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QUAND LES CHAMEAUX SE METTRONT À VOLER

 

Éditorial du New York Times par Thomas L. Friedman – paru le 20 février 2005

Traduit par Albert Soued, écrivain  www.chez.com/soued/conf.htm

 

Au Moyen Orient, il y a de bonnes et de mauvaises nouvelles encore une fois. Les bonnes nouvelles concernent ce que vous constatez depuis quelques mois comme étant la chute du "Mur de Berlin" arabe. Le vieil ordre autocratique commence à crouler.

Les mauvaises nouvelles, c'est que contrairement au Mur de Berlin, le mur Arabe s'écroule brique par brique, dans le sang. Et puis les Vaclav Havel, les Lech Walesa et les syndicats Solidarnosc ne sont pas là pour se jeter dans nos bras…

Personne n'est plus heureux que moi de voir cette démonstration du "pouvoir du peuple" en Irak, avec des millions d'Irakiens défiant la menace Baathiste et islamiste du Jihad "si tu votes, tu meurs". Personne ne peut prendre à la légère la volonté des forces d'opposition au Liban qui se sont levées pour montrer du doigt le régime syrien en criant "j'accuse !", après le meurtre d'un de leurs chefs, Rafik Hariri. Personne ne devrait minimiser les élections palestiniennes, qui ont été l'occasion de faire un choix entre plusieurs candidats et de voter en majorité pour un candidat décent, ayant des idées neuves, Mahmoud Abbas. Personne ne peut ignorer le désir de certains Egyptiens de se présenter contre le président Hosni Moubarak, lorsqu'il briguera un 5ème mandat, sans véritable opposant. Ce sont des événements que personne n'a vécu auparavant dans le monde arabe. C'est vraiment, vraiment inhabituel, c'est comme "voir des chameaux voler".

La sacro-sainte "rue arabe" est en train de bouger. Le réflexe automatique est de dire que "la rue arabe" finira par se rallier au chef, roi ou dictateur, sous le prétexte inventé de toute pièce d'une "insulte ou d'une menace bidon" venant d'Amérique, d'Israël ou de l'Occident. Ceci n'est plus vrai. Il est certain que la guerre d'Irak a fait surgir un grand nombre d'opposants terroristes, mais du même coup, elle a réveillé un nombre beaucoup plus grand d'adeptes de la démocratie.

On peut appeler ces événements "le printemps de Bagdad"!

 

À l'opposé soyons modeste pour l'avenir. Dans cette partie du monde on ne verra pas de révolutions tranquilles. Les murs de l'autocratie ne s'écrouleront pas par une simple bonne poussée. Nous en avons vu les signaux, les décapitations par les insurgés en Irak, les bombes-suicide en Arabie saoudite et les meurtriers de Rafik Hariri. Le vieil ordre du Moyen Orient ne s'évanouira pas tranquillement dans une nuit calme. Essayez de mettre une fleur dans le canon de leur fusil, vous perdrez votre main et votre tête sur le champ.

 

Je n'écris pas ces quelques mots pour vous suggérez que nous nous sacrifions pour rien en Irak. Je le fais pour insister sur le fait que nous sommes aux premières étapes d'un très long voyage. Le fait que tous ces extrémistes, autocrates et voyous aient recours à une violence inouïe montre qu'ils ont déjà perdu la guerre des idées, dans la rue arabe!

Les forces progressistes émergentes doivent encore faire la preuve qu'elles sont capables de construire des politiques différentes, non pas autour d'un équilibre de clans, mais autour d'une communauté nationale, non pas autour d'un soit-disant ennemi commun, mais autour d'aspirations communes. Il ne faut pas perdre de vue que les notions d'état et de citoyenneté ne sont pas bien ancrées dans le monde arabe; elles sont encore fragiles. Il y a peu de sociétés civiles en dehors des mosquées, peu d'expérience d'une presse libre, de marchés ouverts et de véritables démocraties parlementaires dans leur histoire. Sur quoi construire, quand le mur tombera ?

 

Rafik Hariri était un challenger de cet état de fait, âme progressiste quoique imparfaite. C'est la raison pour laquelle tant de jeunes Arabes ont été bouleversés par sa disparition. Il représentait une rupture dans le vide politique arabe de ce dernier demi-siècle. Et si vous voulez savoir combien d'Arabes souhaitaient cette rupture, lisez un seul éditorial, celui du principal journal libanais, Al Nahar, vendredi dernier, écrit par Samir Kassir.

Dîtes moi svp si vous avez lu quelque chose de semblable dans un journal arabe sous domination syrienne?

"Tout au long de l'histoire, les rues de Beyrouth ont été réservées pour la défense des causes panarabes. Mais lors des funérailles de Rafik Hariri, le nationalisme arabe a changé d'objectif. Aujourd'hui, cette cause nationaliste s'est rétrécie au seul but de se débarrasser de régimes de la terreur et des coups d'état, et de regagner la liberté des peuples, comme prélude à une vraie renaissance arabe. C'est pourquoi des centaines de milliers de citoyens libres ont marché derrière la dépouille de Rafik Hariri, alors qu'un piètre cortège mobilisé par le parti unique et sa police secrète a défilé derrière celle de Hafez al Assad, il y a quelques années. Avec ces funérailles de Hariri, Beyrouth est devenue le cœur qui bat d'un nouveau nationalisme arabe…. Ce nationalisme est celui d'hommes et de femmes libres, des citoyens ayant un libre arbitre. C'est ce que devrait craindre le plus un régime tyrannique tel que celui de la Syrie, s'il tarde à lever son hégémonie  sur Beyrouth et le Liban".

 

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