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Le Nouveau Visage de la Menace Jihadiste en Egypte

 

Par Hélène Sallon

Le Monde.fr | 18.02.2014

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Après l'attentat contre un car de touristes à Taba, dans le Sinaï. Trois touristes coréens sont morts suite à l'explosion. | AFP

Le Sinaï n'avait pas connu d'attaques contre des touristes étrangers depuis les attentats dans la station balnéaire de Dahab, en avril 2006. L'attaque, dimanche 16 février, d'un bus de touristes sud-coréens, qui a fait au moins quatre morts et 14 blessés, au passage de Taba, frontalier avec Israël, marque une nouvelle étape dans le regain d'activité terroriste dans la péninsule depuis 2011. Depuis la destitution du président Mohamed Morsi, le 3 juillet 2013, les heurts s'y multiplient, faisant craindre une perte de contrôle de l'Egypte sur la territoire désertique.

L'attaque a été revendiquée dans la nuit de lundi à mardi par Ansar Beit Al-Makdis (« Les Partisans de Jérusalem »), l'un des groupes djihadistes ayant trouvé refuge dans le Sinaï. Jusqu'à présent, ces groupes s'attaquaient presque exclusivement à des cibles israéliennes et aux forces de sécurité égyptiennes. Dans le triangle formé par les villes d'El-Arich, Rafah et Cheikh-Zoueid, à la frontière avec Israël, les forces de sécurité égyptiennes sont régulièrement la cible d'attaques meurtrières. La multiplication des tirs de roquettes sur son territoire depuis le Sinaï a décidé Israël à installer, le 19 juillet 2013, une batterie antimissiles du « Dôme de fer » dans la station balnéaire d'Eilat.

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L'instabilité dans cette péninsule de 60 000 km2, coincée entre le canal de Suez et Israël, n'est pas nouvelle. L'histoire du Sinaï est marquée par les rapports conflictuels entre la population, majoritairement bédouine, et le pouvoir central. La répression féroce et l'emprisonnement de milliers de Bédouins après les attentats de Taba et Nuweiba en octobre 2004, ceux de Charm El-Cheikh en juillet 2005, puis ceux de Dahab en avril 2006, ont alimenté un désir de vengeance contre les forces de sécurité.

 

Ce ressentiment anime des groupes aux intérêts hétéroclites, profitant du chaos sécuritaire en Egypte pour promouvoir leurs intérêts. Les groupes de trafiquants d'armes, de personnes et de biens cherchent à protéger leur commerce. Des groupes plus idéologiques, comme les takfiristes, partisans de « l'excommunication » des apostats, s'attaquent aux forces armées jugées « impies ». Des salafistes djihadistes égyptiens, qui se reconnaissent dans la mouvance Al-Qaida, visent les intérêts égyptiens et israéliens. La carte de la situation dans le Sinaï en août 2013

 

ANSAR BEIT AL-MAKDIS DERRIÈRE L'ATTAQUE

Le groupe djihadiste Ansar Beit Al-Makdis (Les Partisans de Jérusalem) a revendiqué l'attaque du 16 février, affirmant vouloir continuer à attaquer « les intérêts économiques égyptiens ».Dans un message posté mardi sur son compte twitter, le groupe a sommé les touristes de quitter l'Egypte « avant qu'il ne soit trop tard » et leur a donné jusqu'au 20 février pour partir. Il a présenté cette attaque comme une nouvelle étape de leur « guerre économique contre le régime des traîtres », en allusion aux militaires qui ont renversé le président Morsi.

Cette organisation djihadiste, qui s'est structurée et a pris pied dans le Sinaï en 2011, est le seul des groupes djihadistes égyptiens à avoir tenu dans la durée et à mener des actions spectaculaires. Se revendiquant de l'idéologie d'Al-Qaida, et souvent cité par son numéro un, l'Egyptien Al-Zawahiri, sous le nom de « Lions du Sinaï », il a attiré à lui des combattants djihadistes bédouins, égyptiens et dans une moindre mesure étrangers, notamment yéménites. Des personnalités djihadistes évadées de prison — comme Ramzi Mawafi, le médecin d'Oussama Ben Laden — ou graciées par le président Morsi ont rejoint son millier de combattants.

