www.nuitdorient.com

accueil -- nous écrire -- liens -- s'inscrire -- site

COMPRENDRE LA GUERRE D’ARAFAT

 

Par Jean-Pierre Bensimon - Lettre du Collectif Paix et Vérité N°5 15 décembre 2003

Source: www.Objectif-info.com 

 

Qui est Arafat et quelle est sa stratégie?

 

Pour évaluer la portée exacte de l’Accord de Genève de Yossi Beilin, pour déchiffrer les rapports ambigus entre l’Autorité Palestinienne et les groupes terroristes, pour décrypter la fureur sans égale des opposants à la construction de la clôture de sécurité, transformée pour la circonstance en « mur de l’apartheid », il faut d’abord comprendre la guerre d’Arafat.

Il y a un certain nombre d’idées toutes prêtes, qui offrent une vision assez cohérente de la réalité, qu’il convient de discuter d’emblée. Ces idées séduisantes sont en effet plus utiles pour donner un sens aux évènements quotidiens du conflit, que pour expliciter le conflit lui-même et d’abord la stratégie d’Arafat.

 

On a coutume de dire qu’Arafat est un corrompu et des chiffres circulent sur les sommes détournées (le rapport du FMI les estime à 800 millions de dollars, d’autres sources à plusieurs milliards), sur sa fortune personnelle qui le place très haut dans la hiérarchie mondiale des personnalités politiques (estimations de Forbes à 300 millions de dollars), sur les dépenses somptuaires de son épouse Souha à Paris où elle engloutirait 100 000 dollars par mois.

Ce constat mène vite à l’erreur, à sous estimer Arafat comme chef politique et comme chef de guerre. Si Arafat détourne des fonds, c’est avant tout pour financer ses activités politiques et militaires, pour asseoir son pouvoir, tenir ses réseaux. Arafat vit somme toute modestement, depuis bientôt deux ans, dans une Moukata en ruine. Ce n’est ni un prince saoudien, ni un Choukeiry. C’est un individu fanatiquement crispé sur des convictions qui ressemblent beaucoup à celle de son grand oncle, Hadj Amin Al Husseini, le fameux mufti de Jérusalem, ami et collaborateur d’Hitler, ennemi obsessionnel des Juifs.

Arafat a sur ce dernier, l’avantage d’avoir plus voyagé et de s’être frotté aussi bien aux doctrines des frères musulmans égyptiens et des soviétiques, qu’à celles des révolutionnaires Chinois, Vietnamiens, Cubains et Algériens. L’expérience accumulée et un talent propre font d’Arafat un chef de guerre roué, habile, tenace. Il est beaucoup plus redoutable et mérite d’être bien davantage pris au sérieux qu’il ne le serait s’il n’était qu’un dirigeant corrompu ordinaire de l’Orient arabe.

 

Dans la même veine, on le présente parfois comme un individu hésitant, incapable de prendre des décisions, contradictoire. Shlomo Ben Ami rendait compte ainsi de son comportement à Camp David. C’est une erreur de plus. Arafat a eu à prendre des décisions très complexes, très risquées pour un chef politique, mais il a su les prendre, s’y est tenu et il est parvenu à garder le pouvoir jusqu’à ce jour. Par exemple, fidèle à ses visions fanatiques, il a su refuser de s’enfermer dans le poste de premier ministre de Jordanie, offert en 1970 par le roi Hussein, pour pouvoir poursuivre sa carrière de révolutionnaire.
Il a su, après la guerre du Kippour et le premier choc pétrolier, reconvertir son action et jouer à fond la carte diplomatique qui s’offrait. Il a su signer les Accords d’Oslo sans se sentir tenu par ses propres engagements. Il a su aussi déclencher la seconde Intifada car il entrevoyait une victoire militaire. Pour le combattre efficacement, mieux vaut prendre Arafat au sérieux.

 

On a coutume de dire que la guerre palestinienne est une guerre terroriste. La Feuille de Route inscrit en tête des mesures imposées aux Palestiniens la collecte des armes illégales et le démantèlement des structures terroristes. Il s’agit là essentiellement du Hamas, du Djihad Islamique et des Brigades des Martyrs d’Al Aqsa. Est-ce vraiment la solution définitive, existe-t-il des structures terroristes qui ne se reconstituent pas si certaines conditions sont réunies ?

