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Comment le Hamas Continue de Fonctionner, Même si Israël Tue ses Dirigeants

 

Le groupe terroriste s'est adapté aux assassinats ciblés et à une guerre prolongée, ce qui lui permet de continuer à prendre des décisions stratégiques ; surtout, aucune alternative viable n'est apparue.

 

Par Nurit Yohanan, journaliste, correspondante du Times of Israel

 

2 septembre 2025

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Au mois d’avril, l’armée israélienne avait éliminé le même responsable du Hamas à trois reprises. A ce moment-là, les soldats avaient annoncé avoir tué le commandant de bataillon du groupe terroriste dans le quartier de Shejaiya, à Gaza City. Un successeur avait rapidement remplacé le défunt tombé au combat – mais Tsahal l’avait assassiné. Quand un troisième homme avait repris ce poste, Israël l’avait rapidement abattu. Moins de quatre semaines s’étaient alors écoulées.

Au total, depuis le 7 octobre 2023, pas moins de sept membres du Hamas ont été nommés commandant du bataillon de Shejaiya. Six ont été éliminés. Le dernier chef de l’unité vit probablement ses derniers instants, car Israël intensifie son offensive dans la ville.

Les opérations répétées qui ont eu lieu à Shejaiya – qui a toujours été un théâtre de guérilla urbaine féroce pour les militaires israéliens – illustrent la manière dont l’armée israélienne a éliminé à plusieurs reprises des responsables du Hamas au cours des deux dernières années de combats à Gaza. Des dirigeants de premier plan, de nombreux commandants de brigade et de bataillon au sein de la branche militaire du groupe qui ont été systématiquement remplacés par de nouveaux chefs.

Cette succession ininterrompue d’assassinats de personnalités du groupe terroriste – assassinats qui sont un élément central de l’objectif de guerre poursuivi par Israël, un objectif qui est de garantir que le Hamas sera détruit sans possibilité de se reconstruire – a placé le groupe terroriste sous des pressions qui n’ont pas de précédent. En plus des terroristes de rang inférieur, Israël a éliminé le chef du bureau politique du Hamas, Ismail Haniyeh ; Yahya Sinwar, le chef politique du Hamas à Gaza, l’homme qui avait été le cerveau du pogrom du 7 octobre ; le frère et remplaçant de Sinwar, Mohammed Sinwar ; Mohammed Deif, le chef de la branche militaire du Hamas et, cette semaine, le porte-parole de l’organisation armée, Abu Obeida.

Mais les conséquences de ces frappes démontrent également la manière dont la structure fondamentale du Hamas a permis à ce dernier de pouvoir continuer, malgré les lourdes pertes qu’il a essuyées, à reconstituer ses rangs et à prendre des décisions stratégiques.

 

Idéologiquement engagé dans son objectif de détruire Israël – un objectif qu’il ne cherche guère à dissimuler – dispersé dans plusieurs pays et avec de nombreux hauts responsables qui vivent à distance des combats, le groupe terroriste est parvenu à maintenir ses activités, même après avoir enterré ses chefs.

« Il n’y a jamais de vide », explique Michael Milstein, le directeur du Forum pour les études palestiniennes au sein du Centre Dayan de l’université de Tel Aviv. « Même au niveau des commandants de bataillon et de compagnie de la branche militaire du Hamas …Il y a toujours quelqu’un de motivé pour prendre la relève, même en sachant que sa mort est presque certaine. C’est assez remarquable »

 

Une direction éloignée et compartimentée

Une explication de la résistance organisationnelle du Hamas est que depuis 1990 – quelques années après sa fondation en 1987 – la direction du groupe avait été officiellement divisée en deux, avec une branche militaire axée sur les opérations et une branche politique responsable de la stratégie à long terme.

Au sein de la branche militaire, basée à Gaza, les promotions et la structure ressemblent à celles d’une armée conventionnelle placée sous l’autorité d’une hiérarchie – ou c’était tout du moins le cas jusqu’à ce que l’armée israélienne entreprenne de démanteler les 24 bataillons du Hamas, après le 7 octobre.

En revanche, la branche politique s’est établie au Qatar et elle fonctionne de manière un peu plus démocratique : elle organise des élections internes tous les quatre ans, chaque niveau de direction élisant celui qui le précède directement, depuis la base jusqu’au bureau politique, au plus haut de l’organigramme. Les dernières élections ont eu lieu en 2021 et aucune n’a été organisée pendant la guerre. Les élections sont également segmentées géographiquement : les membres du Hamas à l’étranger, à Gaza, en Cisjordanie et dans les prisons israéliennes votent tous pour leur propre direction locale.