 

Ces combattants ont trouvé refuge dans les zones montagneuses qui s'étirent jusqu'à la mer Rouge, notamment le Djabal Al-Halal, avec l'appui de protections tribales. Après avoir mené des actions assez spectaculaires contre les forces de sécurité égyptiennes dans le Sinaï et contre Israël, le groupe s'est montré capable de frapper toute l'Egypte. Selon un connaisseur du dossier, il a déployé des réseaux opérationnels au Caire et dans d'autres provinces, autour d'Ismailia, Suez ou Mansoura. Au Caire, il a ainsi noué un partenariat avec un autre groupe djihadiste, Ajnad Masar (« Les Soldats d'Egypte »), apparu fin janvier en revendiquant ses premiers attentats à la bombe.

Le groupe tente désormais de se développer en communiquant plus largement qu'auprès de ses soutiens traditionnels. « Depuis la chute du président islamiste Mohamed Morsi, le groupe fait des appels du pied aux Frères musulmans pour qu'ils rejoignent l'organisation, surfant sur la situation de blocage total dans le pays », indique cet expert. Mais les deux mouvements n'auraient aucun lien organique, en dépit des accusations en ce sens portées par les autorités égyptiennes.

Ses combattants, dont certains sont passés par la Syrie, ont une grande expérience militaire, comme le montrent certaines de leurs actions. « Les combattants d'Ansar Beit Al-Makdis ont du matériel et savent le faire fonctionner. Ils savent utiliser des technologies comme les Manpad [systèmes portatifs de défense aérienne] » , indique la source. Une technologie que le groupe dit avoir utilisée pour abattre un hélicoptère de l'armée égyptienne, près de Cheikh Zoueid, le 26 janvier.

 

COOPÉRATION ISRAÉLO-ÉGYPTIENNE

Le regain d'activité terroriste dans le Sinaï après la révolution de 2011, qui a bénéficié de la déstabilisation de l'appareil sécuritaire égyptien et de l'afflux d'armes depuis la Libye et le Soudan, a entraîné un renforcement de la coopération sécuritaire entre Israël et l'Egypte. Le 16 juillet 2013, Israël a donné son feu vert à l'Egypte pour le déploiement de véhicules blindés, d'hélicoptères Apache et de 5 000 hommes dans la zone démilitarisée du Sinaï, notamment la zone C frontalière d'Israël, interdite aux militaires égyptiens et placée sous le contrôle de la Force multinationale et observateurs (MFO). Cette autorisation est obligatoire selon les termes de l'accord israélo-égyptien de mars 1979, par lequel Israël a rétrocédé le Sinaï, conquis lors de la guerre des Six-Jours en juin 1967.

L'attaque de drone israélien contre des djihadistes à Rafah, en territoire égyptien, le 9 août, a révélé l'ampleur de la coopération entre les autorités des deux pays, notamment en matière de renseignements. Même si d'autres sources collaborent avec Israël, comme des tribus bédouines ayant des liens, parfois familiaux, avec les tribus bédouines du Néguev, ou des collaborations nouées lors de l'occupation du Sinaï par Israël (jusqu'en 1982).

 

Les principales attaques en Egypte et dans le sud d'Israël

18 août 2011. Un commando venu du Sinaï tue huit Israéliens dans une triple embuscade au nord d'Eilat.

5 août 2012. Seize garde-frontières égyptiens sont tués par un commando venu du Sinaï.

19 août 2013. Vingt-six policiers égyptiens sont tués dans un attentat à la roquette, près de Rafah.

5 septembre 2013. Attentat manqué contre le convoi du ministre de l'intérieur, au Caire.

24 décembre 2013. Attentat contre le QG de la police à Mansoura, qui fait 16 morts, revendiqué par Ansar Beit Al-Makdis.

24 janvier 2013. Quatre attentats visent la police au Caire, tuant six policiers à la veille des célébrations du troisième anniversaire de la révolte de 2011.

26 janvier 2013. Ansar Beit Al-Makdis affirme avoir abattu un hélicoptère de l'armée égyptienne à Rafah, tuant ses cinq membres d'équipage.

29 janvier 2013. Ansar Beit Al-Makdis revendique l'assassinat d'un général de la police, conseiller du ministre de l'intérieur, devant son domicile au Caire.

16 février 2014. Attaque contre un autobus de pélerins sud-coréens : 4 morts et 14 blessés.