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LES POUPÉES GIGOGNE EN ARABIE SAOUDITE

 

Par Amir Taheri, écrivain et journaliste, directeur de "Politique internationale"- Paris

Paru dans le Jerusalem Post du 30/4/2004.

Traduit par Albert Soued, écrivain, www.chez.com/soued

 

Jusqu'à il y a un mois ce n'était pas une "opération contre des rebelles". Aujourd'hui, les responsables Saoudiens commencent à parler de guerre, de conflit pour décrire la campagne de terreur qui ébranle le royaume depuis l'an dernier. Nous sommes en guerre contre "les forces du mal" a dit le ministre de l'Intérieur, le prince Nayef Ibn AbdulAziz, après un attentat-suicide contre les forces de sécurité à Ryad, détruisant leur quartier général, tuant et mutilant des douzaines de personnes.

Je ne pense pas qu'il soit exagéré de parler de guerre. Selon des sources locales, les forces de sécurité du royaume ont affronté des terroristes à au moins 80 reprises, depuis le mois de novembre dernier. Certains affrontements ont été de vraies batailles de grande envergure. Il y a six semaines, une bataille a eu lieu aux limites du quartier réservé, où on a enregistré des centaines de victimes et plus de mille terroristes ont été capturés! Les forces de sécurité ont découvert des caches d'armes pouvant alimenter des brigades de terroristes. Les pertes n'ont pas été publiées. Mais une rencontre récente entre le ministre de l'intérieur et les familles des "héros", victimes des rebelles, a réuni énormément de monde…

Le pire est que la peur a été instillée dans le cœur du citoyen ordinaire. Il y a deux semaines, une rumeur a été répandue par les chaînes de télévision arabes, notamment Al Jazeera (Qatar) recommandant aux habitants de Ryad de ne pas sortir de chez eux, une explosion étant imminente. En un clin d'œil, les rues se sont vidées, transformant une ville normalement grouillante en une ville-fantôme. Le prince Salman Ibn AbdulAziz, gouverneur de Ryad a dû intervenir à la télévision d'état pour rassurer les citoyens.

Nous sommes à l'aube d'une longue lutte. Comme l'a dit récemment un éditorialiste saoudien, ce serait folie de comparer cette menace au passage d'un nuage dans un ciel serein. Pendant un demi-siècle le royaume a fait face à de nombreux défis tels que le panarabisme, le proto-communisme, le khomeynisme. Dans chaque cas, les Al Saoud ont été capables de faire face à la menace, par un mélange de fermeté et de compromis. Dans certains cas, les ennemis ont même été achetés. En d'autres circonstances, les autorités ont réussi des pirouettes politiques pour se dégager d'une mauvaise situation et certains pensent que l'Arabie pourra s'en sortir par les mêmes méthodes. Ils sont dans l'erreur.

Le prince Mohamed Ibn Nayef, le ministre-adjoint de l'intérieur qui commande les forces armées contre la terreur insiste sur le fait que les groupes inspirés par al Qaeda menaçant le royaume sont différents des autres, et ne peuvent être achetés; ils ne feront pas de compromis et ne seront sensibles à aucune ouverture diplomatique. Il a raison.

Il suffit d'écouter les diatribes à glacer le sang de ces spécialistes de la terreur, diffusées par Al Jazeera, pour s'en convaincre. Ces monstres ne peuvent être ni domptés, ni amadoués par les méthodes classiques. Ils recherchent une victoire totale pour imposer une idéologie de malade. Et ils ne biaisent pas.

Il faut comprendre d'abord que ces groupes ne sont ni isolés ni spontanés. Ils sont le fruit d'une société et ils doivent être perçus dans cet esprit. La situation de l'Arabie Saoudite est bien rendue par l'image des poupées russes gigogne.

La poupée la plus grande est le reflet de toute la société saoudienne, devenue obsédée par la religion, depuis quelques années, pour des raisons qu'il serait fastidieux d'exposer ici. Grâce au pétrole, plus les Saoudiens sont riches, plus ils adoptent un Islam réactionnaire. Avant le boom pétrolier du dernier demi-siècle, les Saoudiens vivaient dans des tentes et n'avaient pas assez d'argent pour construire un foyer avec une double entrée, l'une pour les hommes, l'autre pour les femmes. Grâce au pétrole, ils se sont construits des maisons dont les plans sont à base d'apartheid. En 1960, il y avait seulement 8 mosquées à Ryad. Aujourd'hui il y en a 3000! (certains parlent même de 20 000!) En 1960, le royaume n'avait pas assez d'argent pour une seule école publique de théologie. Aujourd'hui, il y en a des centaines, avec 3 universités fabriquant des dizaines de milliers d'experts en Islam chaque année…!

La deuxième poupée s'incrustant dans la première est l'image de ces nombreuses institutions financées par l'argent du pétrole et que le royaume a créées et a encouragées pour être sûr que ses citoyens se conduisent le plus islamiquement possible, quel que soit le sens compris.

La troisième poupée représente les centaines de centres caritatifs de toute taille qui collectent des milliards de dollars pour des "causes" dites islamiques, dont personne ne comprend la portée et que personne ne contrôle.

La quatrième poupée est cette armée de prêcheurs, enseignants, muezzins, mouftis, "moutawaa" (ceux qui font respecter la loi islamique) et ceux qui sont les seuls "à discerner le bien du mal" dont le nombre dépasse de loin ceux qui travaillent dans l'industrie vitale du pétrole.

La cinquième poupée est l'image de ces milliers de Saoudiens recrutés, entraînés et financés par l'état, qui ont été envoyés en Afghanistan pour se battre pour l'Islam et contre les mécréants russes.

La sixième poupée et la plus petite est la plus dangereuse et la plus fatale, car elle représente les terroristes et les bombes humaines qui considèrent les autres Saoudiens comme des impies, ou même des païens, qui doivent choisir entre le retour à l'Islam et la mort. (1)

 

(1) note du traducteur: cette description de l'Arabie par l'auteur s'inscrit dans une lutte pour le pouvoir et pour la succession au sein du palais royal. Et les diverses parties s'appuient dans cette lutte sur toute la série de poupées, d'où une incertitude quant à sa durée et à son issue, notamment au niveau des liens futurs avec les Etats-Unis et avec l'Occident en général.

 

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