 

Dans la pratique, les frontières entre ces deux branches de l’organisation peuvent être floues : Yahya Sinwar, par exemple, était responsable politique à Gaza avant le 7 octobre, mais il avait orchestré l’attaque sanglante du groupe terroriste qui avait eu lieu, ce jour-là, sur le sol israélien. Et Deif, le chef militaire, était l’une des figures déterminantes qui influençaient les négociations avant sa mort lors d’une frappe israélienne, l’année dernière.

Néanmoins, cette division des responsabilités signifie que, deux ans après le début de la guerre d’Israël à Gaza, les principaux centres de décision du Hamas se trouvent à des milliers de kilomètres de là, au Qatar et en Turquie. Ce sont ces groupes de dirigeants qui orientent les décisions stratégiques – notamment en ce qui concerne les négociations en vue d’un cessez-le-feu. Le processus est aujourd’hui plus complexe que par le passé, car aucune personnalité unique n’occupe le sommet de la hiérarchie. Environ huit dirigeants doivent prendre des décisions ensemble, depuis deux pays différents.

 

Même ainsi, le Hamas a prouvé qu’il était en capacité de maintenir son fonctionnement, par exemple en diffusant une déclaration officielle dans laquelle il disait qu’il acceptait la dernière proposition de cessez-le-feu, au mois d’août.

« De manière générale, le Hamas est une organisation qui se base sur un réseau avec plusieurs centres de pouvoir », explique Harel Horev, un autre chercheur du Centre Dayan. « C’était déjà le cas avant le 7 octobre, et même avant Yahya Sinwar ».

« Une fois la guerre déclenchée, Israël a commencé à frapper tous les centres de pouvoir environnants, ce qui démontre la résilience du Hamas. Une structure hiérarchique est très vulnérable : il suffit de tuer le chef pour qu’elle s’effondre. Mais lorsqu’on frappe un réseau, il y a toujours des individus qui sont prêts à prendre la relève », ajoute-t-il.

 

« Pas de divisions, pas d’expulsions »

Les dirigeants éloignés du Hamas n’ont pas échappé aux tirs israéliens. Jusqu’à son assassinat au mois de juillet 2024 – il se trouvait alors en Iran – Ismail Haniyeh, qui était officiellement le chef du bureau politique du Hamas à Gaza, vivait à Doha, loin de la bande de Gaza. Il avait été brièvement remplacé par Yahya Sinwar, qui était resté dans la bande jusqu’à son assassinat, au mois d’octobre 2024.

Après la mort de Sinwar, les responsables du Hamas avaient indiqué aux médias qu’un conseil de cinq membres dirigerait collectivement le mouvement depuis l’extérieur de l’enclave côtière. Milstein évoque le nombre légèrement plus élevé – huit hauts responsables – qui ont désormais la charge de gérer conjointement l’organisation depuis l’étranger.

 

La plus éminente de ces personnalités – qui est aussi celle qui a publiquement pris la parole au nom du Hamas depuis l’assassinat de Haniyeh – est Khalil al-Hayya. Ancien adjoint de Sinwar, al-Hayya serait devenu ces derniers mois, selon les médias du groupe terroriste, le chef de l’organisation dans la bande – même s’il vit, lui aussi, au Qatar et qu’aucune élection n’a eu lieu depuis le début de la guerre.

Autre décisionnaire déterminant à l’étranger, Nizar Awadallah – un militant de la première heure du Hamas depuis la fin des années 1980 qui avait failli battre Sinwar lors du vote pour la direction du Bureau politique du groupe, en 2021. Mohammed Darwish, chef du Conseil de la Choura du Hamas, l’instance officiellement chargée de conseiller la direction politique de l’organisation, tient également un rôle central.

Au-delà du Qatar, la Turquie est également devenue une base essentielle pour le Hamas. Zaher Jabarin y occupe le poste de chef du Hamas pour la Cisjordanie depuis l’assassinat, en janvier 2024, de son prédécesseur, Saleh al-Arouri, qui vivait également en Turquie. Comme cela avait été également le cas pour d’autres nominations en temps de guerre, celle-ci s’était faite à distance, en l’absence d’un scrutin. Vivre en Turquie permet à Jabarin d’éviter d’être arrêté ou assassiné – ce qui se passerait probablement s’il menait ses opérations sur le terrain, en Cisjordanie.