Le terrorisme est un concept qui se situe dans le registre de la peur, de la terreur. Le terrorisme va frapper, de la façon la moins prévisible, avec la plus grande cruauté des cibles en général dépourvues d’intérêt militaire. Derrière la bestialité (qui est là, indiscutablement), il faut, pour donner un sens aux évènements, reconnaître les buts politiques sous-jacents. Il faut passer du registre affectif (la peur et l’horreur) au registre rationnel (quel but immédiat, quel résultat attendu), c’est à dire au registre politique.

 

On a coutume de dire que les États-unis, surtout depuis l’arrivée de G.W. Bush sont des alliés fiables et inconditionnels d’Israël. Il y a un devoir de reconnaissance d’Israël vis à vis des États-unis, le seul pays qui ait clairement énoncé qu’ « Israël a le droit de se défendre », le pays qui fait barrage aux résolutions incessantes pour condamner Israël au Conseil de Sécurité (76 veto américains), le pays qui accorde une aide économique et technologique substantielle, année après année. En même temps, les États-unis sont une puissance dont les intérêts sont imbriqués avec ceux des pires ennemis d’Israël, que l’on trouve en Arabie Saoudite, dans certains émirats ou même en Europe. D’un autre point de vue, il n’y a pas d’alliance gratuite : comme Israël a besoin des États-unis, les États-unis ont besoin d’Israël, par exemple pour fixer certaines menaces (au moins celles de l’Iran et de la Syrie). La relation des États-unis à Israël est une relation d’État à État où des divergences d’intérêt potentiellement aigues peuvent survenir. Il ne faut pas voir avec peine mais avec réalisme Colin Powell condamner les opérations militaires indispensables pour acculer le Hamas, et Bush s’en prendre à Israël depuis Londres, le 19 Novembre, dans une philippique à l’« européenne », sur tous les sujets en même temps : « colonisation », « humiliation des palestiniens », « murs et clôtures ».

 

On admet enfin, presque universellement, que la solution est dans la formule « deux États pour deux peuples ». C’est sans doute vrai. Mais quand on emploie cette formule, on fait comme si les deux parties partageaient cette option, le différend se situant sur les questions des frontières, du droit au retour ou de Jérusalem. Ce qui est sur, c’est que presque tout l’éventail politique israélien accepte cette vision des deux États. Mais en est-il de même de l’autre coté ? Et si les acteurs palestiniens se moquaient comme d’une guigne des frontières, du droit au retour et de Jérusalem, s’ils avaient pour unique obsession l’éradication du pouvoir juif au Proche Orient ?

On ne peut pas comprendre la guerre d’Arafat sans retracer l’émergence progressive de sa doctrine, identifier ses objectifs, se familiariser avec ses méthodes, avant d’en tirer les leçons.

 

ÉMERGENCE DE LA DOCTRINE DE GUERRE PALESTINIENNE (1)

 

Les conseils de Mohammed Yazid

 

Septembre Noir (entre 10 000 et 30 000 ports palestiniens suite à l’offensive du roi Hussein de Jordanie contre les camps de réfugiés et les bases militaires d’Arafat), ouvre une période de remise en cause et de réflexion chez les Palestiniens. Ils s’intéressent aux suggestions de Mohamed Yazid, l’ancien ministre de l’information du gouvernement provisoire algérien. Cet expert, qui était parvenu à retourner l’opinion européenne contre la France, donne plusieurs conseils pour « recadrer » la propagande palestinienne:

- Ne plus présenter Israël comme un misérable petit état voué à être détruit par l’immense peuple arabe mais parler d’une « lutte de libération nationale » comme celle de toutes les autres nations ;
- Ne plus donner à croire avec des mots d’ordre comme « jeter les Juifs à la mer » ou « égorger les Juifs » que les Israéliens puissent être des victimes. Les victimes, cela doit être les Palestiniens ;
- Ne plus présenter le conflit comme une lutte entre « les Arabes et les Sionistes », mais entre « les Arabes et l’impérialisme ».

