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Y AURAIT-IL EN ISLAM DEUX POIDS DEUX MESURES DANS L'INDIGNATION ?

 

L'analyse de Renaud Girard, grand reporter au service étranger du Figaro

Parue dans le Figaro du 07 février 2006

 

Mais que se passe-t-il donc en ce moment ? Est-ce nous, les Occidentaux, qui avons un problème avec l'Islam, ou est-ce l'Islam qui a un problème avec nous ? A l'évidence, c'est la seconde branche de l'alternative qui est la bonne.

Pour comprendre, reprenons les faits. Il y a quatre mois, un journal danois publie des caricatures que personne n'avait particulièrement remarquées. Et puis, soudain, l'affaire est montée en épingle et présentée comme un «crime» justifiant qu'on se mette à incendier des ambassades européennes dans le monde arabo-musulman.

Les dessins incriminés mettent en scène Mahomet. Mais ce qu'ils caricaturent réellement, c'est l'usage que font les terroristes islamistes du Prophète, c'est le fait que les kamikazes se réclament de lui avant de perpétrer un attentat. Le dessin qui a le plus choqué est celui où le turban de Mahomet a été remplacé par une bombe, arme qui n'existait pas du temps du Prophète mais qui est constamment utilisée par des militants se réclamant de son enseignement. Les Danois, petit peuple pacifique, industrieux et tolérant du nord de l'Europe, n'ont rien contre Mahomet, ni pour lui. Ils ne le connaissent pas et ne l'ont jamais rencontré dans leur histoire. Simplement, comme tous les peuples du monde, ils doivent se plier à des contrôles de sécurité draconiens pour prendre un avion, depuis les attentats kamikazes du 11 Septembre, commis au nom de l'islam.

On a parfaitement le droit de trouver ces caricatures d'un goût douteux. Ce qui est intéressant dans le personnage de Mahomet, ce n'est pas la caricature de son enseignement fournie par le digest bâclé de Ben Laden et consorts, mais la réalité de son histoire. En son temps (le VIIe siècle), Mahomet était un homme de progrès. Qu'il ait civilisé la vie publique à Médine est indéniable. Avant lui, les femmes n'avaient aucun droit. Il leur en a donné. L'article de loi islamique qui veut que le témoignage d'une femme vaut la moitié de celui d'un homme apparaît aujourd'hui particulièrement rétrograde. Mais, à l'époque, cela constituait un immense progrès. Le problème de la religion musulmane avec le monde contemporain ne tient pas à l'enseignement particulier, en son temps, de Mahomet, mais au fait qu'à partir du XIIe siècle l'interprétation (l'ijtihad) a été gelée en Islam, bloquant de fait toute réforme. Si, depuis la Saint-Barthélemy, la religion catholique ne s'était pas réformée en profondeur, elle serait aujourd'hui totalement inaudible en Occident.

On est donc parfaitement fondé à trouver ces dessins inintéressants. Mais, dans ce cas-là, il n'y a qu'une réaction à avoir : on passe la page ou, au pire, on résilie son abonnement au journal danois en question.

Très troublantes sont les réactions disproportionnées du monde arabo-musulman à ces dessins publiés dans un journal dont personne n'avait jusque-là entendu parler. Il est évident que les foules musulmanes furieuses de Beyrouth ou de Téhéran ont été en partie manipulées : au Liban, par les partis prosyriens qui veulent qu'on enterre l'enquête internationale sur l'assassinat de Rafic Hariri, en Iran par un régime qui est accusé (non sans preuve) par l'Occident de violer le traité de non-prolifération nucléaire.

Mais, au-delà des inévitables manipulations, les manifestations qui se multiplient à travers le monde arabo-musulman signalent un fossé culturel extrêmement profond. On se heurte à un mur en rappelant des évidences sur le fonctionnement des sociétés occidentales. En quoi le gouvernement danois est-il responsable de ce qui est publié dans la presse danoise, qui est évidemment une presse libre ? Au cours des deux décennies passées, le Danemark s'est plutôt fait remarquer par sa grande générosité à l'égard du monde musulman (dons aux Palestiniens, accueil de dizaines de milliers de réfugiés bosniaques).