« Vingt-deux mois après le 7 octobre, il n’y a pas de divisions au sein du mouvement et aucune personnalité n’a été expulsée du Hamas », fait remarquer , Milstein. « L’organisation reste largement unie, ce qui démontre bien que sa dynamique interne fonctionne toujours. »

 

Milstein souligne deux principes qui sous-tendent la capacité continue du Hamas à prendre des décisions malgré les pertes subies au sein de sa direction : la choura (consultation) et l’ijma (consensus). Tous les deux sont ancrés dans la tradition islamique et ils sont associés au style de gouvernance qui était celui du prophète Mahomet. Ils signifient que les décisions doivent être prises par consultation et par accord majoritaire et qu’elles ne sauraient être imposées par un seul individu.

Ce système a permis au Hamas de continuer à prendre des décisions même sans avoir aujourd’hui de dirigeant unique à sa tête et même si certains responsables se cachent depuis des mois dans le réseau de tunnels souterrains de Gaza. Si leur influence a diminué, les membres du Hamas à Gaza continuent de participer à l’élaboration des choix du groupe par le biais de consultations.

« Tout, y compris la formulation de l’accord de cessez-le-feu que le Hamas a récemment annoncé avoir accepté, est le fruit de consultations », explique Milstein. « Ce n’est pas comme si Khalil al-Hayya s’était simplement réveillé un matin en disant : ‘Allons-y ! Je me fiche de ce que pense [le chef du groupe à Gaza] Izz al-Din Haddad’. »

Un groupe de responsables du Hamas n’a pas pu toutefois échapper au démantèlement israélien : ceux qui composaient auparavant la hiérarchie du Hamas dans les prisons. Avant le 7 octobre, les chefs du groupe, dans les centres d’incarcération, représentaient les détenus palestiniens, y compris ceux du Hamas, dans leurs relations avec l’administration pénitentiaire israélienne. Élus en secret au cours des cycles quadriennaux du groupe, ces personnages n’étaient pas nommés publiquement, mais ils étaient bien connus derrière les barreaux et des services de sécurité israéliens.

Depuis le début de la guerre, néanmoins, les autorités israéliennes ont démantelé cette structure de direction. Le dernier dirigeant du Hamas en prison, Salameh Qatawi, qui avait été élu en 2021, a été relâché en Cisjordanie lors du dernier cessez-le-feu, au mois de février 2025. Selon Milstein, la hiérarchie du Hamas a cessé de fonctionner dans les prisons.

 

Le commandement du Hamas à Gaza

Les chefs du Hamas au sein de l’enclave côtière sont, bien sûr, plus faciles à éliminer pour Israël que ceux qui se trouvent dans des pays lointains. Après les assassinats des Sinwar et de Deif, qui dirigeaient tous le Hamas depuis la bande, il ne reste aujourd’hui qu’une poignée de personnalités de haut-rang à Gaza.

Les deux personnalités les plus éminentes sont Haddad qui, avant la guerre, commandait la brigade de Gaza City, et Raed Saad, décrit dans les médias arabes pendant la guerre comme le responsable de l’appareil de production militaire du Hamas.

Selon les dirigeants du secteur de la Sécurité en Israël, Haddad a été nommé commandant de la branche militaire du Hamas après la mort de Deif. Milstein affirme toutefois que son rôle est aujourd’hui plus limité que celui de son prédécesseur en raison de son manque d’expérience et qu’il se concentre principalement sur les activités militaires du Hamas à Gaza et sur le maintien de l’ordre public.

Horev déclare que Haddad marque un recul pour le groupe terroriste par rapport à Deif.

« Après avoir tué Mohammed Sinwar, Israël a réduit le Hamas à néant », indique-t-il. « Izz al-Din Haddad n’a pas pris le contrôle immédiatement. Il lui a fallu plusieurs semaines pour reprendre les rênes de la branche militaire du Hamas. Lui et Raed Saad sont aujourd’hui les derniers Mohicans du Hamas à Gaza ».

Il ajoute que la mort de Haddad pourrait affaiblir encore davantage le pouvoir du Hamas au sein de l’enclave côtière.

« Dès lors que vous éliminez Izz al-Din Haddad, vous évoquez un réseau qui fonctionnera de manière beaucoup plus discrète », dit Horev. « Si c’est un personnage de second plan qui finit par prendre la tête de la branche militaire à Gaza, il est probable qu’il ne sera écouté ni à l’intérieur de la bande de Gaza, ni à l’étranger ».