Ce recadrage de la propagande palestinienne, prendra effet de façon progressive, jusqu’à son apogée lors de la Conférence de Durban de décembre 2001.

 

Les conseils des Chinois et des Vietnamiens

 

Arafat aurait visité en 1970 Pékin et Hanoi en compagnie de Abou Ayad. Il aurait alors rencontré Chou En Laï et Giap, en prélude à de nombreux échanges et sessions de formation militaire, étalés dans le temps. Giap donne trois conseils :

- dans la confrontation avec Israël, il convient de fixer des étapes et des objectifs par étape, au lieu de proclamer tout de suite l’objectif de destruction d’Israël ;
- se donner une apparence de modération pour ne pas effrayer l’opinion occidentale ;
- apprendre à manipuler les média. Giap aurait dit : «En 1968, j’ai compris que je ne pourrais pas vaincre les 500 000 hommes des troupes américaines qui étaient déployées au Vietnam. J’ai compris que je ne pourrais pas couler la 7ème flotte ni détruire ses centaines d’avions. Mais je savais que je pourrais introduire dans les foyers américains des images qui leur donnerait une envie folle de stopper cette guerre»

Giap donnait ainsi aux Palestiniens un corps de doctrine adapté à la guerre asymétrique, qui met en présence des adversaires dont la puissance initiale est très inégale. Il leur recommande une guerre prolongée, car le rapport des forces ne peut s’inverser qu’au terme d’un long processus. Il s’agit de miner l’adversaire, non seulement sur le terrain militaire, mais aussi politiquement (en l’isolant), économiquement (une guerre prolongée coûte très cher) et moralement.

Une telle guerre associe des aspects politiques, économiques, militaires, diplomatiques, médiatiques. Le Jérusalem Post du 16 septembre 2003, fait état d’une citation d’Arafat de la fin des années 60 : « Nous devons, dit Arafat, lancer une campagne soutenue de terrorisme qui minera la vie des citoyens, empêchera une immigration vers Israël et obligera les Israéliens à quitter Israël …détruira le tourisme…affaiblira l’économie en obligeant les israéliens à consacrer la majeure partie de leurs ressources à la sécurité du pays… Maintenir une ambiance de tension et d’anxiété qui forcera les sionistes à réaliser qu’il est impossible pour eux de vivre en Israël .»

Si on veut comprendre la guerre d’Arafat, il faut bien voir comment il combine ses offensives sur trois fronts principaux. Il y a le front de l’isolement international d’Israël (délégitimation, dénonciation de l’occupation, de l’apartheid, de l’oppression et de l’humiliation, campagnes à l’ONU et en Europe sur tous les sujets), le front de la division interne d’Israël (la mobilisation contre les opérations militaires de défense d’Israël, la prise à parti des chefs de gouvernement à qui est imputée la responsabilité de la guerre, le discours pacifiste, l’encouragement des opérations comme les « accords de Genève »), le front de l’épuisement moral et économique d’Israël (par les pertes humaines, le règne de l’insécurité, le détournement de ressources énormes des emplois productifs vers la sécurité et la défense).

Les trois fronts sont activés ensemble ou successivement. Où Israël trouve-t-il ses forces vitales ? Dans son moral et sa prospérité qui vont ensemble, dans son unité, dans ses liens avec le reste du monde. Pour vider Israël de ses forces, il faut l’attaquer simultanément sur ses trois sources d’énergie vitale. C’est à cela que s’attelle Arafat depuis quarante ans avec une extraordinaire obstination et un mépris du même ordre pour les épreuves qu’il cause ainsi à son peuple.

Ses moyens opérationnels sont triples : la propagande et son corollaire, la manipulation des média, le terrorisme vis à vis des israéliens et un régime de fanatisation-répression imposé aux palestiniens. Sous la direction d’Arafat, les Palestiniens ont produit sans doute les meilleurs spécialistes au monde, pour la propagande, la manipulation des média, le terrorisme, la fanatisation des masses et la répression.
La guerre d’Arafat est toujours une guerre politique. Sa faiblesse militaire relative l’a contraint de porter la guerre là où il pouvait mobiliser des appuis, remporter des succès et paralyser l’adversaire, c’est à dire sur les champs médiatique, diplomatique, économique et de la terreur contre les civils.

