu'ils ont "des alliés solides et des sympathisants dans la famille royale". Et il y a un autre facteur qui pourrait intervenir, celui d'une démocratie à majorité Shiite en Irak; cette perspective ajoutée à la présence militaire américaine, très proche, a changé le paysage politique de la région. (2)

 

Notes du traducteur:

(1)   A'bdallah ibn al sawdah – voir mon livre "La révolution des Messies" – Harmattan

(2)   une première démocratie installée au Moyen Orient a soulevé un tollé général, depuis 55 an, dans les pays arabes qui ont pourtant de la place, Israël ne constituant que moins de 1% du territoire arabe. Alors qu'en serat-il d'une 2ème démocratie, arabe de plus, si jamais elle voit le jour! Les dictatures commencent déjà à montrer leurs muscles en terrorisant les populations israélienne et irakienne par bombes-suicides interposées.

 

© www.nuitdorient.com par le groupe boaz,copyright autorisé sous réserve de mention du site