Dans ses nouvelles fonctions, Haddad pourrait superviser un changement dans la manière dont le Hamas gouverne les parties de l’enclave qui sont encore placées sous son contrôle, en adoptant des méthodes plus secrètes et en réprimant l’opposition locale alors que les combats se poursuivent.

Tout au long de la guerre, y compris ces dernières semaines, des vidéos provenant de Gaza ont montré des hommes en civil — identifiés ou s’identifiant eux-mêmes comme des membres du Hamas — ouvrant le feu sur des personnes accusées d’avoir volé de l’aide humanitaire. Le 23 août, le Hamas a également affirmé avoir exécuté quatre personnes soupçonnées de collaboration avec Israël.

« Cela ne fait que déplacer ailleurs le Hamas »

Le Hamas contrôle Gaza depuis qu’il a chassé l’Autorité palestinienne de l’enclave à l’occasion d’une brève guerre civile – qui s’était avérée être meurtrière – 2007. Depuis près de deux décennies, la branche militaire du groupe concentre ses activités sur la lutte à l’encontre d’Israël.

 

Avant la guerre, les affaires civiles, dans la bande, étaient gérées par les ministères hérités de l’Autorité palestinienne — éducation, santé, économie, etc. — ainsi que par des instances de sécurité telles que la police, chargée de maintenir l’ordre sur le petit territoire. Ces systèmes étaient supervisés par un gouvernement fantôme composé de hauts-responsables du Hamas, que le groupe terroriste ne reconnaissait que rarement en public.

Depuis le début du conflit, c’est Israël qui a pris le contrôle d’une grande partie de Gaza, détruisant une large part de ses infrastructures. Les écoles et les ministères de Gaza sont désormais pour la plupart fermés. Certains hôpitaux continuent de leurs activités, tout comme les mécanismes de sécurité interne du Hamas et son ministère de la Santé, qui sert de source pour le nombre de victimes dans le cadre de la guerre.

Israël a également pris pour cible les chefs du gouvernement civil du Hamas. Depuis le mois d’octobre 2023, le pays a annoncé à plusieurs reprises avoir tué des hommes qui, selon lui, étaient les Premiers ministres du Hamas dans la bande – notamment Ismail Daalis et Ismail Barhoum (ce dernier a été tué au mois de mars 2025). Il est difficile de dire qui occupe actuellement ce poste.

 

Dans le même temps, un certain nombre de responsables de rang inférieur ont gardé leur place au sein de divers ministères. Parmi eux, Munir al-Bursh, le directeur-général du ministère de la Santé du Hamas, qui occupe ce poste depuis au moins cinq ans.

Certains ont été tués par Israël pendant la guerre – et leurs successeurs continuent probablement de travailler sous l’autorité du Hamas. Par exemple, l’actuel maire de Deir al-Balah, Nizar Ayash, a été nommé sans être élu, contrairement à ce qui s’était passé pour les maires précédents. Son prédécesseur, Diab al-Jaru, avait été tué par Israël au mois de décembre 2024. L’armée israélienne avait expliqué qu’il entretenait des liens étroits avec des membres du Hamas et qu’il les aidait.

Milstein souligne qu’aucune alternative viable au groupe terroriste n’est apparue dans les zones où vit encore la majeure partie de la population. La milice Abu Shabab, soutenue par Israël, ne mène des opérations que dans les secteurs dépeuplés de l’est de Rafah, dans le sud de Gaza.

« Rien de magique n’a surgi à sa place. Les gens ne veulent pas échanger l’horreur du Hamas contre l’inconnu. Ils craignent le chaos et ils sont épuisés », note Milstein.

Il estime que même si Israël mettait à exécution son plan de capturer Gaza City, cela ne signifierait pas pour autant la fin du Hamas en tant qu’organisation fonctionnelle.

« Si la conquête de Gaza s’accompagne de l’évacuation de la population, alors ce sera plus ou moins la même chose. Il est clair que les dommages internationaux causés à Israël seraient considérables, mais même d’un point de vue purement militaire, cela signifierait simplement que vous déplacez ailleurs le Hamas », dit-il.

« Nous essayons de jouer sur les deux tableaux : soit la conquête de toute la bande de Gaza, en en prenant le contrôle et en y restant à long terme, soit le bluff », poursuit-il. »Et pour l’instant, nous ne faisons que bluffer ».