Ce qu’il y a de pathétique dans cette situation, c’est de voir de nombreux Israéliens et pas des moindres, contribuer à la perte des leurs avec la dernière naïveté, comme maillons méprisés de la stratégie du vieux raïs. Combien d’entre eux sont les meilleurs vecteurs de la diffamation d’Israël et de son isolement international, combien investissent une énergie inépuisable dans la dénonciation féroce des leaders du pays, ou qui, comme Uri Avnery, ne trouve rien de plus urgent quand des attentats déchirent les corps des enfants israéliens, que d’aller faire d’eux-mêmes, à la Moukata, un rempart pour protéger le grand Ordonnateur des carnages.

 

LA THÉORISATION DE LA GUERRE PAR L’O.L.P.   

 

La guerre a été théorisée sous le nom de « Stratégie des étapes ». Pour asseoir cette stratégie, on voit revenir sans cesse dans le discours de l’OLP, le pacte d’ « Houdaibiya » et la référence au « Cheval de Troie ».

 

La stratégie des étapes

 

La stratégie des étapes est postérieure à la guerre du Kippour. En 1973, les Israéliens s’étaient laissés surprendre. La leçon qu’en tirèrent les Palestiniens, c’est qu’ Israël n’était pas imbattable militairement, et que si une guérilla intérieure avait pu paralyser la mobilisation précipitée de sa défense, l’Etat Juif aurait peut-être été emporté. S’est alors imposé le modèle vietnamien où, à partir de zones dites « libérées », une guerre de guérilla paralyse et use les forces adverses, qui sont ensuite battues par une offensive conventionnelle.

C’est ainsi qu’au Caire, le 9 juin 1974, l’OLP fixe une doctrine des étapes dont elle n’a plus varié depuis.
L’article 2 de la résolution adoptée ce jour-là stipule que l’OLP devra « établir une autorité nationale indépendante sur toute partie du territoire qui aura été libérée ». C’est la fameuse « zone libérée », le sanctuaire qu’il faut créer en premier et d’où on peut lancer une guerre de harcèlement dans les lignes de l’adversaire. Vingt ans plus tard les accords d’Oslo serviront sur un plateau à Arafat le fameux territoire libéré d’où il fait partir encore aujourd’hui ses opérations.

Le même article prescrit que l’OLP utilisera « tous les moyens et avant tout la lutte armée… » : il faut entendre la guerre de guérilla. Et à l’article 8 « elle s’efforcera de réaliser l’union des pays de la zone de confrontation dans le but d’achever la libération de l’intégralité du territoire palestinien ». C’est le passage à l’offensive conventionnelle pour abattre Israël.

Il est remarquable d’observer qu’il y a quelques jours, le 1er décembre le Fatah, pour ramener à la réalité les Palestiniens qui pourraient s’être égarés en prenant à la lettre les accords de Genève, a publié, un document où il proclame : « Nous rappelons à ceux qui jouent avec l’avenir de notre peuple qu'un État palestinien indépendant sur les territoires occupés en 1967 ne fait pas partie du consensus stratégique, mais seulement d'un programme de transition, adopté par l’OLP lors de la réunion de 1974 du Conseil National Palestinien. » (voir BADIL Resource Center for Palestinian Residency and Refugee Rights Press Release E-53-03 5 December 2003)

 

Ce passage capital met le doigt sur deux points qui permettent de tout comprendre : d’abord que le programme demeure bien celui de 1974 visant à détruire Israël et ensuite que la création d’un État palestinien n’est qu’une transition, un moyen (la base de lancement d’une guerre de guérilla) et surtout pas une fin (un État unique du Jourdain à la mer).

Le dispositif des étapes ne fonctionne qu’à une condition : disposer d’un territoire où installer une autorité nationale palestinienne. Sans cela, pas de population où recruter des fantassins ou des « martyrs », pas de ressources financières, pas de sanctuaire où stocker des armes, former des soldats, trouver refuge, etc. Arafat tenta bien d’utiliser la Liban après la déroute de Jordanie, mais il en fut déraciné grâce à la plus légitime des guerres israéliennes et renvoyé à Tunis.

