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Sinaï- Le Royaume Des Bédouins

Terrorisme, drogue et contrebande

 

Par Zvi MAZEL

Ancien ambassadeur d’Israël en Égypte

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26 mars 2012

 

 

Un territoire trois fois grand comme Israël, tour à tour montagneux et désertique et d’un accès difficile. Trois cent mille bédouins vivent là ; plus d’un quart nomadisent encore à travers ses vastes espaces. L’Égypte peine de plus en plus à y asseoir un semblant d’autorité. Si la péninsule du Sinaï fait partie du pays des Pharaons depuis l’aube de l’histoire, les tribus bédouines qui sont venues s’y installer il y a des centaines d’années ont toujours bénéficié d’une large autonomie. Elles ont leur propre système judiciaire, qui repose sur leurs coutumes ancestrales. Ce n’est que dans la seconde moitié du XIXème siècle que le gouvernement central s’intéressa de plus près à la région et tenta d’y imposer le système judiciaire du pays.

 

Droit local

En fait, il s’agissait surtout alors de protéger des intérêts sécuritaires : assurer le libre passage des biens et des marchandises, permettre aux fidèles musulmans se rendant en Arabie Saoudite pour le «Hadj»  et aux pèlerins chrétiens, en route vers le monastère de Sainte Catherine, de traverser la péninsule sans être harassés ou rançonnés par les bédouins. Le Caire ne cherche pas à s’immiscer dans les querelles locales, le droit des personnes et les conflits tribaux qui sont laissés aux tribunaux coutumiers. Un état de fait qui perdure encore, les juridictions bédouines fonctionnant toujours à côté des tribunaux nationaux.

A la suite de la Guerre-des-Six Jours, le Sinaï passe sous le contrôle israélien. Une situation qui va durer jusqu’à l’évacuation de la péninsule en juin 1982 dans le cadre des accords de paix. Israël construit des routes, les entretient et jette la base d’une infrastructure touristique. Les touristes israéliens affluent ; la région connaît un boom économique inattendu. Les relations entre israéliens et bédouins sont alors excellentes. Après l’évacuation, les égyptiens vont développer le potentiel touristique. De luxueux hôtels apparaissent sur la côte orientale tandis qu’à El-Arish se construisent  des villages de vacances à l’intention des égyptiens aisés. Le gouvernement prend des dispositions spéciales pour empêcher les «étrangers» d’acquérir des terres dans la région. Il s’agit évidemment des israéliens, plus que jamais considérés avec méfiance sinon hostilité ; la  zone frontalière, démilitarisée en fonction du traité de paix, est surveillée de près.

 

Attentats

Les bédouins sont les laissés pour compte de cet essor.  C’est du Caire que viennent les milliers d’employés nécessaires au fonctionnement des hôtels et des villages.  Aux bédouins les tâches les plus humbles ; ils continuent à faire paître leurs troupeaux. Mais un vent de révolte se lève ; les bédouins manifestent pour réclamer que leurs villages soient reliés aux réseaux d’électricité et d’eau. Les heurts avec les forces de l’ordre se font de plus en plus violents. La jeunesse se radicalise et commence à prêter une oreille complaisante aux appels des mouvements islamistes extrémistes. Ils vont bientôt créer leur propre mouvement djihadiste «Tawid et Jihad».  

En 2004 et 2005 des attentats frappent les centres touristiques de Sharm El-Sheikh et de Taba. Le gouvernement réagit avec une extrême brutalité, jetant en prison des milliers de bédouins, innocents pour la plupart. Beaucoup sont relâchés, certains sont condamnés à de lourdes peines, d’autres encore restent en prison pour faire pression sur les familles.  Cette fois, toute la société bédouine s’enflamme. Les manifestations se multiplient, réclamant pêle-mêle la libération des prisonniers, davantage de justice sociale, des logements à bon marché et des bourses d’étude pour les jeunes. Autre point sensible, les bédouins veulent que les terres qu’ils occupent depuis des siècles, et qui sont convoitées par les promoteurs, soient inscrites à leur nom. En 2007 le gouverneur du Sinaï du nord leur promet d’agir ; rien ne sera fait. 