Si l'ignorance peut expliquer tel mouvement de foule en Afghanistan, on ne peut pas en dire autant d'une manifestation d'immigrés musulmans en Belgique. La valeur suprême de l'Occident, celle de liberté politique, fut, d'une manière éhontée, exploitée par ceux-ci. A Bruxelles, les manifestants musulmans ont utilisé la liberté de manifester pour tenter d'assassiner la liberté d'expression.

Mais pourquoi ces musulmans de Belgique n'ont-ils jamais manifesté auparavant sur des sujets autrement importants ? Les a-t-on vus dans la rue pour exprimer leur rejet de la pensée Ben Laden après les attentats du 11 Septembre ? Les a-t-on entendus crier leur horreur devant la décapitation filmée de l'ingénieur américain Nick Berg ? Comment eux, qui bénéficient en Belgique de la liberté de religion, n'ont-ils jamais pensé manifester devant l'ambassade d'Arabie saoudite, pays qui interdit de dire la messe aux centaines de milliers de Philippins chrétiens qui y habitent ? N'ont-ils pas honte de ce régime saoudien qui, au nom de l'Islam, interdit à de pauvres travailleurs immigrés la simple pratique de leur religion ? Y aurait-il, en Islam, deux poids, deux mesures dans l'indignation ?

Pourtant, ces musulmans de Belgique n'ignorent pas que, dans l'histoire, des peuples ont parfois osé manifester publiquement leur honte. Après les massacres de Sabra et Chatila en 1982, plus d'un demi-million d'Israéliens sont sortis dans les rues de Tel-Aviv pour exprimer leur honte face aux familles palestiniennes massacrées (par la milice phalangiste d'Elie Hobeika, que l'armée israélienne avait laissé entrer dans les camps).

Si les cinq mille musulmans qui manifestaient dimanche à Bruxelles ont tant en horreur les valeurs occidentales de liberté et de laïcité, pourquoi ne leur vient-il pas à l'idée d'aller vivre en Arabie saoudite ?

En Europe, le droit d'asile politique, magnifique héritage des Lumières, a été détourné. Car il a toujours été entendu que le demandeur d'asile devait partager les valeurs fondamentales du pays dans lequel il souhaitait être invité.

Encore faudrait-il que les pays d'accueil sachent les défendre eux-mêmes sans concession. Comment Martine Aubry a-t-elle pu créer, comme au Pakistan, un «apartheid» femmes-hommes dans les piscines de Lille ?

 

Sachons, chez nous, défendre nos valeurs. Pour paraphraser Churchill, ne choisissons pas le déshonneur des concessions pour éviter la guerre. Car nous aurions au final et le déshonneur et la guerre.

 

 

 

 

Are there double standards of outrage in Islam?

 

By Renaud Girard
le Figaro of February 6th,  2006

So what is happening now? Is it we Westerners that have a problem with Islam, or is it Islam that has a problem with us? Clearly, it is the latter.

In order to understand this, let us reconsider the facts. Four months ago a Danish newspaper published some cartoons that nobody particularly noticed. Then suddenly this became the focus of attention and was portrayed as a "crime" justifying the burning of European embassies in the Arab and Muslim world.

The incriminated drawings show Muhammad. But what they really caricature is the use that Islamist terrorists make of the prophet, the fact that suicide bombers cite him before perpetrating an attack. The drawing that shocked people most is the one in which Muhammad's turban is replaced by a bomb, a weapon that did not exist in the Prophet's day but that is constantly used by militants who cite his teaching. The Danes, a small and peaceable, industrious, and tolerant people of northern Europe, have nothing against Muhammad, or for him. They do not know him and have never encountered him in their history. They, like every other people in the world, merely have to submit to draconian security checks in order to take a plane, since the suicide attacks of 11 September, committed in the name of Islam.