 

Le pacte d’Houdaibya

 

C’est alors que survint l’opportunité d’Oslo qui allait lui offrir cette base d’opérations tant souhaitée. Il y avait une condition cependant pour entrer dans le processus : renoncer solennellement à la violence, ce qui était parfaitement incompatible avec la poursuite de la guerre. C’est là que va s’imposer, dans le discours palestinien, la référence à Houdaibiya. En 628, le prophète, en difficulté, avait passé avec la tribu des Qoreïch, maîtres de La Mecque, un accord pour dix années de paix. Un peu plus d’une année après, le rapport des forces étant devenu favorable, le prophète rompait la trêve et prenait La Mecque. Le prétexte est qu’un Musulman n’est pas engagé pas les traités qu’il passe avec les Infidèles.

Arafat va prendre appui sur ce modèle. Le 1er septembre 1993, avant même l’échange de lettres avec Rabin (du 9 septembre) et la signature de la Déclaration de principes (du 13 septembre), s’exprimant sur radio Monte Carlo, il déclare que l’accord à venir « serait à la base d’un Etat palestinien indépendant en accord avec la résolution de 1974 du Conseil National Palestinien ». C’est à dire la base arrière d’une nouvelle guerre ! Quelques mois plus tard, en Arabe, dans une mosquée de Johannesburg, il compare les accords d’Oslo au « pacte de Houdaibiya ». Référence qui reviendra régulièrement, qui le délivre de tout engagement de renoncer à la violence et qui lui sert à donner à ses troupes, en Arabe, quand il le juge utile, le signal de l’offensive.

C’est sans doute pour cela qu’Arafat est totalement récusé comme interlocuteur palestinien aussi bien par les Américains que par les Israéliens. Les engagements qu’il accepte sont affaire d’opportunité : non seulement sa doctrine lui permet de les transgresser quand ça l’arrange, mais elle le lui commande. Ne pas lancer le Jihad quand les conditions sont favorables, c’est avec des lunettes islamistes, déroger aux obligations religieuses.

 

La référence au Cheval de Troie

 

Cette référence sert d’image pour expliquer le déclenchement de l’Intifada de septembre 2000. Le « Cheval » est invoqué publiquement, en Arabe par Arafat ou par Marwan Barghouti. C’est sans doute Fayçal Husseini qui a livré la version la plus détaillée au quotidien égyptien Al-Arabi le 31 mai 2001. « Les États-unis et Israël n’ont pas compris, avant Oslo, que tout ce qui a été laissé du mouvement national palestinien et du mouvement Pan Arabe était un Cheval de Troie…Il y a trois ans j’ai dit ‘’la Montée dans le Cheval‘’ et chacun est entré dans le Cheval et le Cheval a passé le muré… Maintenant, le temps est venu pour nous de dire : ‘’Sortez du Cheval et commencez à travailler’’ ». Et il continue, pour bien fixer les buts stratégiques de l’Intifada : « notre but suprême est toujours la libération de toute la Palestine historique, de la Rivière [du Jourdain] à la Mer [Méditerranée], même si cela signifie que le conflit durera pendant encore mille ans ou pendant beaucoup de génération. »

 

 

LA MISE EN ŒUVRE DE LA STRATÉGIE D’ARAFAT   

 

On a vu que la stratégie d’Arafat n’a vraiment pu prendre corps qu’avec les accords d’Oslo, qu’il a su subordonner à sa stratégie, d’une main de maître.

Dix ans après Oslo, il n’est pas inutile de mesurer le chemin parcouru de part et d’autre, les Israéliens avec leur politique de « paix contre les territoires » et les palestiniens avec leur stratégie des étapes.
En 1993, l’OLP était exilée à Tunis, sans territoires, sans troupes, sans grands moyens financiers. Au même moment Israël était une puissance militaire de premier ordre en même temps qu’une puissance économique et technologique en plein essor.