Pendant ce temps les mouvements islamistes se montrent actifs. L’argent coule à flot et les bédouins se laissent tenter. La contrebande, que ce soit d’armes et de marchandises à destination de Gaza ou de drogue à destination d’Israël, devient une industrie nationale. A cela va s’ajouter un  nouveau et lucratif trafic : des  dizaines de milliers d’africains, fuyant misère et persécutions, cherchent à passer en Israël. Les bédouins les exploitent  de façon éhontée ; CNN et le Guardian de Londres ont publié d’effroyables témoignages sur les sévices auxquels sont exposés les malheureux africains et qui vont de la torture et du viol, aux prélèvements d’organes.

 

Armes et missiles

C’est sans doute grâce à la collaboration entre terroristes et bédouins qu’un flot massif d’armes et de missiles de plus en plus sophistiqués  venus du Soudan, et maintenant de la Libye, transite par le Sinaï pour arriver dans la bande de Gaza. Les bédouins se montrent toujours plus audacieux. Lors des premiers jours de la révolution en janvier 2011, ils effectuent un raid sur la prison de Marg située au nord du Caire et libèrent  Iman Nofel, un leader du Hamas, ainsi que le chef de la cellule du Hezbollah en Égypte Sami Shehab, tous deux condamnés à de lourdes peines pour leurs activités terroristes. C’est au volant de véhicules modernes et brandissant un armement de pointe que les bédouins arrivent à leurs fins. Il ne fait pas de doute qu’une opération aussi complexe n’a pu aboutir qu’avec l’aide du Hamas, du Hezbollah et des Gardes révolutionnaires iraniens.

La chute de Moubarak n’a fait qu’empirer la situation. Le gouvernement provisoire, qui peine à maintenir l’ordre dans le pays, semble baisser les bras au Sinaï, du moins dans un premier temps. Agents secrets et personnels de sécurité se volatilisent. En juillet dernier, des  bédouins encagoulés et lourdement armés se sont lancés en plein jour à l’assaut  du poste de police d’El Arish. Un petit groupe proclama l’établissement d’un émirat islamique au nord Sinaï. Les barrages de police ont été attaqués et des touristes étrangers kidnappés pour être échangés contre des bédouins emprisonnés.  Par deux fois le camp de la MFO, la force multinationale chargée d’observer le respect du traité de paix, est assiégé. Le pipeline qui conduit le gaz naturel égyptien vers la Jordanie et vers Israël est saboté treize fois, à ce jour. Le Sinaï se transforme en place forte du terrorisme. Des missiles ont été tirés en direction d’Eilat, en manquant fort heureusement leur cible. En juillet dernier une attaque terroriste, sur la route qui longe la frontière, avait fait 8 morts du côté israélien.

 

Israël bouc émissaire

Comme d’habitude, la presse égyptienne rend Israël responsable de la situation : le traité de paix ne limite-t-il pas l’effectif des troupes dans la région frontalière, ce qui ne permet pas aux Égyptiens de rétablir l’ordre?  Elle se garde de mentionner qu’Israël a accordé une dérogation temporaire qui rend l’envoi de renforts possible, mais que l’Égypte n’a  envoyé que la moitié de ces renforts.

Le fait est que l’on n’en est plus là. S’il veut vraiment rétablir la situation,  le gouvernement égyptien doit d’urgence prendre à pleines  mains le dossier du Sinaï, parler avec les chefs des tribus bédouines et avec les jeunes et commencer à traiter les problèmes brûlants qui sont à la base de la violence. Israël pour sa part regarde, impuissant,  la péninsule se transformer en zone de non-droit où Hamas et Jihad préparent et exécutent leurs attaques contre la frontière commune.  La situation risque de s’aggraver encore, lorsque ce seront les Frères Musulmans qui formeront le prochain gouvernement. Ils ont déjà déclaré leur volonté d’ouvrir la frontière entre Gaza et l’Égypte. Pour le moment le parlement n’est pas en mesure de mettre en œuvre cet objectif. Que se passera-t-il quand un président sera élu,  un gouvernement formé et que l’armée sera retournée dans ses casernes ?

Bien malin qui peut le deviner