We are fully entitled to consider these cartoons in dubious taste. The interesting thing about Muhammad is not the caricature of his teaching provided by the second-rate digest provided by Bin-Ladin and his cohorts, but his actual history. In his day (the seventh century), Muhammad was a progressive. The fact that he civilized public life in Medina cannot be denied. Before him, women enjoyed No rights. He gave them rights. The article of Islamic law which states that a woman's evidence is worth half a man's now seems particularly regressive. But at that time it was a huge step forward. The problem of the Muslim religion in the modern world has to do not so much with the particular teaching of Muhammad, in his day, as with the fact that, starting in the 12th century, its interpretation (ijtihad) has become frozen in Islam, in practice blocking any reform. If the Catholic religion had not undergone thorough reform following St Bartholomew, it would now be totally inaudible in the West.

We are entirely justified in considering these drawings uninteresting. But in that case there is only one possible response - to turn the page or, at worst, to cancel a subscription to the Danish newspaper in question.

In the Arab and Muslim world there have been some very disturbing and disproportionate reactions to these drawings, published in a newspaper that nobody had heard of before. Obviously the furious Muslim crowds of Beirut and Tehran were partly manipulated - in Lebanon by the pro-Syrian parties that want to end the international inquiry into [former Lebanese Prime Minister] Rafiq Al-Hariri's assassination, and Iran by a regime that is accused (not without evidence) by the West of violating the Nuclear Non-Proliferation Treaty.

But irrespective of inevitable manipulations, the many demonstrations around the Arab and Muslim world indicate an extremely deep cultural gulf. If we draw attention to obvious facts about the functioning of Western societies, we come up against a brick wall. How can the Danish government be responsible for what is published in the Danish press, which is obviously a free press? During the past two decades, Denmark has, rather, been notable for its great generosity to the Muslim world (gifts to Palestine, the reception of thousands of Bosnian refugees).

If ignorance can explain the mobilization of such numbers in Afghanistan, the same cannot be said of a demonstration by Muslim immigrants in Belgium. They shamelessly exploited the West's supreme value, that of political freedom. In Brussels, Muslim demonstrators used the freedom to demonstrate to try to destroy freedom of expression.

But why had these Muslims in Belgium never demonstrated before over much more important topics? Did we see them in the streets voicing their rejection of Bin-Ladin's thinking following the 11 September attacks? Did we hear them proclaiming their horror at the filmed decapitation of US engineer Nick Berg? How is it that they, who enjoy freedom of religion in Belgium, never thought of demonstrating outside the Saudi Arabian embassy, a country that denies the hundreds of thousands of Christian Filipinos that live there the right to celebrate mass? Are they not ashamed of this Saudi regime, which, in the name of Islam, denies poor immigrant workers the simple practice of their religion? Are there double standards of outrage in Islam?

And yet these Muslims in Belgium are not unaware that, during the course of history, peoples have sometimes dared to protest their shame in public. Following the massacres at Sabra and Shatila [in Lebanon] in 1982, over half a million Israelis went into the streets of Tel Aviv to express their shame to the Palestinian families that had been massacred (by the Phalangist militia of Elie Hubayka, which the Israeli army had allowed to enter the camps).

If the 5,000 Muslims who demonstrated in Brussels Sunday [5 February] are so horrified by the Western values of freedom and secularism, why does it not occur to them to go and live in Saudi Arabia?

In Europe, the right of political asylum, the wonderful legacy of the Enlightenment, has been abused. This, because it has always been understood that the asylum seeker must share the same fundamental values of the country to which he would like to be invited.

It remains for host countries to defend themselves unconditionally. How can Martine Aubry [socialist mayor of Lille] have created, as in Pakistan, male-female "apartheid" at Lille's swimming pools?

Let us be sure to defend our own values in our own country. To paraphrase Churchill, let us not choose the dishonour of concessions in order to avert war. This, because we would ultimately thereby have both dishonour and war.