Dix ans après, le parti d’Arafat dispose d’un territoire, d’un peuple de plusieurs millions d’individus, de ressources financières avec des contributions d’Etats et d’organisations internationales, d’une administration, de forces armées (près de 60 000 hommes). Il a aussi acquis une légitimité internationale et un courant d’estime considérable, au moins dans le monde musulman et en Europe. Israël quant à lui a désormais une guerre d’usure sur les bras. Son essor économique et technologique est stoppé,. Il est largement diffamé, délégitimé et haï dans le monde. Entre 1983 et 1993 ses forces armées sont engluées dans des tâches de surveillance et de renseignement accablantes, il y avait 25 morts par an en moyenne du fait du terrorisme, entre 1993 et 2003, 110 morts par an en moyenne décennale, et depuis septembre 2000, 300 morts par an.

Ce renversement donne une indication de l’efficacité de la guerre d’Arafat. Mêlant ses offensives sur trois fronts (isolement d’Israël, division interne, atteinte à son moral et à ses ressources), il lui a causé plus de dommages stratégiques que toutes les guerres précédentes alors que la guerre en cours n’est pas terminée.

L’erreur d’Israël, comme nation, c’est de n’avoir pas su comprendre assez tôt que le modèle mental de ses adversaires palestiniens n’avait rien à voir avec le sien. Il a cru qu’avec Arafat, il tenait un partenaire représentatif, avec lequel on pouvait négocier, défendre ses intérêts, et parvenir à un compromis. Israël a cru que le rapport des forces militaires pouvait dicter une issue raisonnable, même à un vieux terroriste. Il a trouvé un dirigeant mu par des fantasmes religieux, calculant sur le très long terme, affranchi de la contrainte de minimisation des pertes qui pèse sur tout gouvernant, sans compte à rendre ni à son peuple ni à une quelconque opposition.

Sa seconde erreur, c’est d’avoir seulement apporté des réponses militaires et sécuritaires, à une stratégie politique et médiatique, d’avoir négligé la contre propagande et l’offensive sur l’image, la légitimité, les pratiques dictatoriales, le fanatisme religieux. L’habileté d’Arafat n’explique quand même pas tout. S’il a pu mener sa stratégie diplomatique/terroriste/médiatique, c’est qu’il a aussi bénéficié d’appuis considérables dans le monde arabo-musulman et chez ses clients européens. En cela la guerre n’est pas tout à fait une guerre israélo-palestinienne, mais une guerre israélo-arabe.

Paradoxalement, la position d’Israël est aujourd’hui beaucoup plus forte qu’en septembre 2000. A l’épreuve d’une guerre sauvage, la société et l’État israélien ont tenu et se sont endurcis. Trois années d’Intifada leur ont donné une incomparable leçon de lucidité. Ils savent désormais à qui ils ont affaire. La tâche des démagogues comme Yossi Beilin s’est singulièrement compliquée, il s’en rendra compte dans les mois qui viennent.

La légitimité et la légende de l’Autorité Palestinienne se sont effritées et peu d’États contestent désormais à Israël le droit de forcer les sanctuaires terroristes où d’entraver leur mobilité opérationnelle, par des barrages routiers par exemple. C’est une victoire appréciable des gouvernements Sharon qui ont su conquérir et légitimer cette liberté opérationnelle qui est en train de faire rendre gorge aux structures terroristes.

Avec la barrière de sécurité, l’option de la guerre de harcèlement contre les civils va progressivement perdre toute signification. Privé de leur principal instrument de nuisance, on peut imaginer que les Palestiniens vont demander à négocier dans les mois à venir, avec ou sans Arafat. Il conviendra alors d’imposer des conditions les plus intransigeantes sur la question de l’armement et de la militarisation des Palestiniens dans leur État.

La menace se déplace : à court terme elle se situe au niveau de l’Égypte et de l’Iran qui accroissent leur potentiel offensif, conventionnel et nucléaire, comme si ils se préparaient à un conflit extérieur. A plus long terme, elle se niche dans les déséquilibres non maîtrisés entre la démographie galopante des Arabes et les blocages de leurs économies. Comment les Etats arabes, gangrenés par la corruption et l’incompétence, pourront-ils tenir face à des masses humaines dont les besoins alimentaires ne seraient pas assurés?

 

(1) Ten Years Since Oslo: The PLO's 'People's War' Strategy and Israel's Inadequate Response," by Joel S. Fishman (September 1-15, 2003)